Un illusionniste à Aurillac ? (début XIXe siècle)
Le « tour de la bague et de la tabatière », « tour sur des jetons » ou le plus classique « tour de cartes », ce n’est pas le type de sujets que l’on s’attend à devoir traiter lors d’un classement d’archives communales. Ce document plutôt rare, qui explique et décrit ces tours de magie, provient pourtant bien des archives de la ville d’Aurillac.
Nous ne savons pas qui est à l’origine de ces quelques lignes manuscrites. Le texte n’est ni signé ni daté. L’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit d’un membre de la famille Grognier. À plusieurs reprises les archives de cette famille se confondent avec les archives de la ville d’Aurillac. C’est ainsi que l’on y trouve les papiers d’Antoine Grognier, huissier près le tribunal civil de la ville. Ce dernier eut quatre enfants qui portèrent tous le prénom de Louis-Furcy. Le plus jeune des ses fils, Louis-Furcy Grognier (1787-1863), fut maire d’Aurillac, ce qui explique la présence de ces archives privées dans le fonds des archives communales.
Si nous ignorons qui est à l’origine de ce texte manuscrit, en revanche nous connaissons son véritable auteur. Car il ne s’agit pas d’un texte original mais d’une copie. Ces tours sont extraits d’un ouvrage intitulé « Introduction à l’algèbre à l’usage des ingénieurs du cadastre, et des élèves qui se destinent à l’École Polytechnique, à la Marine, à l’Artillerie et au Commerce » par A. A. L. Reynaud (1804).
À la page 147 débute le chapitre « Problèmes amusans » duquel sont extraits ces tours. Pour le véritable auteur de ce texte, « faire connaître la simplicité des procédés à l’aide desquels on trompe l’homme crédule en entretenant son illusion, c’est le prémunir contre les charlatans de toute espèce », il s’agit « de dévoiler les grands mystères des faiseurs de tours, en faisant connaître par quel combinaison de calcul, on parvient à des résultats si ingénieux, si variés, et si merveilleux même pour le vulgaire, que celui-ci ne pouvant en saisir les causes naturelles, est toujours disposé à leur attribuer des idées de magie et de sortilège. »
En nous donnant la solution et en nous expliquant comment reproduire ces tours, Reynaud nous montre qu’ils reposent en réalité sur une logique toute mathématique. Il brise ainsi la règle du secret qui veut que les magiciens ne divulguent jamais leurs trucs.
Prenons pour exemple le tour de carte qu’il nous propose. Pour le comprendre il faut avoir à l’esprit un principe simple : si l’on considère la première carte d’un jeu comment faisant suite à la dernière, l’ordre dans lequel les cartes se succèdent n’est jamais dérangé quand on coupe le jeu un nombre quelconque de fois. C’est sur ce principe que repose la plupart des tours de cartes.
Par exemple si on utilise un jeu de six cartes qui se succèdent ainsi 1, 2, 3, 4, 5, 6. Il s’agit de prouver qu’en coupant d’une manière quelconque, les cartes se succéderont encore dans le même ordre. Dans cet exemple si on coupe entre 3 et 4 ; le jeu sera alors disposé de cette manière 4, 5, 6, 1, 2, 3. La carte 4 qui sera la première sera encore suivie des cartes 5 et 6, et la carte 6 des cartes 1, 2 et 3. Il faut se convaincre de l’exactitude de ce principe qui est indépendant du nombre de carte et du nombre de coupes.
Pour chaque tour l’auteur nous donne la solution ainsi qu’un exemple de cas pratique. En suivant ces instructions et avec un peu d’entraînement le lecteur peut arriver à reproduire ces tours.
C’est peut être ce qu’a essayé de faire notre mystérieux Aurillacois. Était-ce un véritable illusionniste ou tout simplement un amateur éclairé ? Impossible de le savoir. Il semble toutefois plus probable qu’il s’agisse d’un étudiant ou d’un amateur de mathématique amusante qui s’est contenté de recopier l’ouvrage de Reynaud pour son propre usage.
ADC, E DEP 1909