Reconstitution d’assassinat à Ally (1882)
Auguste-Maurice-Napoléon G., né en 1845 à Ally, n’a pas bonne réputation dans sa commune. Cultivateur, il vit en concubinage avec une femme et deux enfants naturels non reconnus ; il passe pour être querelleur, rancunier. L’un de ses frères est déjà passé en cour d’assises ; un témoin dit que les trois frères sont « la terreur du pays » ; la bonne de ferme explique qu’ils traitent les domestiques de « putain », de « pourries », etc. Le procès-verbal de gendarmerie trouve à Auguste G. un « regard sournois ».
Pierre S., tisserand, s’est battu avec Camille, le frère d’Auguste G., au café Andrery, à la Noël 1880. Le ressentiment monte au long des mois. Le 20 octobre 1881, Auguste G. avait son fusil à deux coups ; il racontera ensuite qu’il voulait protéger la propriété familiale des « maraudeurs de bois ».
Avec ce fusil, il abat Pierre S., qui rentrait d’aller battre du blé noir, d’une balle dans la tête qui troue son chapeau, du haut d’un tertre. Confondu par les paroles de la victime agonisante avant sa mort, il plaide l’accident : les chiens du fusil, qui est à son père depuis 45 ans, s’abattaient facilement, comme le confirme son camarade de braconnage. Il est moins crédible lorsqu’il explique qu’il n’a pas porté assistance à S. (avec lequel il prétend avoir de bons rapports) parce qu’il le croyait mort. S. voulait prendre du bois dans le tertre, et G., pour l’en dissuader, aurait voulu lui faire peur en frappant sur le tertre avec le fusil.
La veuve de la victime rapporte les propos de l’assassin de son mari, quelques jours avant « l’accident » : « Il faudra qu’on le porte sur un bayart, nous n’avons pas besoin de la justice pour avoir raison de lui ». Et la pauvre femme a en effet vu apporter chez elle son mari sur un bayart, c’est-à-dire une civière.
En complément de l’expertise balistique (faite par Jean-Léon Leroux, « expert arquebusier » domicilié rue de Richelieu n° 31 à Paris), le juge d’instruction juge nécessaire une reconstitution du crime. Albert Pauty, photographe à Mauriac, prend trois photographies de la scène où le gendarme Bertrand, de la brigade à pied de Mauriac, tient le rôle de S. (il ne mesure qu’un centimètre de plus que la victime). Il a troqué son bicorne de gendarme contre le chapeau troué de Pierre S. Les trois photographies retracent le film du crime. La reconstitution et l’expertise balistique concordent : ce tir à bout portant ne peut être un homicide involontaire. Le 30 mai 1882, Auguste G. est condamné à huit ans de travaux forcés par la cour d’assises du Cantal.
Archives départementales du Cantal, 38 U 258