Les statues néo-classiques du notaire de Maurs (1805)
Ce 31 mai 1805, le « sieur Jean-Baptiste-Antoine-Benoît Jalenques, notaire à Maurs », est fort mécontent. Il fait constater par le juge de paix du canton, François Cantarel, que les statues de plâtre que vient de lui faire livrer un statuaire de Clermont-Ferrand sont en piteux état. « La douce mélancolie » est fêlée au point qu’elle se brise dès que Lenfant, le domestique du commissionnaire d’Aurillac, la prend dans les bras. La « Noyade » était entière, mais comme la « Douce mélancolie », elle est « enduite d’une couche de vernis si frais et si humide qu’on n’a pu en détacher le papier qui les couvrait et le foin destiné à les garantir ». Dans la seconde caisse se trouvent deux statues plus petites, « Appollon » (qui a un doigt coupé) et une « Nimphe sortant du bain » ; là encore, on ne peut détacher le papier du vernis encore frais.
On prie alors François Escourbiac, « vitrier et peintre en bâtimens habitant Maurs », de donner son avis : les statues n’ont « reçu qu’une couche de vernis préparé avec de l’huile et du blanc de céruse qu’on n’avait pas laissé sécher ». Or il avait été convenu que les statues devaient recevoir quatre couches d’huile. Maître Jalenques ne reçoit donc pas les statues, et il les laisse pour compte du statuaire.
Né en 1758, Benoît Jalenques, pourvu de son office de notaire depuis le 29 octobre 1783, fut élu maire puis juge de paix de Maurs en 1790. La Terreur, logiquement, ne sourit pas à ce notable, qui fut non seulement inquiété, mais même incarcéré par deux fois en 1793-1794. Il ne redevient maire qu’en 1817 et meurt en fonction, en 1834, non sans avoir été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1829. Tous ses descendants furent notaires à Maurs, jusqu’à son arrière-arrière-petit fils, Roger Jalenques, figure de la ville (1905-2009), et son arrière-arrière-arrière-petit-fils Urbain, troisième du nom, notaire à Maurs jusqu’en 1984.
Le procès-verbal par lequel il fait constater la mauvaise qualité de la marchandise nous éclaire sur les goûts du notaire, alors âgé de 47 ans et sur le goût du jour. Les quatre statues ont pour trait commun de représenter quatre personnages. La nymphe et Apollon, qui doivent être plus ou moins nus, représentent respectivement la beauté féminine et masculine dans le goût antique ; la noyade provoque l’effroi, sentiment qui semble opposé à la « douce mélancolie ».
On peut imaginer que cette dernière sculpture s’inspirait du tableau de Joseph-Marie Vien (1716-1809), peint en 1756 (Cleveland Museum of Art) et copié en 1758 (Toulouse, Musée des Augustins). La statue de plâtre serait, en quelque sorte, un « produit dérivé » proposé par le catalogue du statuaire de Clermont-Ferrand cinquante ans après la réalisation de l’œuvre originale. Le procès-verbal de 1805 montre la permanence du goût néo-classique en France, depuis les années 1750 et jusque fort avant dans le XIXe siècle. Au reste, l’art parisien lui-même, avait, sous l’Empire, à côté de ses aspects martiaux et guerriers, le goût pour les figures belles mais froides, nues mais sévères – semblables à celles qui faillirent décorer la maison de Benoît Jalenques, si le vernis eût été sec… Au reste, il n’est pas impossible que la « Nymphe sortant du bain » soit un moulage de la statue de François-Joseph Bosio (1768-1845), sculpteur néo-classique officiel sous l’Empire et la Restauration.
ADC, 4 U 10/66
Bibliographie : Guy Jalenques, « Un élu maursois à travers la Révolution : Antoine-Benoît Jalenques (1758-1834) », dans Revue de la Haute-Auvergne, 2000, p. 281-294.