« Saintures » et « escussons »
Des décors funéraires pour les églises d’Andelat, d’Ussel et de Saint-Maurice
Le 7 août 1672, Guillaume Parra, notaire de Roffiac et « ageant » de Jean d’Estaing, marquis du Sailhant, rencontre Jean Mourgues, peintre de la ville de Saint-Flour. Tous deux se donnent rendez-vous devant le notaire Jacques Mosnier afin de conclure un prix-fait pour des « saintures de doiel ».
L’expression peut laisser perplexe. Le terme de prix-fait, tout d’abord, désigne l’ancêtre du devis : l’artisan s’engage à effectuer les travaux décrits dans l’acte, dans un délai déterminé, pour un prix fixé entre les deux parties. Dans le cas de ce document, la commande du marquis du Sailhant consiste donc en travaux de peinture, qui seront effectués sur les églises d’Andelat, d’Ussel et de Saint-Maurice (aujourd’hui dans la commune de Valuéjols), toutes trois dépendant de la seigneurie du Sailhant. Le siège de la seigneurie se situe d’ailleurs à Andelat même, au château du Sailhant qui, du haut de son promontoire, domine le village. Mais que s’agit-il de peindre ?
Malgré l’orthographe assez approximative, on peut reconnaître l’expression que l’on transcrira de façon moderne en « ceintures de deuil ». Ces « saintures » portent aujourd’hui un nom spécifique : ce sont des litres funéraires.
Les litres sont des bandeaux de peinture noire portant les armoiries du seigneur du lieu, desquels on pouvait couvrir les murs intérieurs ou extérieurs d’une église dans les périodes de deuil de la famille en question, afin d’honorer un défunt. Dans notre cas, il n’est pas précisé à quelle occasion ces litres sont dessinées. On peut supposer que Jean d’Estaing vient de perdre une personne chère, qui n’est ni son père Charles mort en 1640, ni son épouse Claude-Marie de Combourcier du Terrail, qui décèdera en 1681. Peut-être s’agit-il de sa mère, Catherine du Bourg, dame de Sailhant, de qui Jean d’Estaing tient le titre de seigneur du Sailhant et dont la date de décès est inconnue. Mais bien que cette hypothèse permette d’expliquer l’ampleur de la commande, rien ne l’étaye actuellement.
Le prix-fait nous apprend que les litres des églises d’Andelat, d’Ussel et de Saint-Maurice devront être apposées à l’intérieur et à l’extérieur des églises. Le blason sera répété à intervalles réguliers, « de cane en cane », c’est-à-dire environ tous les deux mètres, la canne étant une unité de mesure. Guillaume Parra prend bien soin de préciser la technique qui sera utilisée : à l’intérieur « au destrampe [détrempe, mélange au liant aqueux] tant lesdites saintures que escusson[s], et au dehors lesdites saintures de mesme et les escussons a huille ». En revanche, on regrette que les motifs ne soient pas évoqués : le blason est mentionné mais n’est pas décrit. Cette indication aurait pourtant été fort utile aux historiens car les armoiries de la famille du Sailhant, visiblement connues du peintre au XVIIe siècle, ne nous sont pas parvenues.
Jean Mourgues dispose de quinze jours pour accomplir sa tâche pour laquelle il sera payé 46 livres 10 sols « immediattement ledit travail faict et parfaict et icelluy veu [vu] et veriffié ». Il est bien sûr difficile de convertir ce salaire en euros. Un livre de compte du marquis du Sailhant de 1724 nous donne quelques repères : quatre chapons coûtent alors 3 livres, et le salaire journalier des personnes qui « carde[nt] les matelas du lit de Monseigneur » s’élève à 6 sols, soit dix fois moins que ce que gagne le peintre.
Quelques églises cantaliennes conservent encore de nos jours leur litre, soit en tant que traces (Dienne ou encore Sainte-Anastasie, à Neussargues-en-Pinatelle, par exemple), soit bien visible suite à une restauration (comme à Raulhac). Ce n’est malheureusement pas le cas des trois églises qui nous intéressent, à moins que celle de Saint-Maurice subsiste sous le badigeon qui recouvre le mur intérieur. Néanmoins, le travail a bel et bien été effectué : le prix-fait est suivi d’une quittance par laquelle Jean Mourgues reconnaît avoir reçu de Parra la somme promise… quatre mois après la fin théorique des travaux.
On remarquera que Mourgues, pourtant habile à manier le pinceau, semble beaucoup moins à l’aise avec une plume : il déclare ne pas savoir signer, contrairement à Parra. L’un des témoins, le curé Beral, se distingue par une signature très brouillonne alors qu’à l’époque la tendance est à l’écriture lisible de son nom. Celle du notaire est quant à elle originale, en ce qu’elle transpose sur le J initial de Jacques, à la verticale, le M de Mosnier. Peintre ou notaire, chacun est artiste à sa manière !
3 E 263/34
Livre de compte : 1 E 387