Un mot de Cambronne… en version zen (décembre 1817)
Les Archives départementales du Cantal conservent deux lettres autographes du baron d’Empire Pierre Cambronne (1770-1842), adressées à un officier aurillacois. Fils d’un sous-inspecteur des Eaux et forêts, Pierre Julien Rivière délaisse le Cantal pour intégrer l’armée impériale. Il s’y illustre certainement puisqu’en 1811, il se dit membre de la Légion d’honneur. A cette date, l’armée française est impliquée dans la campagne d’Espagne et tente de maintenir ce pays ainsi que le Portugal sous la domination de Napoléon Ier. Julien Rivière se trouve alors à Valladolid en tant qu’officier-payeur des chasseurs à pied de la Garde impériale, et constitue une procuration en faveur de son père. Parmi les témoins signataires se trouve un certain Cambronne, avec lequel Rivière va se lier d’amitié.
Le chemin des deux hommes va cependant se séparer un temps puisque Julien Rivière revient à Paris quelques mois plus tard et semble rester en France les années suivantes, pendant lesquelles il évolue jusqu’à devenir capitaine chargé de l’habillement des douze régiments de chasseurs à pied de la Garde, un poste haut placé. Le général Cambronne, de son côté, participera à la campagne de Russie. Baron d’Empire, il est un fervent partisan de Napoléon Ier, qu’il accompagne pendant son exil sur l’île d’Elbe puis lors des Cent-Jours. C’est la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815, qui le rend célèbre. Alors qu’il est grièvement blessé, il aurait répondu aux Anglais : « La garde meurt mais ne se rend pas ! », phrase controversée car elle fut désavouée par Cambronne lui-même par la suite. Mais il aura suffi qu’un journal la publie pour que cette expression reste attachée au personnage (eh oui, les fake news ne datent pas d’hier), jusqu’à ce que la plume de Victor Hugo la sacralise sous la forme du fameux mot dans Les Misérables : « et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! »
C’est donc l’image que nous gardons aujourd’hui de Cambronne, celle d’un général déterminé au caractère explosif – bien que, contrairement à l’affirmation qu’on lui prête, il ait finalement été fait prisonnier par les Anglais. C’est pourtant un tout autre homme qui écrit à Julien Rivière quelques années plus tard, en 1817. Grâce à cet échange de lettres, on apprend que Cambronne avait été débiteur de Rivière et lui avait, vers la fin de la guerre, confié une bague en gage « si il [lui] arrivoit quelques malheurs », cette bague étant d’une valeur bien supérieure à la somme due. Or il se trouva que cette bague fût volée par le domestique de Rivière, qui disparut dans la nature. Le 1er décembre 1817, Rivière prit donc la plume pour répondre à Cambronne, qui lui demandait des nouvelles du bijou, et l’informer de son sort. Le brouillon de cette lettre a été conservé, à travers lequel on sent que Rivière n’est pas tout à fait à l’aise : il se répète à certains endroits, oublie des mots, … Toutefois, on ne peut que s’ébahir devant l’aplomb du propos de cette missive. Après avoir avoué la perte de la bague, Rivière enchaîne par ces mots : « Je vous suis bien reconnaissant que vous vouliez me faire solder ce qui peut me peut être dû, cela ne doit pas être grand chose ». Non seulement Rivière ne rendra pas la bague, mais il demande en plus une compensation !
Voilà une occasion en or pour Cambronne d’énoncer en réponse son célèbre mot. Mais on ne pourra que louer la sérénité du baron, qui répond avec sagesse : « Je fais le sacrifice du plus de valeur que je perds, consolez-vous comme moi, que la guerre qui nous a été funeste n’en amène pas une entre nous ». Il poursuit en l’assurant de son souhait de le revoir en toute amitié, « pensant au plaisir d’être ensemble plutôt qu’aux infortunes de la vie ». Cette équanimité est bien loin de l’image que l’histoire aura forgée pour le général Cambronne…
116 F 29
Citation des Misérables : Victor Hugo, Œuvres complètes. Roman. 4,
publiées par Paul Meurice, puis par Gustave Simon, [Paris], 1904-1924, p. 44
Sources complémentaires : 27 J 92, correspondance de Julien Rivière à son père