Une lettre-herbier tirée de la correspondance du comte Edouard de Dienne (1893)
Issu d’une famille de l’ancienne noblesse cantalienne, le comte Edouard de Dienne (1848-1920), bien que résidant essentiellement au château de Cazideroque dans le Lot-et-Garonne, avait gardé un lien avec la terre de ses ancêtres. Il est notamment l’un des contributeurs majeurs de la connaissance historique du Carladès, grâce à la publication en 1900, en collaboration avec Gustave Saige, archiviste de Monaco, des Documents historiques relatifs à la vicomté de Carlat. Cet important ouvrage regroupe une édition du chartrier de la vicomté conservée aux Archives du Palais de Monaco et une étude sur cette même vicomté.
Les archives du comte nous permettent de retracer la genèse de ce projet, alors qu’il s’intéressait à Jacques d’Armagnac, duc de Nemours et vicomte de Carlat : sa correspondance avec sa femme, trouvée parmi ses notes sur la famille d’Armagnac, nous dévoile les péripéties de ses excursions sur les pas du duc de Nemours en septembre et novembre 1893.
Ces quelques lettres nous laissent entrevoir un homme bavard, ayant le souci des détails et se confiant à son épouse comme à un journal intime, lui faisant part des évènements de la journée, des derniers potins ou de ses étonnements (« Imaginez-vous que Roquecourbe est éclairé à la lumière électrique ? »). On le découvre également économe, préférant organiser ses déplacements en fonction des transports publics plutôt que de louer une voiture privée (quitte à faire 9 km à pied lorsqu’il manque le passage de la voiture !), et gourmand, dévorant sans grand scrupule les pots de confiture qu’on lui avait confiés à l’intention de sa femme.
La description qu’il fait de son itinéraire nous donne un aperçu des paysages et des lieux qu’il parcourt. Le 7 septembre, il raconte : « … je me fis conduire à l’hôtel, je changeais (sic) de costume et portant d’une main ma malle, de l’autre mon pardessus et mon cachepoussière, je me dirigeais (sic) vers l’écurie d’où part le courrier de Labrousse, dans la rue de N. D. aux Neiges [rue des Carmes], un peu plus haut et du même côté que cette église ». La diligence le mène à Arpajon, « clef de la vallée de la Cère, que sa jolie église neuve, romane, toute blanche, domine », et dont il trouve la situation « ravissante ». « La route monte d’abord au milieu de terres où on lit de temps à autres sur des piquets : chasse gardée. On y attache aussi en petites gerbes placées toutes droites l’une près de l’autre le blé noir. C’est le grand travail du moment ». Il passe ensuite devant la pépinière départementale, « parc anglais avec portes rustiques et allées dessinées », puis arrive à Labrousse où l’accueillent de « grandes étendues de montagnes couvertes de bruyères, de fougères et de genêts » et un point-de-vue sur le Puy Griou, semblable à un « énorme pain de sucre ».
Son voyage est l’occasion de rencontrer des personnalités qui pourront l’aider dans ses recherches, le bibliothécaire municipal à Castres, ou encore Marcellin Boudet au château de la Ribe à Polminhac, où il est invité à « carladésier », selon le néologisme de Boudet. Ces séances de travail, passées à relire les chartes, semblent très productives.
Mais il semble que l’objectif d’Edouard de Dienne ne soit pas purement utilitaire : il profite de ses journées pour visiter les villages qui appartenaient à la vicomté de Carlat (Labrousse, Roussy, Teissières-lès-Bouliès, Saint-Julien-de-Toursac, etc.) et effectue en quelque sorte un pèlerinage au château de Roquecourbe, près de Castres, où se sont mariés Bernard d’Armagnac et Eléonore de Bourbon, et où, suppose Edouard de Dienne, est né leur fils Jacques d’Armagnac.
Si Antoinette de Dienne ne se joint pas à son mari lors de ce périple, il semble malgré tout que le comte l’associe à ses découvertes : il mentionne le 16 novembre des livres qu’ils ont vus ensemble à la Bibliothèque nationale, portant l’ex-libris de Jacques d’Armagnac et l’inscription les attribuant à l’une de ses bibliothèques, « Pour Castres » ou « Pour Carlat ». L’insertion dans l’une de ses lettres d’un brin de buis cueilli à Roquecourbe est sans doute une manière de lui faire partager son voyage, en plus d’être le témoignage d’une affection qui s’exprime à la fin de tous ses courriers (« Je n’ai que la place et le temps de vous embrasser, et je le fais de tout mon cœur »). A défaut de confiture, Mme de Dienne se contentera d’un herbier !
81 J