La « feuille de paie » d’un émigré : une pension pour Jean de Dieu Gaëtan de la Ronade (1817)
Arborant ses 38 tampons, voilà une feuille qui n’aura pas été négligée !
Il s’agit à l’origine d’un courrier adressé par le Directeur général de la Maisonde Louis XVIII à Jean de Dieu Gaëtan (orthographié ici Cajetan), chevalier de la Ronade, répondant à une requête de ce dernier. Nous sommes sous la Restauration, après la période tumultueuse de la Révolution ayant poussé les nobles à émigrer, et deux ans après la chute définitive du Premier Empire. La noblesse cherche à retrouver son prestige et n’hésite pas à rappeler au souverain qu’elle lui est restée (plus ou moins) fidèle pendant les années difficiles.
Jean de Dieu Gaëtan de la Ronade fait partie de ces hommes ayant servi le comte de Provence, futur Louis XVIII, à l’étranger pendant ses années d’émigration. Né le 7 août 1769 à Mexico, aux « Indes espagnoles », il est issu d’une grande famille sagranière (de Salers). Son père Antoine Ignace André de la Ronade est officier au service du roi d’Espagne, et sa mère, Marguerite Tournier, restera tristement célèbre dans le Cantal comme la seule victime de la guillotine du département ; elle avait 72 ans.
Sans se douter du sort qui serait réservé à sa mère, Jean de Dieu Gaëtan de la Ronade prend parti pour la monarchie en 1791 et décide de rejoindre l’Armée des Princes, dirigée par les frères du roi Louis XVI, dans l’intention de reprendre la France aux Révolutionnaires par les armes. Il entre en 1793 au service du prince de Condé, d’abord dans la cavalerie noble puis comme lieutenant dans le régiment des dragons de Fargues. Licencié de l’armée en 1801, il ne revient à Salers qu’en 1811.
Sans surprise, les biens de sa famille ont été confisqués et vendus comme biens nationaux. Seule lui reste la maison encore appelée de la Ronade, qui trône aujourd’hui place Tyssandier d’Escous à Salers. Se trouvant fort démuni, le chevalier de la Ronade va faire appel à son souverain.
Ses années de service sont effectives, et Jean de la Ronade dispose des diplômes le confirmant, cependant le système de pension du ministère de la Guerre est strict : quelle que soit la fidélité ou la bravoure dont on ait fait preuve, il faut avoir servi pendant 19 ans pour en bénéficier. Notre jeune retraité va toutefois contourner la règle en obtenant un secours exceptionnel pris directement sur les deniers du roi, le trésor de la Liste civile.
Cette Liste civile est la petite sœur de celle créée en 1790 pour le roi Louis XVI, alors que la monarchie constitutionnelle se mettait en place. Il s’agit d’une dotation en argent et en biens attribuée par la Nation au roi afin qu’il puisse subvenir à ses besoins et mener un train de vie digne de son titre. Réapparue sous la Restauration, elle constitue une réserve dans laquelle le roi peut puiser pour récompenser ses sujets méritants. Jean de la Ronade obtient ainsi une pension de 1 000 francs par trimestre, ce qui est sans doute moins que ses gages de lieutenant, mais représente bien plus que le salaire moyen du bas peuple.
Il va de soi que la pension n’est pas versée sans contrôle préalable. Celui-ci est même exigeant, puisque chaque trimestre le bénéficiaire doit se présenter aux Tuileries à Paris, prouver qu’il ne touche aucune pension d’un autre ministère et justifier de son identité en présentant un « certificat de vie » signé du maire et du sous-préfet.
Ce courrier n’était pas conçu comme une carte à tamponner. Par conséquent, l’employé du Trésor appose son tampon là où il sera le plus visible, afin qu’il n’y ait aucun risque que l’argent soit réclamé une deuxième fois ; alors que les deux pages suivantes sont vierges, il ne reste plus un espace vide sur la première. Cette pension sera versée de 1816 (un courrier précédent contient les tampons de l’année 1816, celui-ci datant de 1817) à 1826, date à laquelle son montant chutera à 150 francs.
Mais le chevalier de la Ronade avait d’autres moyens de subsistance. Le fait qu’il ait été maire de Salers de 1832 jusqu’à sa mort en 1839 prouve qu’il n’avait plus besoin du secours du roi pour mener une vie digne de son rang.
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