Une Talizatoise méconnue : Émilie Tillion née Cussac, historienne d’art, mère de Germaine Tillion et résistante gazée à Ravensbrück en 1945
Née à Talizat le 20 février 1876, fille de François Cussac (lui-même né à Alleuze en 1849), notaire dans le Puy-de-Dôme, et de Marie-Antoinette Vivier, Émilie était la mère de l'ethnologue et grande résistante Germaine Tillion, qui fut déportée avec elle. Germaine Tillion, grand-croix de la Légion d’honneur, est morte à cent ans, le 19 avril 2008.
Écrivain et critique d'art, sa mère Emilie Tillion (ici photographiée vers 1900) a créé la collection des « Guides bleus » chez Hachette, avec son mari Lucien Tillion. Ce dernier étant mort en 1925, elle élève seule leurs deux filles, Germaine et Françoise, et termine les trois gros volumes de « Pays d'Europe ». Agent P1 et boîte aux lettres du Groupe du musée de l'Homme dès octobre 1940 (c'est elle qui a la connexion avec les grands écrivains et artistes du réseau), elle est arrêtée avec sa fille Germaine le 13 août 1942 pour avoir organisé l'évasion de condamnés à mort, sur dénonciation de l’abbé Robert Alesch, curé de Saint-Maur-des-Fossés et agent double à la solde des nazis. Elle est internée à la prison de la Santé, à la prison de Fresnes, puis au fort de Romainville avant d'être déportée, le 30 janvier 1944, à Ravensbrück. Elle y est assassinée par le gaz, à l’âge de 69 ans, le 2 mars 1945, comme le signale une mention en marge de son acte de naissance.
Les archives départementales ont acquis un dossier composé de souvenirs familiaux. Trois cahiers manuscrits, numérotés 2, 3 et 4, indiquent le détail des 45 colis adressés à Émilie Tillion durant sa captivité, probablement rédigés par son amie Marguerite Monmarché (femme du directeur de Hachette), d'avril 1943 à août 1944, date à laquelle, il est indiqué : « colis devenus impossibles ». Le 2 mars 1947, deux ans après sa mort, est inauguré un monument à sa mémoire au Parc-Saint-Maur ; on conserve les réponses adressées à Germaine Tillion (parfois surnommé Couri ou Koury) aux invitations qu’elle a envoyées. Les lettres de ces anciennes compagnes de Ravensbrück, dont on comprend à travers les lignes qu’elles essaient à grand peine de reconstruire leur santé et leur vie (beaucoup sont devenues de « jeunes mamans », et elles se perdent un peu de vue), témoignent des liens de solidarité tissés dans ce camp d’extermination de femmes. De tous horizons sociaux et culturels, elles veulent vivre, tout en se gardant de la tentation d’oublier et de taire ce qu’elles ont vu et vécu dans l’enfer concentrationnaire nazi ; elles veulent aussi que justice soit faite.
« Cette noble femme, symbole de courage, tranquille d’abnégation, d’amabilité toujours souriante, est une figure que n’oublieront jamais les personnes qui l’ont connue » (Marie-Jeanne Stout). « J’ai passé huit jours dans sa cellule à la Santé, temps qui a passé beaucoup trop vite car nous avons discuté de mille choses, littérature, musique, etc. qui nous transportaient très loin en dehors des murs de la prison » (May Renault, sœur du « colonel Remy). « Elle reste parmi un de mes souvenirs lumineux de Ravensbrück et je suis heureuse de savoir que sa mémoire est ainsi honorée. Tu serais chic de me donner signe de vie et un petit compte-rendu de la fin du procès de Hambourg. Pourrais-tu me dire si nos chers amis ont été exécutés et à quelle date ? » (Docteur Louise Le Porz). « Rescapés des bagnes, nous pouvons apprécier mieux que quiconque toute l’épouvantable tristesse des morts de là-bas et toute la considération que nous devons avoir pour ceux qui, quel que fut leur âge, ont résisté aux barbares » (A. Goupille). « Je l’ai bien connue au [bloc] 15, j’habitais sa rangée de lit, elle était bien patiente et me souriait quand je m’excusais de la déranger si souvent en passant, je ne pensais pas qu’elle avait cet âge, pauvre dame ! » (L. Maireau). « Je suis si heureuse et si fière d’avoir connu ta chère maman ! Je ne puis oublier sa rayonnante personnalité, ni les petites conférences clandestines qu’elle avait organisées pour que je puisse parler du ‘Casabianca’ de mon cher grand frère » (Jeannette L’Herminier). « J’étais souvent à côté de la maman Tillion pendant les appels et nous parlions longuement. J’étais au block 15, puis 27, puis 32, matricule 47.288 » (Marcelle Lebourgeois).
Comment, pour finir, ne pas s’associer aux propos du maire du Parc-Saint-Maur, le jour de l’inauguration du monument ? « Parmi nos héros nationaux qui se battirent pour libérer notre pays, la douce et compréhensive personnalité de Mme Tillion est une des plus nobles et son œuvre une des plus glorieuses, bien que sa tâche constante fut humble et ignorée ».
ADC, 1 J 805