Navet, roquette, écrevisse… Un nouveau calendrier des foires pour Aurillac (1793-1794)
Avis à la population : la foire de la Saint-Géraud est supprimée… et remplacée par la foire du Navet. Voilà une information qui ne manqua pas de perturber les habitudes des Aurillacois !
Nous sommes au temps de la Terreur, cette période de la Révolution française marquée par la radicalisation des partisans de la République et ayant donné lieu à la perpétration d’actes violents à l’encontre des symboles de l’Ancien Régime et du christianisme, mais aussi envers des personnes jugées contre-révolutionnaires. Incarnée par Maximilien Robespierre, la Terreur commence à prendre forme avec la condamnation à mort du roi Louis XVI, guillotiné le 21 janvier 1793, et s'exerce pleinement de juin 1793 à juillet 1794, jusqu'à la mort de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794).
L’une des réformes les plus connues de la déchristianisation est l’adoption d’un calendrier républicain le 6 octobre 1793. Ce nouveau calendrier est élaboré par le mathématicien-astronome Romme, député du Puy-de-Dôme, et le poète Fabre d'Eglantine, député de Paris. Au-delà des noms des mois, qui rappellent les travaux des champs et les saisons, comme vendémiaire pour les vendanges, ou nivôse pour la neige, c'est l'ensemble du découpage du temps qui est réorganisé. L'année durera douze mois, eux-mêmes divisés en trois décades (et non plus semaines) de dix jours chacune, jours baptisés primidi (« premier jour » en latin), duodi, tridi, etc., et le dixième, décadi. Pour ajuster la longueur de l’année civile par rapport à la révolution de la Terre autour du soleil, cinq jours supplémentaires appelés sans-culottides, en hommage aux sans-culottes, sont ajoutés à la fin de l’année. Le premier jour de ce calendrier est fixé de manière rétroactive à la date où la Première République fut proclamée, soit le 22 septembre 1792.
Ce nouveau calendrier est l'occasion pour les révolutionnaires d'abandonner la célébration des saints et de faire disparaître leurs noms des éphémérides. A chaque jour est attribué un nouveau nom : un outil pour les décadis (charrue, pioche, serpette…), un animal pour les quintidis et un végétal ou minéral pour les autres. Le changement de dénomination des foires en est une conséquence naturelle, que les dirigeants d’Aurillac ne vont pas hésiter à mettre en place.
Deux objectifs sous-tendent cet arrêté. Premièrement, présenter aux citoyens une table de concordance permettant à chacun de connaître la date républicaine de telle ou telle foire : la foire ci-devant dénommée de la Sainte-Luce aura ainsi lieu non plus le 13 décembre, mais le 23 frimaire. Les foires se déroulant à une date variable (par exemple, le premier jeudi après Pâques) se voient attribuer une date fixe. Deuxièmement, et c’est bien sûr l’objectif principal, inciter la population à ne plus employer une référence religieuse pour évoquer les foires, en renommant ces dernières grâce au calendrier officiel : la foire du 7 août, fixée au 21 thermidor, devient la foire de la Carline, plante épineuse, proche du chardon, célébrée ce jour-là.
Les noms des foires ne sont pas les seuls à subir les conséquences de la déchristianisation : les enfants eux-mêmes deviennent un moyen grâce auxquels les parents expriment leur zèle. On voit apparaître dans les registres d’état-civil des noms de fruits tels que Cerise ou Myrtille, pour les plus chanceuses. A Salers, on souhaite la bienvenue aux petits Glace, Plomb, Jasmen et Bouleau, tandis qu’à Aurillac, un bébé ayant eu le malheur de pointer le bout de son nez un 23 pluviôse est affublé du prénom de Chiendant.
La mode de nommer les enfants d’après le calendrier républicain n’aura cependant pas eu le temps de s’imposer dans le Cantal. De manière générale, la population accepte mal de voir ses habitudes bousculées et exerce une résistance passive. Si les dates républicaines sont bel et bien utilisées dans les documents écrits, il est à supposer que l’habitude de les employer pour désigner les foires ne s’ancrera jamais dans les esprits. Dès février 1795, la liberté de culte est rétablie, mettant ainsi officiellement fin à la période de déchristianisation. Le calendrier républicain sera malgré tout maintenu encore onze ans, jusqu’à ce qu’il soit abrogé le 1erjanvier 1806 par Napoléon Ier, alias Lupin Bonaparte[1].
Avis : 19 J 74
Calendrier : 27 J 258-73
[1] Napoléon Bonaparte est né un 15 août, jour auquel le calendrier républicain associe le lupin. Il va de soi que cet alias n’a jamais été employé par Napoléon ni par ses contemporains !