Le Cantal dans la première guerre mondiale
Loin du front, le Cantal n’en a pas moins participé, à l’instar de tous les départements et de toutes les colonies français, à l’effort surhumain demandé à notre pays pour la première guerre mondiale. C’est rendre justice à la mémoire des hommes, des femmes et des enfants qui ont tout donné, parfois tout perdu, que de montrer les sacrifices consentis.
À travers 50 documents écrits ou photographiques, produits ou reçus par les services de l’État, les communes ou des particuliers, presque tous conservés aux Archives départementales, est présenté un panorama du Cantal dans la guerre. Cinq années déclinées en cinq thèmes : « D’une guerre européenne à la première guerre mondiale », « 70 millions d’hommes sont mobilisés », « Une guerre qui mobilise toutes les énergies », « L’arrière est le second front », « Une société traumatisée ».
Le choix et les notices des documents ont été réalisés par M. Jean-Luc François, professeur certifié d’histoire-géographie au collège Jeanne-de-la-Treilhe d’Aurillac, par ailleurs chargé du service éducatif des Archives départementales de septembre 2004 à juin 2009. Les heures de décharge qui lui permettaient d’assurer ce service – à la plus vive satisfaction des enseignants et enseignés du Cantal (de la grande section de maternelle à l’I.U.F.M.) – ayant été supprimées en juin 2009, M. Jean-Luc François a accepté d’organiser cette exposition à titre de commissaire invité et bénévole.
Édouard Bouyé,
directeur des Archives départementales du Cantal
D’une guerre européenne à la première guerre mondiale
Au début du XXe siècle, chacun sent que rivalités et alliances pourraient entraîner un conflit en Europe. La concurrence commerciale s’intensifie entre le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les puissances européennes se disputent les derniers territoires à coloniser. En 1911 et en 1913, la France et l’Allemagne évitent deux fois la guerre. Enfin, les rivalités territoriales sont importantes la France veut récupérer l’Alsace et la Lorraine ; l’Autiche-Hongrie et la Russie veulent étendre leur influence dans les Balkans ; l’Italie revendique des territoires peuplés d’Italiens en Autriche-Hongrie.
Les états européens contractent des alliances défensives. A l’Entente Cordiale (1907) entre le Royaume-Uni et la France succède la Triple-Entente qui associe la Russie. Les empires centraux et l’Italie s’associent dans la Triple-Alliance. Dans les deux cas les états augmentent considérablement leurs dépenses militaires.
Le 28 juin 1914 à Sarajevo, François-Ferdinand, l’héritier de l’empire austro-hongrois, est assassiné par un Bosniaque qui veut libérer son peuple de la domination austro-hongroise et l’unir à la Serbie, alliée de la Russie. Cet assassinat met en marche l’engrenage infernal qui conduit à la guerre européenne. L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. La Russie mobilise. L’Allemagne se range aux côtés de l’Autriche-Hongrie ; la France et le Royaume-Uni, aux côtés de la Russie.
Les états mobilisent, les partis politiques s’unissent dans des gouvernements d’Union sacrée. Les hommes mobilisés s’apprêtent à s’affronter dans une guerre nouvelle et totale.
70 millions d’hommes sont mobilisés
Le Royaume-Uni et les États-Unis établissent la conscription. Les pays de l’Entente recrutent des troupes coloniales. La France mobilise 600 000 soldats nord-africains, sénégalais et indochinois. Les troupes britanniques sont renforcées par des bataillons indiens, canadiens, australiens, néo-zélandais.
De nouveaux types de combat apparaissent. La guerre de position est une guerre d’usure. Il faut saigner à blanc l’adversaire. Les offensives sont meurtrières : elles font 1 300 morts par jour dans l’armée allemande et 900 dans l’armée française. Les hommes subissent la puissance de feu des armes nouvelles (mitrailleuses, artillerie lourde et gaz de combat). Les bombardements broient les corps ; ils infligent de terribles mutilations et de durables troubles psychiques.
Outre les combats, les poilus affrontent d’effroyables conditions de vie : la boue, les poux, les rats, le froid ou la chaleur. Le ravitaillement est aléatoire ; la correspondance et les permissions sont le seul lien avec l’arrière. Dans cet enfer, la camaraderie, la foi, la force du patriotisme et la haine de l’ennemi (entretenue par les sociétés) permettent de tenir.
La Première guerre mondiale fait entrer le XXe siècle dans l’ère de la mort de masse.
Cartes postales de prisonniers français
Les deux cartes postales illustrent les demandes des prisonniers français en nourriture et vêtements chauds. L’Allemagne a favorisé ces envois, jugeant qu’elle n’avait pas à nourrir décemment ces bouches inutiles.
1917-1918
3 R 71
Lettres de poilu
Ferdinand Roques a écrit durant toute la durée de la guerre à sa « Chère Zéline », qui l’attendait en Châtaigneraie, des dizaines de lettres. Dans cette correspondance, on décèle souvent la tristesse de ne pas recevoir suffisamment de nouvelles ; l’inquiétude que les lettres de sa femme ne le suivent pas. La guerre est présente dans les rapides descriptions qu’il fait de son quotidien (vie dans les tranchées ou au repos). Lorsqu’il évoque « les Boches », c’est toujours sur le ton de l’ironie et en minimisant les combats. À cela deux raisons principales : ne pas inquiéter son épouse et ne pas subir la censure du contrôle postal. La lettre est datée du mois de février 1914, acte manqué bien sûr.
3 février 1915
1 J 1094
Une guerre qui mobilise toutes les énergies
Tous les citoyens sont concernés ainsi que toutes les activités économiques du pays. L’État joue un rôle prépondérant.
Les économies basculent dans une économie de guerre. L'État devient le principal client des entreprises qui se reconvertissent dans la production de matériel militaire. Renault fabrique des tanks. La recherche travaille à l’élaboration de nouvelles armes (gaz, lance-flammes, sous-marins) ou à l’amélioration des techniques (aviation, grenade, mortier). Cette guerre a besoin de capitaux. L'État fait appel à l'épargne et à la générosité des citoyens en lançant des emprunts.
Il faut trouver de la main-d’œuvre pour remplacer les mobilisés. Les femmes remplacent partout les hommes. On fait appel à la main-d’œuvre coloniale (250 000 en France). La loi Dalbiez permet le retour à l’arrière des « affectés spéciaux ».
Une intense propagande fleurit. Elle justifie la guerre par le combat pour la civilisation. Elle devient bourrage de crâne lorsqu’elle diabolise l’ennemi. La presse, la littérature, une multitude d’affiches et de cartes postales relaient cette culture de guerre. L'école devient le lieu central de ce patriotisme souvent belliqueux.
Les libertés publiques sont restreintes, les journaux sont censurés et le courrier est lu. Il s’agit de sonder l’état de l’opinion publique.
La guerre au certificat d’étude primaire
Les sujets traduisent l’implication de l’institution scolaire dans l’effort de guerre. Beaucoup prennent pour thème la barbarie allemande ou la revanche sur la défaite de 1870. On mobilise les textes des grands auteurs, Émile Zola, Victor Hugo ou d’autres moins connus, qui vantent le courage, le patriotisme des Français ou qui dénoncent les atrocités dont sont coutumiers les Allemands.
1914-1915
2 BIB 5453
La guerre à l’école
Les instituteurs et institutrices sont fortement sollicités pour faire participer leurs élèves à des concours de composition ou de dessins sur le thème général de la guerre. Dans le cas présent, il s’agit d’imaginer une lettre de remerciement adressée à un jeune américain qui a participé à une œuvre en faveur des orphelins de guerre.
La composition commence par rappeler la participation de la France à la guerre d’indépendance américaine sous le règne de Louis XVI. Elle se poursuit par la dénonciation des crimes odieux perpétrés par les Allemands. À travers ce récit et bien d’autres pointent le profond sentiment antiallemand et l’image brutale que l’on véhicule de ce peuple.
1918
1 T 997
L’arrière est le second front
Le Cantal a vécu loin du front, mais les échos et les conséquences de la guerre y sont sensibles. Le rationnement des denrées de première nécessité, même dans un département rural, s’est fait sentir. Contrôle des prix mais salaires qui stagnent ont conduit à des mouvements de grèves. En 1917, l’exaspération est à son comble et Aurillac connaît une émeute.
Les Cantaliens ont vu affluer les réfugiés, populations habitant sur le front. Ils ont vu les prisonniers et les blessés soignés dans les hôpitaux temporaires. Tous ces événements marquent la population qui pensent à ceux qui sont sur le front.
Les femmes doivent remplacer les hommes dans tous les métiers : usines d’armement, travaux des champs.
La disparition du jeune René Chézeau
L’exode des populations chassées par les combats engendre des situations douloureuses. Ce courrier adressé au préfet du Cantal en témoigne. C’est l’histoire d’un petit garçon d’Ablain-Saint-Nazaire (Pas-de-Calais) perdu par ses parents lors de l’évacuation de Liévin et qu’ils cherchent en vain depuis huit mois.
Après bien des déboires ils apprennent que leur fils est sain et sauf et qu’il a été pris en charge par une famille de réfugiés. Il vit dans un hameau de la commune de Saint-Mamet.
6 mai 1915
10 R 42
Le dossier relate l’incompréhension entre des petits Parisiens et les personnes qui les reçoivent à Mourjou. L’aîné, Raymond se plaint de la nourriture qu’il reçoit et des insultes que lui et son frère essuient.
C’est l’envoi d’un télégramme à leur mère qui déclenche la demande d’enquête par l’œuvre des colonies de vacances de la Chaussée du Maine.
Inversement des maires se plaignent de l’attitude de certains enfants difficiles et de familles de réfugiés vivant dans l’oisiveté.
19 octobre 1914
10 R 42
La carte postale au service de l’ennemi ?
La crainte de voir notre armement et autre matériel étudiés de près par les puissances de la Triplice pousse la gendarmerie à s’intéresser aux documents figurés. Ainsi le brigadier Rousselle mène-t-il une enquête dans les bureaux de tabac du canton d’Allanche pour trouver des cartes postales où figurent de l’armement. Dans son rapport, il signale la vente d’une série de 38 cartes postales mettant en scène canons de 75 et autres armements.
5 février 1915
40 M 7
Rapport à l’inspecteur d’académie du proviseur du lycée Émile Duclaux
Durant toute la guerre, les rapports mensuels du proviseur à l’inspecteur d’académie résonnent des conséquences du conflit sur le lycée. Il doit gérer l’utilisation d’une partie du lycée comme hôpital militaire temporaire. Il signale l’évolution des effectifs enseignant et scolaire ; il inspecte les classes et le travail des enseignants.
Dans son rapport d’avril 1915, il signale l’attrait que suscite sur les jeunes collégiens de troisième le départ des soldats et doit s’expliquer sur des propos pacifistes tenus par le professeur de philosophie, M. Volpilhac.
30 avril 1915
1 T 761
Que retentissent les cloches de la victoire !
Toutes les préfectures de France et le gouverneur d’Alger ont reçu ce télégramme annonçant l’armistice, signé dans la forêt de Rethondes près de Compiègne. Le ministère enjoint de faire sonner les cloches dans les villes et jusque dans les moindres hameaux, et de faire donner le canon.
11 novembre 1918
8 R 40
Une société traumatisée
La grande guerre a laissé des traces indélébiles dans les corps et dans les esprits de Français. La violence ordinaire et quotidienne de la guerre s’est insinuée dans les mentalités, à travers des millions de vies brisées et de familles endeuillées.
La France décide de rendre hommage à ses enfants morts pour la patrie. C’est ainsi que, presque dans chaque commune, un monument aux morts rappelle à tous l’effroyable boucherie et devient le lieu des commémorations qui rythment l’année civile. S’il honore ceux qui ont sacrifié leur vie à la patrie, il témoigne parfois d’une aspiration pacifiste, mais le plus souvent d’un sentiment patriotique ou doloriste. Le souvenir de la grande guerre pousse les anciens combattants à militer pour qu’elle soit la « der des ders ».
Messes au sommet
Ces deux photographies de messe en plein air, l’une au sommet du Griou et l’autre au sommet du Plomb du Cantal, en l’honneur des soldats morts pour la France, témoignent de la volonté de participer symboliquement au sacrifice des hommes pour la patrie. L’ascension de ces modestes sommets prend des allures de chemin de croix : le sacrifice eucharistique célébré au sommet de ces Golgothas cantaliens doit contribuer au salut de l’âme des Cantaliens ayant offert pour leur terre leur vie en sacrifice.
31 juillet 1916 et 21 août 1917
39 Fi 66 et 67