Un hymne à l’amour conjugal au milieu du XIXe siècle
La correspondance de Joseph, Jude, Simon Serieys (J.J.S.S., 1781-1860), notaire à Aurillac et descendant d’une longue lignée de notaires, a été récemment donnée aux Archives départementales par M. Antoine Roquette, qui en a publié une édition partielle. Elle consiste principalement en dix volumes des minutes de lettres envoyées, entre 1811 et 1860. Collectionneur d’art (il fit d’ailleurs de sa collection au musée d’Aurillac), représentant de la bourgeoisie libérale rousseauiste, libérale mais imbue de progrès, Serieys est un observateur avisé de la société de son temps.
Mais le notaire perd sa femme le 10 février 1845. Dans le volume qu’il consacre spécialement à sa femme Joséphine, le veuf éploré donne un témoignage touchant de sa détresse et de sa tendresse. Il y mêle des lettres, des images, des souvenirs et des réflexions. L’amour conjugal, après la mort de l’être aimé, est véritablement sublimé.
« Réflexion. Un jour Joséphine crut qu’elle n’était pas aimée ! Des inconséquences dans la conduite de son mari, des plaisanteries de mauvais goût, quelques mots amers qui échappèrent de sa bouche et contre son cœur, et qu’il expie par les remords les plus cuisants, troublèrent un instant la douce paix de ma chère Joséphine (…) Ah si Joséphine avait pu deviner mes secrets sentiments, lire dans mon âme transportée de respect et d’amour pour elle, un seul mot, un seul geste, un de ses regards si nobles et si doux m’eussent fait tomber à ses genoux ! »
Le bonheur conjugal surpasse tout : « Du 3 avril 1845. J’ai vu passer ce soir un cul-de-jatte, un homme qui par le moyen de deux béquilles se soulevait avec peine pour faire un pas. Je me suis dit : cet homme est bien malheureux. Eh bien ! Je voudrais être à sa place et savoir ma Joséphine vivante. »
L’être aimé se transforme avec le temps : « Du 30 juillet 1845. La douleur s’est changée en un culte… J’adore Joséphine comme on adore Dieu, comme on adore une sainte ! »
Le notaire veuf fait la triste expérience de l’absence : « Du 14 novembre 1845. Le matin quand je me lève, j’écoute, je me fais illusion, je crois qu’elle est là, couchée dans son lit, près de moi, qu’elle peut m’entendre, qu’il ne faut pas la réveiller, qu’elle dort ! »
Le corps aimé est la proie de la destruction cruelle. « Elle dort d’un sommeil éternel. Elle ne se réveillera jamais. Elle ne reverra jamais le sommeil. La terre la dévore ». Cette cruelle pensée prend forme le 12 février 1846, jour de la « translation des restes mortels de Joséphine », dans le caveau enfin achevé : « Le suaire ou drap blanc dans lequel Joséphine avait été enveloppée ne formait qu’une croute noire, qui paraissait adaptée à la chair et incorporée ; on appercevait la forme de la tête. Le linceul était collé sur ses traits (…) Il fut impossible de voir le visage de Joséphine ; le rideau de l’Eternité était tiré sur elle : … elle restait invisible à tous les regards humains, visible à Dieu seul ! La douce image était détruite, comme la fleur épanouie le matin et déffeuillée le soir. »
Le rousseauiste du début du siècle ne se contente plus d’un vague déisme libéral : la foi en la vie éternelle fonde son espérance de revoir Joséphine un jour. Le volume se termine par une mention du 23 juillet 1858, d’une écriture tremblante : « Joséphine me recommandera, je l’espère, auprès de Dieu. Je suis à la fin de ma carrière. »
1845-1858
Archives départementales du Cantal, 64 J 5
Antoine Roquette, Chroniques aurillacoises. Issues de la correspondance de Joseph Serieys, notaire à Aurillac de 1811 à 1860, Versailles, chez l’auteur, 2009 (ouvrage disponible dans les librairies cantaliennes).