Nuits révolutionnaires à Aurillac (1789-1791)
L’été 1789 fut, comme on le sait, agité en France ; villes et campagnes étaient en alarme : l’incertitude politique, la crise frumentaire, la peur et l’agitation provoquèrent la multiplication des milices, que le pouvoir central et les villes se hâtèrent d’organiser et de contrôler. Le règlement voté par le « Conseil municipal de la Ville d’Aurillac » le 24 septembre 1789 « détermine le service de la Milice nationale formant la Garde bourgeoise de la Ville ». En son article X, elle prévoit la tenue d’un registre où l’Officier commandant la garde de nuit devra noter, chaque matin, « il n’y a rien de nouveau » ou « tel événement est survenu dans la nuit ».
Le registre tenu entre le 17 octobre 1789 et le 14 septembre 1791 est parvenu jusqu’à nous ; il fait partie des archives communales de la ville d’Aurillac déposées aux Archives départementales, qui font l’objet d’un (re)classement général.
Que se passe-t-il à Aurillac dans les premiers mois de la Révolution ? On apprend d’abord que les Aurillacois ne se précipitaient pas pour la garde de nuit : le jardinier Antoine Berthou et le cabaretier Pierre Cassan se cachent en ville pour se défiler, sous les prétextes les plus divers et parfois les moins convaincants (comme celui d’être déjà au lit). Le 12 février 1791, Courchinoux, qui se dit infirme, prétend se faire remplacer à prix d’argent par « un homme qui n’est point inscrit dans la garde nationalle de cette ville ». L’une des missions principales des patrouilles est de rechercher ceux qui ne veulent pas monter la garde… Faut-il y voir déjà la mince ardeur des Cantaliens au service militaire, mise en lumière par Jean-Pierre Serre pour la période impériale ? À partir de l’été 1790, l’absentéisme est si important que le commandant décide parfois de fermer le corps de garde et de se retirer.
La nuit est parfois festive. Le 1er décembre 1790, à minuit et demi, un détachement de la garde a « accompagné a l’église M. Perret, officier municipal, et assisté à son mariage avec Mademoiselle Prince ». René Monboisse a souligné la fréquence de ces mariages nocturnes dans les familles nobles et notables au XVIIIe siècle, précisant que cette coutume perdura jusqu’aux années 1930. Il s’agit ici de Jean-Baptiste Perret, futur maire d’Aurillac et baron d’Empire. La nuit du 15 au 16 février 1791, cinq jeunes gens se font rosser par quatre hommes, dont « deux inconnus faisant donner des aubades avec la vielle » ; on est alors dans la période du carnaval, période propice aux réjouissances mais aussi aux violences. Les cabarets font parfois un peu de bruit après onze heures, comme ces « gens qui buvaient et jouaient chez Julhe cabaretier de la rue des Forgerons » à minuit et demi ; ledit Julhe prétend alors qu’il boit avec ses amis. Ou bien ils demandent main forte à la garde pour faire payer les clients qui refusent de le faire.
Mais le registre signale surtout les événements marquants, troublant l’ordre public, survenus la nuit à Aurillac. Le 24 novembre 1789, on entend du bruit dans la prison ; « vérification faitte, il a été prouvé que c’étoit le concierge qui maltraitoit son epouze, et que l’un et l’autre étaient dans le dernier etat d’yvresse. Rien au surplus de nouveau ». Difficile de mettre le concierge de la prison au violon, comme l’on fit pour Silvestre, qui « maltraitoit sa femme » et fut consigné pendant « quatre heures au corps de garde ». Le cheval de Ginioux divague au pré Mongeal ; il est mis en fourrière chez l’aubergiste de la Porte d’Aurinques. Des coups de fusils sont tirés en l’air par des particuliers. Le 14 novembre 1790 au soir, le ferblantier Baduel se répand en imprécations rue du Buis et rue Saint-Jacques, menaçant de « raser » avec son sabre ceux qu’il rencontre ; la nuit du 29 au 30 janvier 1791, le même Baduel, avec deux autres « libertins », menace le lieutenant de la patrouille de le « partager » avec son sabre. Quelques pochards un peu excités, des « étrangers » (c’est-à-dire originaires de Lyon ou de Montauban), un feu vite éteint au « n° 221 portail des Frères » à la Noël 1790 : les épisodes sont parfois minuscules. Mais ils ne le sont pas pour tout le monde : c’est ainsi que, le 22 novembre, à 10 h du soir, le sieur Petit requiert la garde d’aller chercher sa femme chez Alison, aubergiste rue du Prince ; celle-ci emmène la petite troupe chez un voisin, que l’on trouve en effet au lit avec la femme de Petit. Voyant que le cocu menace de rosser sa femme, la garde emmène prudemment l’épouse volage chez son père. Le nommé Vareille, aubergiste de la rue du Buis, a chez lui des filles de mauvaise vie. Deux « etudians en theologie » se donnent des coups de bâtons rue des Forgerons. La nuit avant le 1er mai 1790, un nommé Taussac traîne une charogne dans les rues, accompagné d’un grand nombre d’enfants ». Dans la nuit du 23 au 24 mai 1790, Jacques Boissier est surpris « nanty d’un grand faix de genets secs pliés en fagot » ; il avoue que « la grande misere où il est l’avoit seulle porté » à voler ce fagot. On le croit, mais, comme il a été amené par une patrouille, on le met au violon jusqu’au lendemain ; plusieurs « particuliers » attestent « la probité de Boissier ». Le 20 février 1791, à deux heures du matin, le lieutenant Bouyssou entend « soner la cloche qui sert à l’appel des messes » ; il va dans l’église, trouve un prêtre communaliste, Breisse, qui se dispose à dire la messe, lui dit l’heure ; « il nous a avoué que trompé par le clair de la lune, il avoit cru de plus entendre soner cinq heures et demi ».
Le climat social semble se tendre à l’été 1791. Le matin du 23 mai 1791, à la réquisition des officiers municipaux, un piquet les accompagne pour perquisitionner le « chateau Saint-Etienne », demeure de l’évêque, où rien de « suspect » ne fut trouvé. Le 3 septembre suivant, des « particuliers » signalent la présence d’une caisse chez le sieur Champanel, « qui paroissoit contenir » des fusils ; mais, « visite faite, ladite caisse n’a paru contenir que des harnais ». La nuit du 7 au 8 septembre, la patrouille rencontre « deux hommes habillés de blanc qui arrachoit des affiches » ; mais il apparaît que ces affiches sont dirigées contre des particuliers, on les laisse se « retirer ». La nuit du 10 au 11 septembre, « le nommé Goutanegre fils rouloit dans la ville monté sur un cheval battant du tambour de basque, repettant ce que le trompette de ville avoit afiché et publié dans la journée de la part de M. le Mere etc. concernant les lettres patentes, et qu’il avoit l’air et le jeu de se moquer de la municipalité ». Il s’agit probablement de la constitution du 3 septembre 1791 ; on ne retrouve pas Goutanegre.
Les nuits révolutionnaires d’Aurillac sont, au moins jusqu’en septembre 1791, dans la continuité de celles de l’Ancien Régime ; l’agitation nocturne éventuelle est de droit commun, jamais politique. On ne sent monter l’inquiétude et la suspicion qu’à partir de l’été 1791.
ADC, E DEP 1500, en cours de classement
Bibliographie :
Sur les mariages de nuit au XVIIIe siècle, cf. article de René Monboisse : http://archives.cantal.fr/ark:/16075/a011333014698YB2nIh
Règlement de la milice nationale d’Aurillac (1789), ADC D BIB 290-9 : http://archives.cantal.fr/ark:/16075/a011345818129GqlHPi