Vallée de larmes
La Dordogne peinte par Ginette Aubert
Ginette Aubert est née à Spontour (Corrèze), sur les bords de la Dodogne, en 1934. A l’âge d’un mois, sa famille s’installe à la Ferrière (commune de Tourniac, Cantal), où la fillette va passer sa jeunesse. En 1950, c’est le drame : la maison familiale doit être détruite à cause de la mise en eau du barrage du Chastang l’année suivante.
Ginette Aubert ne se remettra jamais tout-à-fait de ce traumatisme : les lieux de son enfance sont dénaturés, engloutis, rayés de la carte.
Pour autant, Ginette Aubert, désormais Mauriacoise, n’est point femme à laisser lessiver ou suffoquer sa mémoire. Non seulement elle écrit, mais elle peint, depuis toujours, ses souvenirs de la « vallée émeraude », devenue vallée de larmes. Et l’exposition est avant tout un chatoiement de couleurs vives, sous le pinceau tour à tour naïf, brut ou chagallien de celle qui fut la « petite fille » de la « rivière », devenue femme, comme en témoigne sa signature « GynA ».
Sa tristesse, Ginette Aubert l’a sublimée en peinture ; ses tableaux sont parfois agrémentés de débris rejetés sur les rives du lac de barrage, reliques prosaïques que son art transmute en matière précieuse. Dans ses textes et dans ses images, elle ne fait pas mystère des rudesses de la vie d’antan (c’est-à-dire d’avant l’engloutissement de 1950), mais elle contemple et peint avec fraîcheur les « saisons », les « familles », « ceux qui passent » et les « temps sacrés ».
On reste admiratif de la force de cet art et de ce caractère, qui subliment ainsi la suffocation de l’engloutissement en lui donnant des couleurs joyeuses. Les larmes sont devenues la peinture dont Ginette Aubert réenchante sa vallée.
Les 30 œuvres (peintures et sculptures) de Ginette Aubert sont complétées par des souvenirs familiaux (lettres et photographies) ainsi que par des documents conservés aux Archives départementales (plan cadastral, dossier d’expropriation de la maison familiale de la Ferrière, livres sur les barrages).
« Bleu » pour la révision du cadastre de Tourniac, section A dite de la Ferrière (1934).
Le cadastre de 1822 est reproduit en stencil (d’où cette couleur bleue), et la rénovation est portée à l’encre rouge.
Les maisons situées sur le bord du chemin longeant la Dordogne ont toutes été détruites en 1951, pour mieux être englouties. Les maisons et biens de la famille Rivière figurent sur le tableau des expropriations prévues.
Archives départementales du Cantal, 3 P 1331/14 (1934) et 3 SC 913 (1951)
L’Union paysanne de Corrèze dénonce la façon de faire d’EDF
« Il faut changer de méthodes », dit cet article de Marius Vazeilles (forestier, archéologue et communiste, grand défenseur des paysans) paru le 1er novembre 1950 dans « l’organe officiel de la fédération départementale des syndicats agricoles de la Corrèze ». Et le journal de dénoncer les « pressions inadmissibles » exercées sur de « braves paysans tout désorientés d’être menacés d’expulsion ».
1950
Le barrage du Chastang (1948-1951)
Le plan de situation et la coupe permettent de comprendre l’aménagement hydroélectrique de la Dordogne : Bort, Marèges (1936), l’Aigle (1945), Chastang (1951) et Argentat. Le Chastang est un barrage voûté-gravité. F. Auroy et B. Léo achèvent leur notice en jugeant que « l’ensemble a ainsi un aspect très simple et harmonieux »…
Cinquième congrès international des grands barrages, Supplément au n° 247 de la revue Travaux.
Archives départementales du Cantal, 2 BIB 625
Dessins préparatoires
Pêche, château de sable, fêtes nautiques, danses et cérémonies : on retrouve ces scènes, une fois peintes, dans les tableaux de l’exposition. Un dessin reprend une phrase entendue d’une Roumaine, sur France-Culture : « On ne peut oublier ses racines, quoiqu’on fasse ». Ce qui est vrai pour un pays aussi malmené au XXe siècle que le fut la Roumanie, vaut aussi pour les vies à la fois déracinées et englouties par les barrages hydro-électriques.
Esquisses au crayon et à l’encre sur papier
Fin du XXe siècle
Pelle écopeuse
Les gabarres prenaient souvent l’eau dans les rapides, et il fallait écoper avec ce genre de pelle. Celle-ci a appartenu au grand-père de Ginette Aubert.
Bois
2e quart du XXe siècle
Deux vues du batardeau amont du barrage de l’Aigle
Le dossier technique de la construction est consigné dans Aménagement de la chute de l’Aigle. Rapport de fin de chantier, paru en 1945. Les barrages, ce sont des prouesses technologiques, des chantiers animés et cosmopolites, de l’activité économique pour toute une région, de tendres rencontres aussi.
Mais il y a l’envers du décor, lorsque la mise en eau submerge les lieux que l’on a aimés.
Archives départementales du Cantal, F BIB 72.
Panier de pêcheur
XXe siècle