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Bibi Fricotin garçon de café (1970, réédité en 1974) : lieux communs sur l’Auvergnat et le Juif

Bibi Fricotin est un personnage de bandes dessinées apparu en 1928 sous la plume de Louis Forton, créateur des Pieds nickelés. Entre 1936 et 1941, le relais est pris par Gaston Callaud, avant que, après la guerre, ce soit Pierre Lacroix qui dessine les aventures de ce garçon sympathique et futé. Bibi, aux côtés d’un camarade africain (à partir de 1947) nommé Razibus Zouzou, se tire de toutes les situations délicates.

Le texte, ici, est de Jacques Veissid. Bibi et Razibus ont mis une annonce pour devenir garçons de café. M. Onésime Durapiat, patron, serveur et en même temps garçon de courses de son établissement, saute sur l’occasion. Il est Auvergnat, comme l’indique son accent (« Chalut, la compagnie »). Son avarice prend encore d’autres aspects : il fait payer toutes sortes de droits à ses nouveaux employés, incite les clients ses cousins à mettre des mouches dans les verres après consommation, afin de faire payer les consommations à ses serveurs.

Ainsi le décor est-il campé, avec tous ses lieux communs : l’avarice, la solidarité familiale, le chuintement et l’accueil de diverses amicales (danseurs de bourrée, écossais et… le « syndicat de défense des usuriers et prêteurs à la betite semaine »). Cette dernière compagnie, même si elle ne dit pas son nom, est aisément reconnaissable : prononciation d’Europe centrale, nez busqués, usure. Il est étonnant de voir ainsi dépeints les Juifs, en 1970, sous les mêmes traits que dans la propagande antisémite du début des années 1940 : Bibi Fricotin et le Juif Süss (film de 1940), même « humour » antisémite ?

Le reste de l’album montre une surenchère d’avarice et de roublardise entre Auvergnats, Écossais et Juifs, assortie de chutes, dégringolades et autres astuces de nature à susciter l’hilarité. L’aventure aurait pu culminer par le mariage entre le fils du patron et la fille de l’usurier Mouchardas. Mais, à la suite d’un épisode un peu long à exposer ici, M. Durapiat brise le dentier de M. Mouchardas, ce qui fait dire à ce dernier, dans une ultime exclamation : « Vous m’avez gazé mon dentier ! Dout est fini endre nous… Ze reprends ma fille ! ». On ne sait si le scénariste Veissid a utilisé à dessein le verbe « casser », qui permet le délicat jeu de mots (cassé-gazé), dont on peut se demander s’il est involontaire.

La comparaison entre Juifs et Auvergnats n’est certes pas nouvelle ; on la trouve déjà sous la plume de Balzac (Le cousin Pons, 1846). Mais, vingt-cinq ans après la découverte des camps d’extermination, une telle publication ne semble pas avoir ému le public. Quarante ans plus tard, il y a fort à parier que l’opinion publique, que Tintin au Congo (1931) indispose, réagirait aujourd’hui avec véhémence à ces lieux communs d’un goût douteux.

Quant à Bibi Fricotin et Razibus Zouzou, ils sont mis à la porte par le bougnat, dont ils ont fait échouer le mirifique projet d’alliance. Ce qui leur permet de reparaître dans le volume suivant (n° 80), Bibi Fricotin roi de la plage

Collection privée, Aurillac

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