Des comédiens sur la paille (1782)
Il est un moment familier des habitués du Festival international de théâtre de rue d’Aurillac : à la fin de leur spectacle, les acteurs remercient le public pour ses applaudissements et l’invite à concrétiser ses félicitations en déposant pièces et billets dans le chapeau prévu à cet effet. Ils espèrent ainsi obtenir de quoi couvrir leurs frais et repartir vers d’autres horizons pour jouer leur pièce.
Hélas, tous n’ont pas cette chance, quel que soit le lieu ou l’époque. C’est ainsi qu’en 1782, une troupe de comédiens se voit obligée de se dépouiller pour honorer ses dettes.
L’acte de vente que vous avez sous les yeux ne donne malheureusement pas la cause de ces créances, qui sont dues par les directeurs de la troupe, les sieurs Jean-Claude de Montboissier et Baptiste de Tisserin (ou Teysserent, d’après sa signature), à un négociant de Rodez nommé Roux. Alors qu’ils se trouvent à Villefranche-de-Rouergue, Roux exige des deux compères la somme non négligeable de 132 livres. En manque de liquidités, Montboissier et Tisserin se tournent donc vers un personnage important, le procureur du roi au tribunal royal de Villefranche (le présidial), qui accepte de leur fournir cette somme contre la caution suivante : « une montre en or et un cheval agé d’environ cinq ans poil be[y] brun et les tapisseries servants à la décoration du theatre ».
Il va de soi que l’époque n’est pas encore aux décors en carton-pâte. Les tapisseries constituent probablement un fond délimitant la scène, qui se joue en extérieur, et pourront être réutilisées comme tentures pour meubler un intérieur.
Le tribunal royal n’ayant pas fonction de mont-de-piété, il faut comprendre que Me Cardouel, procureur du roi, octroie aux deux directeurs un prêt sur ses propres deniers. Sans doute connaissait-il l’un ou l’autre, car la suite de l’acte nous apprend qu’il ne retiendra aucun intérêt sur cette transaction.
C’est donc sans décor que la troupe se dirige vers Aurillac pour trouver un moyen de rembourser son nouveau créancier. La solution se présente sous la forme d’un acte de vente des biens laissés en caution à Me Cardouel, dont un certain Bertrand Maurel, habitant de la ville d’Aurillac, se porte acquéreur. Passée devant les notaires Geneste et Charmes le 28 janvier 1782, la minute est signée par l’acheteur et les deux vendeurs. On remarquera que Montboissier orne sa signature d’un symbole maçonnique approximatif : cinq points, au lieu de trois, placés entre deux traits horizontaux.
Les dettes sont donc finalement apurées, mais qu’en est-il de la troupe ? Celle-ci est « presentement à Aurillac », sans qu’on nous dise si les comédiens seront en mesure de jouer leur pièce sans les tapisseries. Espérons que leur chapeau se sera toute de même assez rempli pour leur permettre de continuer leur chemin !
3 E 52/79
Merci à Lucien Gerbeau de nous avoir signalé ce document