Les Cahiers de la Misère et de l’Espoir, reflet des conditions de vie des ouvriers cantaliens
Déposés aux Archives départementales en 2013, les 30 mètreslinéaires d’archives qui composent fonds du Parti communiste (fédération du Cantal) sont actuellement en cours de classement. Parmi ces documents se trouvent les « Cahiers de la Misère et de l’Espoir aujourd’hui ».
En vue de la préparation des élections législatives de 1978, ces petits cahiers d’écoliers ont été placés dans les différentes cellules du département, essentiellement à Aurillac, mais également à Saint-Paul-des-Landes, Sansac-de-Marmiesse, Maurs et Chaudes-Aigues. Toute personne était invitée à y dire « librement tout ce [qu’elle avait] à dire ». Sans nécessairement appartenir au PCF, des ouvriers, mais aussi retraités, femmes au foyer ou agriculteurs se sont succédé pour revêtir ces pages de leurs doléances.
Si quelques-uns d’entre eux ont de véritables idées politiques, la plupart nous donnent un aperçu des difficultés de leur vie quotidienne. Ces témoignages reflètent la pauvreté dans laquelle se trouve une partie non négligeable de la population. De nombreux thèmes reviennent fréquemment, dont certains sont encore aujourd’hui d’actualité : petit salaire, encore diminué par le chômage partiel mis en place dans certaines usines aurillacoises (32h par semaine), l’épouse étant femme au foyer ou gagnant très peu, loyer et charges excessifs, difficulté à nourrir sa famille et à habiller ses enfants, très peu de vacances et de loisirs, cherté de l’essence (le prix du litre a doublé entre 1971 et 1976). Les célibataires hésitent à se marier, les parents prient pour que leurs enfants ne tombent pas malades, les médicaments n’étant remboursés que plusieurs mois plus tard. Les sorties sont limitées : le cinéma et le théâtre sont trop chers, de même que les colonies de vacances. « Quant à nos loisirs, ils consistent, l’été, grâce à notre voiture achetée d’occasion, à aller passer la journée dans quelque commun pas trop éloigné, car l’essence coûte cher, l’hiver, nous n’avons d’autre ressource que de nous abrutir devant la télé », témoigne une femme au foyer.
Les conditions de vie exposées par ces Cantaliens sont dures, mais semblent surtout injustes comparées à celles des professions intellectuelles. Le travail des ouvriers, qui estiment être la force de la France, n’est pas rémunéré à sa juste valeur. Un Aurillacois compare son salaire à celui de son chef, trois fois plus élevé. Un autre écrit : « Comparez le travail d’un bureaucrate et d’un ouvrier de chez Lafa. Est-il juste que le travail manuel ne soit pas mieux rémunéré, vu les conditions pénibles de travail, vu la cadence imposée ? ». Chacun aspire à un peu plus de confort, à pouvoir acheter un gigot pour le repas du dimanche, à profiter des mêmes loisirs que les « capitalistes » et à offrir à ses enfants une vie meilleure, loin du spectre du chômage et de la misère. Chacun souhaite bouleverser le schéma social selon lequel les pauvres restent pauvres, et les plus aisés gardent les meilleures places, mieux rémunérées.
Outre ces difficultés financières, toutes ces personnes ont un point commun : l’espoir. Lors des élections législatives de 1973, le PCF avait réuni 21,3% des voix au 1er tour, et obtenu 73 sièges à l’Assemblée. Il offrait de bons espoirs 5 ans plus tard, et son programme commun gagne l’approbation de tous les Aurillacois dont le témoignage a été recueilli dans les Cahiers. Le 12 mars 1978, le PCF rallie 20,61% des voix, soit plus de 5,7 millions de bulletins. Allié au Parti socialiste au 2e tour, il ne parviendra cependant pas à gagner la majorité, avec 48,57% des suffrages en faveur de la gauche.
Soigneusement conservés dans les archives du Parti, ces Cahiers nous offrent donc un véritable aperçu sociologique des classes les plus pauvres du Cantal dans les années 1970.
Fonds du PCF, 94 J, en cours de classement