L’affaire des bandits de grands chemins de Quézac 1663-1664
Transporter des marchandises ou collecter les impôts n’étaient pas des tâches anodines pour ceux qui en étaient chargés sous l’Ancien Régime : il suffisait d’une mauvaise rencontre sur la route pour ruiner le voyageur, qui s’estimait encore heureux lorsqu’on lui accordait la vie sauve.
Soucieux du bien-être de ses sujets, mais aussi de la bonne santé des échanges commerciaux et de l’arrivée à bon port des deniers destinés à remplir ses caisses, le roi de France était loin de négliger ces troubles à l’ordre public. Bien qu’il soit impossible de surveiller l’ensemble du réseau routier, les représentants du roi étaient chargés de lutter contre les bandits de grands chemins, et c’est ainsi que le prévôt de Figeac peut s’enorgueillir d’une belle prise au début des années 1660. Cependant, il ne va pas rencontrer du côté de la Haute-Auvergne le soutien qu’il pouvait espérer. La copie d’un arrêt du conseil d’état de Louis XIV daté du 21 février 1664 et conservé parmi les archives paroissiales de Quézac, déposées par le diocèse aux Archives départementales, nous narre les conséquences rocambolesques d’un simple faux-pas.
Après avoir mené de main de maître son enquête sur les « vols, murtres et assasin[at]s qui despuis longtemps se commetoint ordineremant sur le grand chemin allant de Quercy en Auvergnie ès lieus de la Bastide d’Almont[1], Saint Hilaire deppandant dudit païs de Quercy et dans un lougis appellé de la Vitarelle de Quesac et ès environs », le prévôt et vice-sénéchal de Quercy établi à Figeac était parvenu à identifier une quinzaine de coupables qui sont jugés par les officiers de la sénéchaussée de Quercy, c’est-à-dire les représentants de la justice du roi à Figeac, et condamnés à mort. Ils sont « executtés partie reellement et les autres en effigie ». On comprend à cette précision que seuls quelques-uns des malfaiteurs ont été arrêtés, tandis que les autres sont jugés par contumace. Au moment de la mise à mort, la peine est appliquée à l’effigie du condamné absent, c’est-à-dire à un tableau représentant son portrait.
Loin d’en rester là, le prévôt s’attache également à saisir les biens des coupables et ordonne que la maison de la Vitarelle à Quézac, qui leur servait de repaire, soit rasée et qu’on y plante « un pilier avec une plaque de cuivre où seroit inscript [que] ledit logis avoict esté rasé comme pour avoir esté le refuge et resceptable [réceptacle] despuis plusieurs annees des voleurs et assasinateurs des marchans, comis et proposés au recouvremant des tailles et autres passans ». Ce panneau était destiné à dissuader tout potentiel bandit, présent ou futur, d’enfreindre la loi du roi.
Tout semblait se dérouler parfaitement pour cet héroïque prévôt, défenseur des voyageurs quercinois et auvergnats… jusqu’à ce que ses homologues aurillacois, saisis par des parents et amis des condamnés, s’aperçoivent que le prévôt figeacois, en faisant démolir le logis de la Vitarelle, avait franchi non pas le Rubicon mais le Veyre, ruisseau qui sépare les deux circonscriptions, l’élection d’Aurillac dans la généralité de Riom, et celle de Figeac dans la généralité de Montauban. C’est alors que le cauchemar commence pour le prévôt.
Oubliant de prendre en considération les bonnes intentions des officiers quercinois et l’effet bénéfique pour la population de leur sentence, le tribunal aurillacois fait abattre le pilier et l’écriteau, cherche à interrompre la procédure lancée à Figeac et ordonne d’arrêter le prévôt ainsi que son frère, qui l’assistait en tant que greffier, afin de les assigner devant le Grand conseil à Paris, ancêtre en quelque sorte de nos tribunaux administratifs. Susceptibles, les Aurillacois ? Sans doute un peu, mais il semblerait qu’ils manquent également de partialité dans cette affaire, « partie des officiers dudit siege d’Aurilliac estans parans de quelques uns des coupables et condempnés par le jeugemant dudit prevost ». Les bandits n’étaient donc pas de simples voyous de basse extraction. Parmi les condamnés, on trouve ainsi Guillaume de La Roque, seigneur de Quézac (mentionné sous le prénom de Jacques dans l’acte, sans doute une erreur de copie).
« Menacés et poursuivis par les parans des condempnés », étant parvenus à échapper à l’arrestation mais « obligés d’abandonner leurs maisons », les deux frères se tournent vers Louis XIV et obtiennent un arrêt pris en conseil d’état au nom du roi et signé du secrétaire d’Etat Phélypeaux, qui leur donne raison. Le roi confirme les jugements rendus par les officiers de la sénéchaussée de Quercy, ordonne le rétablissement de l’écriteau à l’endroit où se trouvait la maison de la Vitarelle, fait « deffances a toutes personnes de quelle condition qu’elle soit de l’abattre, à paine de trois mille livres d’amande », ce qui représente une somme considérable, demande à ce que le procès soit « continué, parfaict et parachevé par ledit prevost et officiers de Figeac » et en interdit la connaissance à tout autre juge.
Si l’acte rendu par le roi prend explicitement parti pour le prévôt de Figeac, rien n’est dit cependant au sujet de la réaction pour le moins excessive des officiers aurillacois et de leurs motivations douteuses. L’on ne peut que supposer que ce désaveu public aura été jugé suffisant pour leur rappeler que la lutte contre les « voleries, murtres et assacinats » reste prioritaire à leurs autres préoccupations.
Archives déposées par le diocèse, en cours de classement
Carte chorographique de la généralité d'Auvergne divisée par élections, par Dezauche, 1851,
document exposé : vue numérisée par la BNF, disponible sur Gallica, annoté par nos soins ;
original consultable aux AD15 sous la cote 28 Fi 1/3
[1]Labastide-du-Haut-Mont (Lot). Saint-Hilaire se trouve également dans le Lot. « Es » signifie « dans les ».