Une rare initiale ornée (1547)
Sur le verso du premier feuillet de ce cahier de parchemin, on ne voit qu’elle : une magnifique lettre ornée dans un carré de 16 cm de côté. Les couleurs sont variées et vives, si ce n’est l’argent qui s’est oxydé. Elles forment et remplissent des motifs géométriques et floraux, si bien que l’on distingue à peine la lettre au centre de cette effusion : le A de l’adresse « A tous ceulx qui ces presentes lectres verront ».
S’il n’est pas rare de trouver des lettrines particulièrement élaborées dans les terriers des riches seigneurs, ces livres où sont détaillées pour chaque tenancier les terres (maisons, granges, jardins, prés…) qu’il tient et les redevances qu’il doit audit seigneur, ce genre de décor est plus rare pour une simple transaction.
Rare également est la forme de ce document : alors qu’un acte passé devant notaire est généralement expédié, c’est-à-dire copié au propre, scellé et remis aux parties, sur un unique feuillet de parchemin, nous avons ici l’expédition de quatre actes à la fois sur un cahier de huit feuillets (la fin est malheureusement manquante). Pour parer à la difficulté d’apposer des sceaux sur ce document, cinq trous ont été percés le long du pli de la reliure : il faut sans doute imaginer des fils cousus comme une reliure de haut en bas, et en bas desquels étaient apposés les sceaux. La partie inférieure des feuillets comporte elle aussi trois trous, ce qui paraît intriguant. Il est peu probable que tous ces feuillets aient été attachés ensemble par le bas, car il aurait alors été impossible de lire le document sans détruire sa validité. Il faut donc supposer qu’une lanière reliée aux sceaux serpentait sur chacune des pages individuellement, afin de certifier que chaque feuillet faisait bien partie du document scellé.
De quoi s’agit-il donc ? D’une permutation, acte que l’on peut trouver par centaines dans les archives notariales. Elle implique cependant deux parties qui ne sont pas des moindres : l’abbé et le chapitre de Saint-Géraud d’Aurillac d’une part, et le receveur des tailles Pierre de Combes d’autre part. Chargé de collecter les impôts royaux, Pierre de Combes fait certainement partie des habitants les plus riches d’Aurillac. Il a récemment acquis le domaine de Lamartinie (« La Martinha ») à Ytrac, qui dépend de l’abbé et du chapitre de Saint-Géraud. En tant que tenancier il doit verser, ainsi qu’un autre habitant du village, un loyer annuel appelé cens, composé de seigle, d’avoine, d’argent, de deux poules et d’une charretée de bois. Or, pour une raison qui nous est inconnue, les tenanciers (Pierre de Combes et son voisin) et l’abbé d’Aurillac Charles de Saint-Nectaire sont en procès à propos du paiement de ce cens.
Un procès étant long et coûteux, il est fréquent de se rapprocher de son opposant et de lui proposer une « transaction », c’est-à-dire un accord. Dans notre cas, ce n’est pas tant l’argent perdu que la volonté de se concilier les bonnes grâces du seigneur-abbé d’Aurillac qui pousse Pierre de Combes à négocier avec l’abbaye. Le recouvrement de cette rente posant problème, Pierre de Combes propose à l’abbé et au chapitre un échange : le cens sur Lamartinie lui reviendra totalement tandis qu’il donne à Saint-Géraud le cens qu’il prend sur deux tiers du village de « Brossette » ou « Brosse »[1].
Les quatre actes du cahier de parchemin correspondent ainsi aux étapes de cette transaction : premièrement, la présentation de la supplique de Pierre de Combes au chapitre réuni dans la salle consulaire et la désignation de commissaires chargés de se rendre sur place pour évaluer l’intérêt du chapitre dans cette permutation ; deuxièmement le retour des commissaires et l’accord du chapitre en faveur de l’échange (Lamartinie est qualifié de « pays fort maigre » tandis que Broussette est une « grande étendue de terroir bon et fertil ») ; troisièmement la transaction entre l’abbé et Pierre de Combes ; et quatrièmement la ratification par le chapitre de l’acte précédent. Le tout se déroule entre le 18 avril et le 15 mai 1547.
Il est difficile de savoir pourquoi ce document a fait l’objet d’un si beau décor. Son histoire reste mystérieuse car il est récemment entré dans les fonds des Archives départementales grâce au don généreux d’un particulier. Peut-être cette copie a-t-elle été demandée par Pierre de Combes : le blason à l’intérieur de la lettrine n’a pas encore pu être identifié mais ne correspond pas à ceux de l’abbaye Saint-Géraud ou de Charles de Saint-Nectaire. Ce mystère n’enlève cependant rien à sa beauté, qui a peu d’égal aux Archives départementales du Cantal…
1 J 1155
[1] Lieu-dit Brousse actuel ? (le Dictionnaire topographique d’Amé signale un village de La Broussette, différent de celui de Brousse).