Uniforme et sabre : les gardiens de prison sur leur trente-et-un
Il arrive que des échantillons de tissu aient été conservés dans les fonds d’archives, en particulier privées : il peut s’agir de carrés de dentelle ou de morceaux d’étoffe dont la destinataire pouvait commander une plus grande quantité pour réaliser ou faire faire des robes et autres habits. En revanche, ce genre d’échantillons dans les archives de l’administration pénitentiaire se fait plus rare. Ce sont pourtant deux petits carrés de drap épais qui ont été trouvés dans un dossier concernant l’uniforme des gardiens de prison cantaliens.
Le respect de la discipline est évidemment primordial dans les établissements pénitentiaires, pour les détenus mais aussi pour les gardiens. Ceux-ci sont notamment soumis à un code vestimentaire strict, défini par le ministère de l’Intérieur. Si les gardiens de prison ne sont pas des militaires, leur tenue rappelle toutefois l’uniforme de l’armée et reflète l’organisation de leur hiérarchie.
Prise en 1841, la décision de doter tous les gardiens des prisons départementales d’un uniforme vient apporter à la fonction un aspect officiel et vise à les rendre plus respectables aux yeux des détenus, leur accordant une aura d’autorité. Cependant, la composition de cet uniforme se fait attendre puisqu’elle n’est décrite que le 18 août 1852, soit onze ans plus tard.
Afin de faciliter la mise en œuvre de cet arrêté, une note circulaire datée du 31 janvier 1860 vient apporter quelques précisions quant à l’uniforme pénitentiaire. Il est alors composé d’une tunique et d’un pantalon en drap gris de fer, c’est-à-dire gris bleuté (ou bleu foncé selon le point-de-vue), à passepoil jaune jonquille le long de la jambe. Le collet est lui aussi jonquille, agrémenté d’un galon d’argent pour les gardiens-chefs. Les surveillants sont coiffés d’un phéci, ancêtre du képi, ou d’un chapeau en feutre pour les grandes occasions, et portent au côté un ceinturon de cuir noir où pend un sabre.
Peut-être la description manquait-elle de précision, ou bien les inspecteurs ont-ils remarqué une trop grande disparité dans l’application de l’arrêté. Toujours est-il que le ministère de l’Intérieur a cru nécessaire, pour aider les préfectures à commander les uniformes adéquats, d’envoyer à chacune un échantillon du drap bleuté dont les tuniques et les pantalons devront être faits : tissu un peu plus grossier pour les gardiens ordinaires, et un peu plus fins pour les gardiens-chefs. Épinglés en bas de la note, ces échantillons sont restés jusqu’à ce jour cachés parmi les archives de l’administration préfectorale chargée des gardiens de prison.
L’arrêté ministériel du 4 juin 1866 vient définir la durée d’utilisation des différents composants de l’uniforme : pantalons et phécis devront être renouvelés tous les ans, tandis que la tunique durera deux ans et le col six mois. Mais pas question de mettre au rebut les anciens habits : ceux-ci seront encore portés pour le service de nuit pendant une durée équivalente.
C’est cette règle que reprend l’arrêté préfectoral du 6 octobre 1882. Pour faire des économies, les gardiens cantaliens devront porter jusqu’à 9 heures du matin les « anciens effets d’uniforme les plus mauvais ». Ensuite, ils troqueront leur tenue pour leurs « anciens effets les [plus] propres », n’arborant leur nouvel uniforme que les dimanches et jours de fêtes, ainsi que pour les sorties. L’apparence en public doit donc être soignée.
Par ailleurs, chaussures, ceinturons et boutons devront briller quelle que soit l’occasion. Le port du sabre est de mise de jour comme de nuit, les « sabots ou souliers galoches » sont bannis, et le ministre croit bon de préciser en 1866, au cas où l’on aurait un doute sur le caractère obligatoire de l’uniforme, que « toute tenue de fantaisie est également interdite ». Imaginait-il que cent cinquante ans plus tard, ce serait cette tenue officielle qui paraîtrait fantaisiste au regard de l’équipement des gardiens actuels ?
1 Y 13