Un établissement précurseur : l’école de filles de Molompize au XVIIe siècle
Alors qu’aujourd’hui tous les enfants de France préparent leur cartable pour la rentrée scolaire, il était loin d’en être de même il y a trois cent vingt ans. Pourtant, à Molompize, quelques enfants eurent le privilège de s’asseoir dès la fin du XVIIe siècle sur les bancs de l’école ou, pour être plus précis, des écoles. Car Molompize a la particularité d’avoir accueilli une école pour filles, en plus d’une école pour garçons, trois siècles avant la loi Falloux (1850, ouverture obligatoire d’une école de filles dans les communes de plus de 800 habitants).
Cette initiative est due au curé de Molompize, Jean Truche, qui par cet acte exposé fait don à la communauté des filles de la Croix, congrégation enseignante établie à Saint-Flour au moins depuis 1661, d’une maison dans le bourg de sa paroisse, avec jardin et vigne, le 25 octobre 1695. En contrepartie, les sœurs s’engagent à détacher comme maîtresses à Molompize deux d’entre elles « sachant bien lire, écrire, chifrer et faire les petits ouvrages convenables à leur sexe ». Il va de soi qu’à ces enseignements de base s’ajoutent le catéchisme et les principes de la foi. Afin que ces dispositions puissent profiter à toutes les familles, l’école sera gratuite.
Les Filles de la Croix pourront également nommer un maître d’école, prêtre de Molompize de préférence aux « étrangers », mais non son curé ou son vicaire, afin de prendre en charge une école de garçons. Il faut souligner ici le fait assez rare qu’un ecclésiastique confie à des femmes la responsabilité de nommer un maître pour les garçons. Le choix devra toutefois être validé par l’évêque de Saint-Flour, et la séparation des sexes, y compris pour les enseignants, reste de mise.
L’enseignement des garçons sera un peu plus complet : on y ajoute l’arithmétique, de sorte que les élèves soient à l’issue de leur scolarité aptes à entrer au collège en cinquième s’ils le souhaitent, ou poursuivent l’école jusqu’à un niveau de troisième moyennant dans ce cas une cotisation de 10 sols par mois.
Pour finir, le généreux donateur règle l’organisation de la journée des enseignants : messe le matin pour tous les écoliers, examen de conscience, chants liturgiques et oraison pour le repos de l’âme de Jean Truche le soir. En dehors des cours, le maître devra en outre assister le curé de la paroisse, tandis que les sœurs s’occuperont de l’entretien du linge et des ornements de la sacristie, et de la confection des hosties.
Le sieur Truche souhaitant garder l’usufruit de sa maison, ces dispositions ont certainement été mises en place après son décès, intervenu en 1698. Les délimitations données dans l’acte (le ruisseau de Mazelaire au midi, le chemin du Trémoulet à l’ouest, un commun au nord et une maison à l’est) laissent supposer que l’école pouvait se trouver vers l’intersection actuelle entre la route nationale 122 et la route départementale 155, à l’entrée d’une ruelle qui remonte vers la mairie. Si aucun chiffre de fréquentation ne nous est parvenu, nous savons cependant que l’école a bel et bien existé pendant quelques décennies. En 1736, malgré leur promesse, les sœurs décident de se retirer de Molompize et d’emporter les meubles. Les habitants se révoltent alors contre ce déménagement, ce qui donne lieu à un inventaire du mobilier. La présence de dix lits peut indiquer que certaines élèves venaient de loin et restaient en pension, à moins que les sœurs elles-mêmes n’aient été plus de deux sur place : on trouve parmi les vêtements « quarante coiffes des sœurs de jour, trante deux coiffes de nuit », ce qui semble beaucoup pour deux personnes. A cela s’ajoute des ustensiles de cuisine, des meubles de rangement, une cloche pour sonner l’école, « un » horloge ainsi qu’une quarantaine de livres de catéchisme et de théologie, représentant une bibliothèque bien garnie.
Les sources trop lacunaires ne nous permettent pas d’évaluer la rareté des écoles de filles en Haute-Auvergne, ni l’impact de l’enseignement donné à Molompize. A la fin du XVIIIe siècle, on dénombre au moins quatorze paroisses disposant d’une école ou d’une congrégation enseignante[1], en majorité destinées aux garçons (citons à l’est du Lioran Allanche, Murat, Saint-Flour, Chaudes-Aigues et Pierrefort). L’épisode molompizois, bien que bref, n’en semble pas moins exceptionnel dans ce contexte.
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[1] Jean-Luc Bergasol, « L’enseignement en Haute-Auvergne aux XVIIe et XVIIIesiècles », Revue de la Haute-Auvergne, t. 73, janvier-mars 2011, p. 3-24.