Les racines cantaliennes de Georges Pompidou : de l'Elysée à Montboudif
Des racines presque exclusivement cantaliennes
Il laboure le champ que labourait son père.
Honorat de Racan, Stance.
M. Denis Vieyres, maire de Rouziers et généalogiste chevronné, a établi la généalogie du Président, parfois jusqu’à la neuvième génération. À quelques rares exceptions près, ces ancêtres sont tous cantaliens. Ont donc quelque chance d’être cousins ou apparentés du Président les habitants actuels de la Châtaigneraie portant les noms de Bastide, Bersagol, Boissou, Bons, Bories, Concasty, Couderc, Crouzols, Fau, Gineste, Gouzou, Graves, Grimal, Laborie, Lafon, Lavergne, Loudières, Malroux, Marcenac, Mazières, Momboisse, Pompidou, Puech, Puechguirbal, Ravanel, Renac, et les habitants du Nord-Cantal portant les noms d’Andraud, Badin, Barbat, Chavagnac, Echavidre, Espinasse, Malgat, Manaranche, Papon et Trapenat.
Travail de Denis Vieyres, juin 2011
Elle a passé, la jeune fille,
Vive et preste comme un oiseau :
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau.
Gérard de Nerval, Une allée du Luxembourg.
Marie-Louise Pompidou est venue accoucher chez sa mère. L'acte de naissance de Georges porte, comme tous les autres actes du registre, la mention du mariage avec Claude Cahour (27 octobre 1935), la "jeune fille" du Luxembourg, et du décès le 2 avril 1974. La mairie de Montboudif y a ajouté, pour le président mort en exercice, l'avis de mention adressé par la mairie du IVe arrondissement de Paris.
Montboudif, 5 juillet 1911.
ADC, 2 E 129/8
Image : maison natale à Montboudif, 10 NUM 99 (1974) ; église de la Chevade, dans la commune de Chastel-sur-Murat où Georges fut mis en nourrice (juin 2011, photographie Édouard Bouyé)
Aimer, c'est savourer, aux bras d'un être cher,
La quantité de ciel que Dieu mit dans la chair.
Victor Hugo, André Chénier.
Léon avait raconté à ses camarades d'École normale qu'il avait fait sa demande officielle à M. et Mme Chavagnac à la fin d'octobre 1908, et que sa lettre venait d'être agréée. "Consummatum est ! ", leur dit-il fort bibliquement.
Le professeur à l'école primaire supérieure de Murat épouse l'institutrice en congé, en l'absence de Mme Pompidou, empêchée par maladie (elle meurt d'ailleurs le 30 octobre suivant). Les quatre témoins sont de la famille Chavagnac : trois frère et sœurs de Marie-Louise, et l'oncle Auguste Barbat, "voyageur". Le mariage religieux a lieu le lendemain, 25 septembre, dans l'église paroissiale de Montboudif édifiée quarante ans auparavant.
Montboudif, 24 septembre 1910
ADC, 2 E 129/2
Image : chœur de l’église paroissiale de Montboudif, 45 Fi 19210 (années 1970)
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur.
Guillaume Apollinaire, Si je mourais là-bas…
La loi de 1889 permettait aux prêtres et aux instituteurs de faire un an de service militaire au lieu de deux ; la loi de 1905 supprima ces exceptions, mais instaura un régime transitoire pour les jeunes gens âgés de plus de 18 ans (mais de moins de 20 ans). En devançant l'appel, Léon Pompidou, né le 1er août 1887, n'eut à faire qu'un an de service militaire. Sa démarche est moins celle d'un patriote que celle d'un pacifiste.
Engagé volontaire le 26 mai 1906, Léon (cheveux châtains, yeux gris, 1 m 66) achève donc son service militaire le 26 avril 1907. Mobilisé le 1er août 1914, il est blessé au tibia le 19 août 1914 à Didenheim. Soigné par "mécanothérapie", il repart à la guerre et n'est démobilisé que le 15 mars 1919. Sa fille Madeleine naît à Albi en 1920. Il souffrira de la jambe toute sa vie.
1907-1937
ADC, 1 R 1672
Image : église de Saint-Julien-de-Toursac, 45 Fi 1193 (dessin de 1893) et maison natale à Naucaze (juin 2011, photographie Denis Vieyres)
Naissance de Marie-Louise Chavagnac
Les vases ont des fleurs de givre,
Sous la charmille aux blancs réseaux ;
Et sur la neige on voit se suivre
Les pas étoilés des oiseaux.
Théophile Gautier, Fantaisie d'hiver.
Marie-Louise naît cinq jours avant son cousin Eugène-Jules-Alfred Chavagnac (fils de Jean, frère de son père Etienne), qui ne vivra que 18 jours. La petite fille est présentée par Antoinette Reboisson, sage-femme. Les parents de ces deux cousins sont tous qualifiés de "marchands" et domiciliés à Montboudif. Jean et Étienne Chavagnac sont d'ardents radicaux-socialistes.
Le nom de Chavagnac est composé du nom propre gaulois Cavanus terminée par une finale en -acos.
Montboudif, 20 mars 1886
ADC, 2 E 129/1
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Marc-Antoine de Saint-Amant, La solitude.
Jean, "cultivateur" à Naucaze (Saint-Julien-de-Toursac ; il s'agit du domaine du château ruiné de Naucaze), épouse Jeanne-Anastasie Renac, couturière née à Rouziers. Les deux époux ont perdu leur père, mais ils ont toujours leur mère, respectivement Marie-Anne Malroux et Antoinette Momboisse. "Les futurs ont déclaré ne savoir signer".
Après 1921, Jean Pompidou vient s'installer chez son fils Léon et sa belle-fille à Albi, où il meurt en 1928. Georges a 17 ans quand meurt son grand-père ; il passe son bac à Albi et ses biographes nous parlent de ses premiers émois amoureux. "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans", dit un autre poète.
Rouziers, 3 mars 1886
ADC, 2 E 194/5
Image : ruines du château de Naucaze, 29 Fi 62, (collection Beyne, début du XXe siècle)
Femme je suis pauvrette et ancienne,
Qui rien ne sais ; oncques lettre ne lus.
François Villon, Ballade que fit Villon à la requête de sa mère pour prier Notre-Dame.
Domestique aux Estresses (Saint-Julien-de-Toursac), Jacques épouse Marianne, servante au Feyt (Saint-Julien-de-Toursac).
Saint-Julien-de-Toursac, 21 février 1838
ADC, 2 E 194/5
Image : une maison aux Estresses, 45 Fi 17658 (3e quart du XXe siècle)
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Charles Baudelaire, Spleen.
Les deux mariés et les quatre témoins sont tous originaires du village du Feyt (Saint-Julien-de-Toursac). Les époux ne connaissent pas leur âge et ne savent pas signer.
Saint-Julien-de-Toursac, 6 pluviôse an IV (26 janvier 1796)
ADC, 2 E 194/1
Image : Le Feyt (juin 2011, photographie D. Vieyres)
Mariage d'Henry Pompidou avec Suzanne Lavergne
Et les regards paisibles des étoiles
Bienveillamment souriront aux époux.
Paul Verlaine.
Seul le célébrant, Merle, vicaire de la paroisse, et Martres, huissier, l'un des témoins, savent signer. Si Henry Pompidou est le plus ancien ancêtre Pompidou connu du Président, les parents de sa femme Suzanne sont connus.
Dans son acte de décès du 1er octobre 1734, à Maurs, il est appelé " Henry Pompidou dit Abram ", ce qui laisse imaginer une origine protestante, d'autant que l'on trouve des Pompidou protestants à Espinadel (auj. Commune de Glénat) à la fin du XVIIe siècle.
Saint-Étienne-de-Maurs, 19 novembre 1715
ADC, E DEP 1417/1
Image : chœur de l’église de Saint-Étienne-de-Maurs, 45 Fi 4720 (1978)
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon vert et sauvage !
Marc-Antoine de Saint-Amant, La solitude.
Dans les registres paroissiaux d'Espinadel, on trouve force Pompidou, ce qui n'est pas très étonnant puisque le village del Pompidou se trouve dans cette paroisse. On peut donc formuler l'hypothèse que les ancêtres d'Henry "Pompidou dit Abram", dont on ne trouve pas trace dans les registres de Maurs, provenaient de Glénat et étaient protestants, comme semble l'indiquer le surnom d'Abram (prénom biblique peut-être devenu un surnom après la révocation de l'Édit de Nantes en 1685). En 1656, le greffier et secrétaire du consistoire de l'Église réformée de Glénat s'appelait Pompidou. En 1673, à Glénat, un Abram Pompidou est mentionné à la faveur de la naissance de son fils Pierre.
On trouve aussi des Pompidou dans les registres des paroisses environnantes, dont Laroquebrou, Siran, ou, comme ici, Glénat : sur cette seule double page, par exemple, on peut voir le mariage de Pierre Valadou et Antoinette Pompidou (29 août 1685), un baptême où Toinette Pompidou est marraine (23 octobre 1685) et le baptême de Pierre Escouveyrou, fils d'Antoine et de Jeanne Pompidou, dont Marie Pompidou est marraine (13 février 1686). Mais, malgré les recherches actives (y compris dans les archives notariales) de M. Denis Vieyres, maire de Rouziers, le "chaînon manquant" n'a pas à ce jour été retrouvé.
Registre de la paroisse de Glénat.
1685-1686
ADC, 5 E 218/1
Image : grange au Pompidou, à Glénat, 45 Fi 1496 (1967) ; état en juin 2011 (photographie Denis Vieyres)
Mariage d'Étienne Chavagnac avec Marie Espinasse
La charrue écorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les sillons,
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de bœufs qui l'entraîne.
Théophile de Viau, Le matin.
Cultivateur à Bombos, Étienne épouse la fille d'un cultivateur de la Baronne. Sur les quatre témoins, l'un est rentier, les trois autres cultivateurs. Tous savent signer.
Montboudif, 8 octobre 1881
ADC, 2 E 129/1
Image : grange à Bombos (juin 2011, photographie Édouard Bouyé)
Naissance de Léger Chavagnac
Je suis veuf, je suis vieux, et sur moi le soir tombe.
Victor Hugo, Booz endormi.
Pierre Chavagnat (ou Chavagnac), cultivateur à Bagnard, présente son fils Léger, qu’il eut de sa seconde (et jeune) épouse Anne Trapenat, née à Saint-Genès-Champespe (Puy-de-Dôme), de 26 ans sa cadette. Ni Pierre Chavagnac ni les témoins ne savent signer ; Léger sera le premier Chavagnac à savoir lire et écrire. Bagnard se situe aujourd’hui à Montboudif, section distraite de la commune de Condat le 5 août 1865.
Condat, 27 septembre 1826
ADC, 2 E 54/8
Image : grange à Bagnard (juin 2011, photographie Édouard Bouyé)
Naissance de Pierre Chavagnac
Ô lac ! rochers muets ! grotte ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Alphonse de Lamartine, Le lac.
Pierre Chavagnac (ou Chavaniac) et son épouse Marguerite Radis (ou Badin) habitent à la Crégut, non loin du lac de ce nom, sur l’âpre plateau d’Artense. La vie est rude. Le père du bébé de 1764 est le premier ancêtre Chavagnac connu de la mère du Président.
Tremouille, 30 juillet 1764
ADC, 2 E 240/1
Image : lac de la Crégut, 2 Fi 2597 (début du XXe siècle)
Naissance de Louis Espinasse
Je verrai, si tu veux, les pays de la neige,
Ceux où l’astre amoureux dévore et resplendit,
Ceux que heurtent les vents, ceux que la neige assiège,
Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit.
Alfred de Vigny, La maison du Berger.
Les parents de Louis Espinasse, Antoine et Jeanne Malbec, sont cultivateurs au village de Drulh (Antignac). Louis Espinasse se marie le 8 janvier 1861 avec Marguerite Manaranche ; ils sont les arrière-grands-parents maternels du Président.
Antignac, 5 décembre 1834
ADC, 2 E 8/7
Image : le chœur de l’église d’Antignac
Léon Pompidou, ou l'enseignement comme ascenseur républicain
Plan et élévation de l’école de Saint-Julien-de-Toursac
C’est la douce loi des hommes
De changer l’eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères.
Paul Éluard, Bonne justice
Dressé par l’architecte Félix Corcinos le 25 septembre 1881, le plan revient aux archives de la préfecture, revêtu de l’approbation ministérielle, le 2 décembre 1881. Ce projet posait d’autant moins de difficulté que l’école de Saint-Julien-de-Toursac allait ressembler à des milliers d’autres écoles construites à partir des années 1880 par la Troisième République.
C’est dans cet établissement, achevé en 1886, que le jeune Léon Pompidou, né en 1887, va sucer le lait du savoir et de la laïcité, sous les auspices de M. Joie, frères des Ecoles chrétiennes défroqué et libre penseur. C’est ainsi que Léon Pompidou devient instituteur (puis professeur) et socialiste.
25 septembre 1881
ADC, 2 O 194/1
Demande d’indemnité de frais de trousseau
Seule ma peine est ma propriété.
Paul Éluard, La puissance de l’espoir.
L’inspecteur d’académie écrit au préfet pour solliciter du conseil général une indemnité en faveur de Léon, qui vient d’être admis premier à l’École normale d’Aurillac.
Jamais on ne donna définition plus limpide de la situation des ouvriers agricoles, véritable prolétariat rural, qui n’est riche que de ses enfants : « Ils ne possèdent rien et sont locataires de la maison qu’ils habitent. Le père est domestique agricole et gagne 250 francs par an ; la mère est couturière et gagne peu ; elle a dû se faire amputer un pied il y a quatre ans et il en résulte pour la famille de graves dépenses ; outre le postulant, ils ont à leur charge deux enfants âgés de 7 et 8 ans ».
Le Conseil général accorde 100 francs, soit plus du tiers de ce que gagne le père annuellement.
17 août 1903
ADC, 1 T 721
Image : École normale de garçons d’Aurillac, 41 Fi 227 (vers 1920)
Livret scolaire de Léon Pompidou, élève-maître à l'École normale d'instituteurs d'Aurillac
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit
Berce sa palme.
Paul Verlaine
Durant les trois années d'École normale, Léon brille, mais ne travaille pas suffisamment : "serait un brillant élève s'il avait une plus grande puissance de travail" ; "esprit vif, mais peu profond parce qu'il recule devant l'effort" ; "pourrait encore donner davantage" ; "réussit bien mais aurait pu encore mieux faire avec plus de travail".
On retrouve ce mélange de brio et d'apparente indolence chez le Président, qui semble avoir hérité de son père son hypermnésie. Le Président avait de surcroît une capacité d'analyse comme de synthèse et une rapidité de travail déconcertantes.
1903-1906
ADC, 1 T 721
Image : École normale de garçons, 2 Fi 293 (début du XXe siècle)
Hommage à Léon Pompidou, alias « Papillon »
Pauvre je suis de ma jeunesse,
De pauvre et petite extrace.
François Villon, Le Testament.
René Vérard, journaliste anticonformiste, publie ce curieux texte, comme un bilan de son année passée à Aurillac, avant d’en prendre congé – puisqu’il est congédié du journal local. Il utilise les documents possédés par Pierre Parra, ancien maire de Barriac-les-Bosquets et conseiller général de Pleaux, et surtout ancien condisciple de Léon Pompidou à l’École normale, pour tracer un portrait de l’instituteur « déraciné », mort l’année précédente. Avec ses condisciples Soubeyre, J. Mons et Pierre Parra, Léon Pompidou formait un « Quatuor », qui décida, pour mieux garder contact, de publier un petit journal à usage amical et interne de ce nom, de 1907 à 1909.
A l’occasion du premier voyage de Georges Pompidou dans le Cantal en tant que président (Murat, 16 mai 1970), Vérard rend hommage à son père – non sans malice, puisque c’est la figure du jeune instituteur socialiste et « laïque » qui est exalté, naturellement opposée au banquier devenu Président.
Léon souffre, en 1907-1908, de la médiocrité et de l’étroitesse de sa position ; l’avenir confirmera qu’il fera tout pour évoluer et devenir professeur.
René Vérard, aujourd’hui retiré à Sancerre avec son épouse, a ensuite poursuivi une œuvre d’écrivain, consacrant notamment des ouvrages à Jean Pierre-Bloch, Flaubert, Jaurès, ainsi qu’à l’histoire de la Picardie et de Sancerre.
16 mai 1970
ADC, 3 SC 7829
Les Chavagnac à Montboudif : agriculture, négoce et aisance
Achat par Léger Chavagnac du domaine de Fraisse (Condat)
Salut, champs que j’aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Nicolas Gilbert, Ode imitée de plusieurs psaumes.
Léger Chavagnac, cultivateur à Bagnard (Montboudif), achète le domaine de Fraisse, pour l’importante somme de 9.000 francs, à la famille Bresson. Ce « petit corps de domaine », aujourd’hui ruiné, est situé près du village de Charreyre. Il s’installe à Fraisse avec Françoise Echavidre, épousée en 1854 ; et c’est là que naîtront leurs enfants. Ils exploiteront ensuite d’autres fermes (La Ruche, Bombos, le Grand Jolon) et Léger diversifiera ses activités agricoles par du négoce et du maquignonnage.
9 juillet 1856
ADC, 3 E 300/248
Image : ruines de la maison du Fraisse (juin 2011, photographie Édouard Bouyé)
La famille Chavagnac en 1891
Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière la colline,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets.
Charles Baudelaire, Maesta et errabunda.
La liste nominative de recensement de la commune de Montboudif présente la famille d’Étienne Chavagnac et de sa femme née Marie Espinasse, tous deux marchands, âgés respectivement de 29 et 27 ans, installés dans le bourg avec leurs quatre enfants : Hélène Eulalie (née en 1883), qui sera célibataire et institutrice en Algérie ; Émile Léger dit Camille (né en 1884), qui sera marchand de toile à Angoulême ; Marie (née en 1886), la mère du Président ; Marie Louise Anne, dite Julie (née en 1888), qui épousera Jean Andraud avec lequel elle aura trois enfants (Etienne, Simone et Pierre), cousins germains et compagnons de jeu de Georges durant ses vacances estivales cantaliennes.
1891
ADC, 98 M 4
Concession à perpétuité de la famille Chavagnac dans le cimetière de Montboudif
Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon cœur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.
Charles Baudelaire, Le guignon.
Les Chavagnac et les familles qui leur sont alliées (Andraud, Auzary, Espinasse, Malgat et Fournier) obtiennent de la mairie de Montboudif une concession à perpétuité dans l’angle « sud-est du cimetière » de la commune. Elle regroupera les corps des descendants de Léger Chavagnac et d’Anne Chavagnac, veuve Pradel, sa sœur.
7 septembre 1905
ADC, 2 0 129/1
Image : plaque de la tombe Chavagnac au cimetière de Montboudif (mars 2011, photographie Édouard Bouyé)
Terre d'élection(s)
Trente minutes au collège technique d’Aurillac
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Paul Éluard, Liberté.
Le Premier ministre consacre une heure à l’enseignement lors de son voyage du 19 juin 1964. Il ne s’agit plus de rêver à Pindare ou à Barbey d’Aurevilly, mais de « moderniser » la France. Après avoir visité l’École normale, l’agrégé de lettres découvre la mécanique, l’électricité, la forge, la menuiserie, la chimie, la physique et le terrain de sport. Le plan-masse dressé en octobre 1961 par l’architecte aurillacois Terrisse porte le minutage précis de cette visite, entre 17 h et 17 h 30, du « Collège technique et centre d’apprentissage masculin ».
Printemps 1964
ADC, 3 SC 5997
Discours d’accueil d’Augustin Chauvet, maire de Mauriac
Montagnes derrière, montagnes devant
Batailles rangées d’ombres, de lumières.
Jules Supervielle, Descente de géants.
Après Saint-Flour et Murat, au début de l’été, Pompidou visite l’arrondissement de Mauriac à l’automne, de Riom à Mauriac (avec arrêts à Valette, Trizac, Moussages et le Vigean). Sa candidature aux prochaines législatives se précise, au moins dans son esprit. Le maire de Mauriac (député de la 1e circonscription du Cantal [Aurillac] depuis 1956) joue de la fibre classique du Premier ministre pour sa captatio benevolentiae initiale, rappelant que les notables de Mauriac accueillirent leur évêque de Clermont, Guillaume Duprat, en 1539, par « plusieurs allocutions en latin et en grec » ; né à Issoire, ce fils du chancelier de France fonda le collège jésuite de Mauriac, où l’on cultivait en effet les humanités classiques.
Mais c’est bien en français que l’habile Chauvet souligne « la légitime fierté d’accueillir en la personne du Premier ministre de la France, un de nos compatriotes dont l’attachement au pays natal ne s’est jamais démenti » – surtout depuis quelques temps, n’ont pas dû manquer d’ajouter intérieurement quelques esprits malins…
15 octobre 1966
ADC, 3 SC 5998
Image : portrait de Guillaume Duprat au lycée de Mauriac, 16 NUM 641 (huile peinte du XVIIe siècle)
Menace de corrida au lycée agricole
Bientôt les aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons :
De moment en moment la feuille sur la terre
En tombant interrompt le rêveur solitaire.
Jacques Delille, Les jardins : l’automne.
Six jours de campagne électorale (entre le 12 février et le 4 mars 1967) ; 62,26 % des voix au premier tour : le premier ministre a reçu avec succès l’onction du suffrage universel. Il doit se rendre à Aurillac le 14 octobre 1967. La gendarmerie prévient la préfecture que les paysans menacent de « conduire leurs animaux dans l’enceinte du Lycée Agricole pendant la cérémonie d’inauguration ». Le secrétaire général, Jean-Claude Tressens, note seulement en marge, impavide et peut-être bravache : « Ils peuvent toujours essayer ! S’ils n’ont jamais vu de corrida, je veux bien jouer le toréador ! ».
10 octobre 1967
ADC, 3 SC 6187
Image : lycée agricole d’Aurillac, à droite à mi-pente, 41 Fi 1071 (vers 1970)
René Galy-Dejean règle les détails du voyage de mars 1968
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Charles Baudelaire, Paysage.
Alors qu’il n’est question ni de mai ni de grèves, ni d’élections, le Premier ministre doit poser la première pierre de l’hôpital local de Condat le 15 mars, et inaugurer le central téléphonique automatique d’Aurillac le lendemain. Le directeur de cabinet du préfet transcrit pour le préfet la conversation téléphonique qu’il vient d’avoir avec René Galy-Dejean, chargé de mission au cabinet du Premier ministre, où il suit, entre autres, les affaires cantaliennes.
En marge du voyage officiel, Georges Pompidou souhaite s’entretenir avec l’architecte de Condat, probablement pour les travaux qu’il entend faire à sa maison de Montboudif, et avec le notaire de Condat. Du 15 mars à 16 h jusqu’au samedi 16 mars à 10 h 50, « les déplacements du premier ministre prennent un caractère privé » ; il « dîne et couche à Montboudif ».
26 février 1968
ADC, 3 SC 6187
Image : maison natale à Montboudif, 2 Fi 1678 (années 1970)
Le Cantal ouvrier et paysan attend le Premier ministre de pied ferme
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
Jean de la Fontaine, Le Chat, la Belette et le petit Lapin.
Tout barbouillé de rouge, comme il se doit, par le cabinet du préfet, « l’organe hebdomadaire de la Fédération communiste du Cantal » donne sa lecture du programme de la visite des 15 et 16 mars : inauguration de suppressions d’emplois (téléphone automatique), menaces sur les petites exploitations agricoles, menaces sur les écoles rurales. L’ancien banquier de chez Rothschild n’est pas épargné par le COP…
Aux élections législatives du 23 juin suivant, Pompidou bat Louis Taurant, candidat unique et communiste, avec plus de 80 % des voix.
16 mars 1968
ADC, 3 SC 6188
Lettre au préfet du Cantal d’un chargé de mission à la présidence de la République
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S’introduisent dans les affaires.
Jean de la Fontaine, La mouche du coche.
Gérard Chasseguet, chargé de mission à la présidence de la République (1969-1973), futur député de la Sarthe (1973-1993) et actuel maire de Dissay-sur-Courcillon, adresse au préfet Jacques Corbon une note accompagnant un télégramme de la CGT (Confédération générale du travail) et des précisions du ministère du Travail, à la suite du voyage du Président dans le Cantal, le 16 mai 1970. Mise en liquidation, la société Cournil (Aurillac) licencie ses 36 salariés, tandis que la ganterie Chanut (Saint-Martin-Valmeroux) licencie 35 personnes.
Le préfet, ancien chargé de mission au cabinet de Georges Pompidou à Matignon, préfet du Cantal depuis le 2 octobre 1967, met une apostille, qui en dit long sur le suivi des voyages présidentiels : « La note du Ministère n’apprend rien (puisque ce sont des informations fournies par nous…). Le problème n’est d’ailleurs pas le reclassement immédiat des licenciés, mais le maintien et le développement d’activités secondaires. »
8 juillet 1970
ADC, 3 SC 7831
Image : documentation Cournil, 41 Fi 772 (vers 1970)
Notes manuscrites de préparation du « voyage privé » du Président à Montboudif du 26 juin 1971
Sur les tombeaux de mes ancêtres,
Les âmes desquels Dieu embrasse !
On n’y voit couronnes ni sceptres.
François Villon, Le Testament.
Avant d’aller à Saint-Flour, le Président passe une heure environ à Montboudif : 10 minutes au cimetière, 15 minutes à la mairie et 30 minutes à la « maison ». Le cabinet du préfet note de « prévoir s[ervice] d’o[rdre] tout autour du cimetière ≠ les journalistes » ; et ailleurs : « Presse – Être très strict sur le cimetière ». Le Président fera une allocution sur le parvis, où il retrouvera son épouse et « Mme Michalet », femme du maire. Les Domerg seront de la partie. Les directives du « Pdt » sont claires : il s’agit d’un voyage privé, sans « aucun honneur à prévoir ».
Printemps 1971
ADC, 3 SC 10492
Télégramme du SRPJ de Clermont-Ferrand
L’empereur si l’araisonna :
« Pourquoi es-tu larron en mer ? »
François Villon, Le Testament.
Le service régional de la police judiciaire avertit les autorités administratives et judiciaires que l’on a retrouvé les six portefeuilles volés lors de la visite présidentielle, vides d’argent mais encore pourvus de leurs documents personnels, à Loubinet (Vieillespesse), au bord de la nationale 9. Les policiers soulignent que deux de ces portefeuilles appartiennent respectivement à Jacques Chirac, ministre chargé des Relations avec le Parlement (2000 francs), et à Pierre Raynal (400 francs), député-maire de Chaudes-Aigues (ancien suppléant de Pompidou entre 1968 et 1969). Et de conclure que ces « tireurs spécialisés » venaient probablement de la « région parisienne »…
28 juin 1971
ADC, 3 SC 10492
Image : moulin de Loubinet, 45 Fi 18090 (photographie Pierre Leymarie, 1979)
« Note à l’attention de Monsieur le Grand Échanson du Palais »
Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense,
Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents ?
Gérard de Nerval, Delfica.
Les témoignages concordent sur l’atmosphère détendue que Georges Pompidou faisait régner parmi ses proches collaborateurs. Ici, il s’amuse ; demandant à Étienne Burin des Roziers, secrétaire général de la présidence de la République, de mettre sur la table, « lors des conseils restreints » du jus de pamplemousse, comme c’est le cas pour les « Conseils des Ministres », il s’adresse amicalement à lui comme au Grand Échanson du Palais, soulignant que « le premier ministre a un faible pour le jus de pamplemousse ».
La famille Burin des Roziers tire ses origines des limites du Cantal et du Puy-de-Dôme. Un Guillaume-Martin Burin des Roziers fut notaire à Massiac entre 1838 et 1865.
Entre 1962 et 1967
ADC, 1 J 849