De la difficulté de trouver chaussure à son pied en 1941
Le Comité d’Organisation de la Chaussure du Cantal et la distribution des chaussures nationales
L’Armistice signé le 22 juin 1940 avec l’Allemagne a pu provoquer chez de nombreux Français un sentiment de soulagement à l’idée que leur pays évitait un nouveau conflit armé. Cependant, ce soulagement va rapidement laisser place à l’inquiétude tant les contraintes imposées par le Reich pèsent lourd sur l’économie française, déjà amputée d’une partie de sa main d’œuvre, prisonnière en Allemagne. Le vainqueur s’octroie en effet un important tribut en matières premières, notamment du cuir, complété par une indemnité journalière de 400 millions de francs par jour. A cela s’ajoute, suite à un accord du 4 novembre 1940, la livraison de 6 millions de paires de chaussures aux Allemands pour l’année 1941, alors que la production française est descendue à 10 millions de paires tout au plus. Il va donc falloir rapidement organiser le rationnement des chaussures.
Au niveau national est créé par décret du 29 octobre 1940 le Comité général d’organisation du Cuir, dont dépend le Comité Chaussures qui prend la main sur l’ensemble de la production et de la marchandise. Un mois plus tard, la vente libre de chaussures en cuir est interdite. La fabrication de chaussures à tiges montantes, telles que les bottes ou bottines, est également défendue.
Au mois de janvier 1941, une circulaire du préfet Coldefy adressée aux maires cantaliens leur explique les nouvelles mesures de rationnement des civils : ceux-ci devront remplir une déclaration mentionnant le nombre et le type de chaussures qu’ils possèdent, ainsi que leur état. Pour inciter les Français à réaliser cette démarche, une copie de la déclaration remplie par le chef de l’Etat français lui-même, Philippe Pétain, est diffusée. Elle a été conservée parmi les archives de la commune de Saint-Saturnin. Désormais, les personnes souhaitant acheter des chaussures devront en adresser la demande écrite à leur maire, qui réunira une commission ad hoc désignée par le préfet afin de décider quels sont les besoins prioritaires et qui pourra disposer de bons d’achat. Les personnes prioritaires sont les enfants de plus de 6 ans qui ne peuvent réutiliser les chaussures de leurs aînés, et les « travailleurs dont la profession exige d’une manière habituelle de longues marches, comme par exemple, les facteurs ruraux ». Sont exclus ceux qui possèdent déjà deux paires en bon état ou réparables. Le préfet insiste également sur la nécessite de préconiser aux populations agricoles « le retour aux usages anciens », autrement dit de privilégier les sabots et galoches, qui ne requièrent que peu ou pas de cuir.
Face aux difficultés que subit le marché, une nouvelle mesure est prise courant 1941 : la confection de chaussures nationales. Ce système avait déjà été mis en place lors de la Première Guerre mondiale. Il s’agit de rationaliser la production en fabriquant des modèles standardisés, peu nombreux, économes en matière première et vendus à des prix abordables. Le 11 juin 1941, le maire de Saint-Saturnin reçoit une circulaire du Comité d’Organisation de la Chaussure du Cantal lui présentant les conditions de distribution de ces chaussures nationales. Celles-ci seront réparties chez un nombre réduit de commerçants, le contingent affecté au Cantal étant peu nombreux. Ces commerçants n’ont pas été sélectionnés au hasard, loin de là : presque tous sont désignés comme légionnaires ou amis de la Légion française des combattants, formation ayant absorbé les associations d’anciens combattants et apportant son soutien au Régime de Vichy. D’autres sont distingués pour avoir contribué à « l’effort de guerre », comme Eugénie Lavialle à Salers, veuve de guerre ayant un fils prisonnier en Allemagne.
Chaque commerçant disposera d’un assortiment complet, toutes tailles et tous modèles, et pourra vendre ces souliers aux prix fixés par l’Etat uniquement aux personnes disposant des bons spéciaux « chaussures nationales » distribués par le maire. Malgré cette apparente profusion de l’offre, il est probable que certains modèles et certaines tailles étaient plus demandés que d’autres, et que les besoins de tous les Cantaliens n’ont pu être comblés. On s’étonne par ailleurs que la liste des prix ne mentionne pas de chaussures pour femmes… Les chaussures étaient pourtant un produit de première nécessité pour tous puisque les déplacements se faisaient alors à pied voire à vélo, les voitures étant réquisitionnées.
D’autres produits ont également été rationnés et leur distribution encadrée par un système de cartes et de tickets : l’alimentation dès septembre 1940, mais aussi le textile, le charbon et le tabac. La fin de la guerre ne signifiera pas la fin des pénuries, loin de là : ces cartes de rationnement sont restées en usage jusqu’en 1949.
Archives communales déposées de Saint-Saturnin, en cours de classement
Pour aller plus loin : Antelme Sandy, 1940-1944, se chausser sous l’Occupation, éd. Libel, 2016. Extrait : https://issuu.com/libel/docs/libel_scso_issuu