A vos dés, citoyens ! Un jeu de l’oie révolutionnaire
Apparu aux alentours du XVIe siècle, le jeu de l’oie n’a cessé de séduire les joueurs grâce à ses règles simples mais permettant de nombreux rebondissements. Bien souvent, les artistes le dessinant ont laissé libre cours à leur imagination, visant l’originalité ou cherchant à illustrer un thème précis. C’est ce que l’on observe dans ce jeu de la Révolution française gravé par Louis-Marie Normand (1789-1874) d’après un dessin datant probablement de 1791.
Jetez les dés et laissez-vous conduire de la prise de la Bastille à l’instauration de la monarchie constitutionnelle deux ans plus tard, le 4 septembre 1791, après un parcours de 62 étapes. Mais gare aux pièges qui parsèment le chemin. Ils sont aussi traîtres que dans un jeu de l’oie traditionnel, avec en supplément une teinte révolutionnaire : un Café du Caveau en guise d’hôtel, où les aristocrates passent leur tour, un labyrinthe à l’image du Châtelet de Paris, devenu prison pour grands criminels, un puits où l’on envoie au diable les « rats de cave », et un retour à la case départ qui glorifie les premières victimes de la Révolution : Joseph François Foullon, contrôleur des finances, son gendre Louis Bénigne François Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, et Jacques de Flesselles, prévôt des marchands de Paris. Si vous tombez sur l’une des treize cases Parlement, ces cours souveraines qui exerçaient la justice au nom du roi et faisaient appliquer ses lois, profitez-en pour faire un pied de nez aux officiers caricaturés en oiseaux jaseurs avant de relancer les dés.
Véritable support de propagande, chaque case rappelle aux joueurs les bénéfices apportés par la Révolution, avec en premier lieu la suppression des impôts tant demandées dans les cahiers de doléances : abolition de la dîme et de la gabelle (une livre de « bon sel » ne coûte plus qu’un sou), et suppression des taxes sur les céréales circulant à l’intérieur du royaume. La justice est réformée : elle devient « gratis », les justices de paix maillent le territoire au plus près des citoyens, et la guillotine offre à tous les condamnés à mort une fin « honorable ». Même s’ils ne sont pas explicites, les trois piliers de la devise ne sont pas en reste : suppression des droits féodaux, égalité des partages entre héritiers et ouverture de la citoyenneté aux juifs illustrent les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
Les prisonniers de l’Abbaye de Saint-Germain des Prés auront le temps d’admirer les illustrations, qui font elles aussi l’apologie de la Révolution : armes de la Nation qui prend son destin en mains, bonnets phrygiens, feuilles de chêne évoquant les arbres de la liberté et cornes d’abondance, tableau idéalisé d’un régime politique qui ne survivra qu’une année.
Un terme-clé revient à plusieurs reprises, celui de Nation, une et indivisible, au nom de laquelle les inégalités sont abolies, et qui incarne le Peuple français libre de définir ses lois. C’est elle qui ramène le roi de Versailles à Paris, puis arrête sa fuite à Varennes, et qui se substitue au droit divin en imposant à Louis XVI la signature d’une constitution, étape ultime de cette course à l’Histoire.
Alors à vos dés, citoyens ! Parcourez vous aussi ce jeu de la Révolution qui fourmille de détails et recèle encore quelques surprises…