Archives du Cantal

Une initiative solidaire… mais hors-la-loi

La boulangerie communale de Saint-Vincent-de-Salers (1914-1919)

Arrêté municipal
Arrêté municipal
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Arrêté municipal

2 août 1914, c’est la mobilisation générale, la France entre en guerre. Outre les craintes de voir partir leurs pères, maris, frères, fils à la guerre, une appréhension étreint dès le mois de septembre les habitants de Saint-Vincent-de-Salers : le ravitaillement en pain pourra-t-il être assuré ?

Cette question est loin d’être anodine et rattrape les hommes à chaque période de crise. Les rayons vides des supermarchés en période de confinement en témoignent. En ce qui concerne Saint-Vincent, il ne s’y trouve en 1914 ni supermarché bien sûr, ni boulangerie. Le conseil municipal décide alors de subvenir lui-même aux besoins de la population en mettant en place une boulangerie communale équipée d’un four à bois et confiée à un « chargé de panification ».

S’il assume cette dépense au profit de tous, le maire tente néanmoins de limiter le déficit et compte, entre autre, sur la solidarité des habitants. Cependant, celle-ci semble s’amenuiser au fil des mois, si bien que l’édile prend le 31 décembre de la même année un arrêté de réquisition : « le bois nécessaire à ladite boulangerie communale sera transporté par les habitants de la commune qui possèdent des vaches dès qu’ils en seront requis, et ce moyennant payement conforme aux usages locaux en tenant compte des quantités apportées et des difficultés des lieux ». La commune a en effet les moyens d’acheter du bois, mais a visiblement du mal à le faire transporter jusqu’au bourg. Ce sont donc aux premiers bénéficiaires de la boulangerie qu’on fait appel, qu’ils le veuillent ou non.

Un deuxième arrêté pris dans la foulée vise à conserver le monopole de la boulangerie en abolissant toute concurrence : « le colportage et la vente du pain de toute boulangerie autre que la boulangerie communale de Saint-Vincent sont interdits dans cette commune » sauf autorisation écrite du maire, qui ne sera sans doute jamais délivrée à quiconque.

Ainsi encadrée juridiquement, la boulangerie va, si ce n’est prospérer, du moins répondre aux besoins primordiaux des habitants jusqu’en 1917. A cette date, il est à supposer que la plupart des hommes sont partis sur le Front et que de nombreux animaux ont été réquisitionnés par l’armée. Les quelques habitants d’astreinte se sont sans doute lassés de jouer les convoyeurs de bûches et se mettent en grève, au grand dam du conseil municipal qui décide d’asséner son autorité par un nouvel arrêté le 22 avril, exposé ici. Celui-ci réitère la réquisition des propriétaires de bœufs pour transporter le bois selon un planning affiché en mairie, ajoute que les propriétaires de chevaux pourront quant à eux être sollicités pour aller chercher de la farine à Mauriac, et prévoit des conséquences pour les récalcitrants. Cet arrêté est soutenu par le sous-préfet qui s’y dit très favorable, la boulangerie étant fermée et son « fonctionnement se trouvant gravement compromis par le mauvais vouloir d’habitants possesseurs de vaches qui se refusent systématiquement de transporter le bois nécessaire ».

Or cette fois-ci, la préfecture se montre plus pointilleuse qu’en 1914. « En matière de ravitaillement, observe le secrétaire général, le droit de réquisition appartient à l’autorité militaire […], en l’absence d’une disposition formelle, les sanctions prévues ne pourraient être appliquées ». L’arrêté est donc jugé illégal par le préfet, qui refuse de le viser.

Que l’on se rassure, les habitants de Saint-Vincent n’ont pas manqué de pain jusqu’à la fin de la guerre. Bien que les archives de la commune ne permettent pas de savoir comment fut alimenté le four les années suivantes, elles gardent trace des tickets de rationnement reçus par la boulangerie et échangés contre des sacs de blé au bureau permanent de l’office départemental des céréales. L’initiative du conseil municipal, quoique contestable dans la forme, est donc parvenue à mener son rôle salutaire pendant tout la durée de la guerre, épargnant aux familles rongées par la crainte pour leurs proches de n’être pas en outre rongées par la faim.

E DEP 1498/4

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