Procès en diffamation à Saint-Flour (1612)
Un corbeau plane sur Saint-Flour… Destinataires d’une lettre chargée d’insultes et d’accusations morbides, les époux Pierre Sauret et Lucie Boyer se constituent demandeurs devant Jean de Bonafos, juge royal ordinaire du bailliage de Saint-Flour, et accusent leur nièce Catherine Malbec d’être à l’origine de ces diffamations. Le procès-verbal de l’audience, daté du 15 mai 1612, rend compte du déroulement et de l’issue de ce procès.
Chacune des parties est présente en la maison du juge, en compagnie de son ou ses procureurs, des juristes qui les assistent et s’occupent des actes de procédure. Comme leur titre l’indique, ils sont désignés d’office si les parties ne font pas appel à un procureur de leur choix. Pour les procès de moindre importance comme celui-ci, les demandeurs ont la possibilité de contourner la procédure habituelle de jugement, très longue, qui se déroule au tribunal, et d’obtenir un jugement en-dehors des heures d’audience, par-devant le juge en sa maison ; c’est cette solution qu’ont choisie les époux Sauret et Boyer.
Après avoir juré sur les Évangiles de dire la vérité, Catherine Malbec est dûment interrogée. La formulation des questions n’est pas laissée au hasard, et ne lui donne aucune possibilité de dénier sans mentir : elle affirme n’avoir jamais « pansé a escripre, ny faire ny avoir escript ny faicte ny envoyée ladite lettre, ny dict et profféré les injures portées par icelle ». La dénégation est ferme et complète. Comme le signale la mention « Exped. » dans la marge, une copie de cette déclaration, appelée expédition, sera fournie aux demandeurs : dans une société où la réputation tient une place essentielle, la réparation d’honneur a son importance.
La lettre en question est présentée comme pièce à conviction. Lecture en est faite lors de l’audience et, bien qu’elle n’ait pas été conservée, le procès-verbal garde une trace de son contenu, en particulier la liste d’injures proférées à l’encontre de Pierre Sauret : « yvroigne, usurier, penitentier, larron, […] gros Jehan ». Nous avons ici un lexique varié, d’autant plus intéressant que les procès-verbaux de ce genre font partie des rares documents ayant conservé un vocabulaire essentiellement populaire et oral.
Quant aux insultes contre les femmes, elles ont un caractère plus sexuel (faire un enfant en secret, en avoir de deux frères) mais aussi plus concret : ce n’est pas simplement un comportement qui est dénoncé, mais des faits qui sont cités. Qu’en est-il de la vérité ? Le corbeau a-t-il visé juste, ce qui implique qu’il soit proche de la famille pour être au courant, ou bien Catherine Malbec avait-elle déjà formulé des mensonges similaires auparavant, ce qui fait d’elle une coupable toute désignée ? Le caractère bénin du procès ainsi que son issue à l’amiable nous ferait plutôt pencher pour une banale querelle de famille. L’histoire ne dit pas si Catherine Malbec était réellement l’auteur de cette lettre. Toujours est-il que ses accusateurs semblent convaincus, si ce n’est de ses dénégations, du moins de ses excuses.
ADC, série B (en cours de classement)
Commentaire établi par Lucie Dorsy, stagiaire de l’Institut national du patrimoine aux Archives départementales du Cantal