Archives du Cantal

Colette, Pourrat, Monier…

Rencontre avec l’écrivaine Marie-Aimée Méraville au gré de sa correspondance

Le 20 septembre 1902 naît dans le village de Garrey, à Condat, Marie-Aimée Méraville. Il nous reste très peu de souvenirs matériels de cette époque, mais cela importe peu. Ce que nous avons, c’est l’essence de cette enfance, les paysages verts, les vaches et leurs fières cornes, les veillées, le « patois », la rudesse des gens, leurs occupations, leurs soucis et leur humour, la vie dans ces montagnes d’Auvergne, âpre et intransigeante.

C’est ce terreau dont se nourrit Marie-Aimée Méraville, inconsciemment. Le départ pour l’Ecole normale d’institutrices en 1918, les premières années d’enseignement à Saint-Just puis à l’école laïque de Saint-Flour, sont un dépaysement, peut-être un choc. Elle y approfondit son goût pour la littérature, elle s’habitue à la vie de la ville, elle rencontre des personnes avec qui elle a de véritables discussions. Mais s’immisce alors l’impression de n’avoir pas été fidèle à la terre qui l’a façonnée, qu’elle a abandonnée. Le remède s’impose par lui-même : écrire. Ecrire non pas pour se rappeler, mais parce que c’est vivant en elle, sous sa peau, que cela la travaille ; écrire est un impératif. Le premier livre qu’elle publie, Le Coffre à sel, est le plus personnel de ses écrits, le plus brut également. Les suivants conserveront un ancrage dans les monts cantaliens, mais seront moins déroutants pour le public. Ses contes sont quant à eux parfois bon enfant, parfois subtils, légers ou émouvants, mais ne lui permettront pas d’atteindre la notoriété d’un Marcel Aymé ou d’un Henri Pourrat. Bien que son style gagne l’admiration de grands écrivains, il peine à rencontrer les attentes du public.

La vie de Marie-Aimée Méraville à Saint-Flour est solitaire, mais elle ne manque pas d’amis, avec lesquels elle cultive un intense échange épistolaire. En fonction de son interlocuteur, elle parle de ses menues activités quotidiennes, de connaissances communes, de ses livres et de ses doutes, conseille des lectures. Ses correspondants prennent plaisir à lire ses lettres, dans lesquelles elle se livre en toute confiance, et louent sa sincérité ainsi que son sens de l’humour discret et perspicace. Cette correspondance constitue une part importante du fonds Marie-Aimée Méraville.

Ce fonds d’archives, donné en 2012 par Mme Renée Boyer – qu’elle en soit de nouveau remerciée – et récemment classé, nous permet de retracer l’itinéraire littéraire de l’écrivaine. Présentant chacun des livres publiés de Marie-Aimée Méraville, accompagnés de documents d’archives permettant de découvrir leur genèse ou encore les réactions qu’ils provoquèrent dans l’entourage de l’auteur, cette exposition invite le public à (re)découvrir les œuvres de l’écrivaine cantalienne. Elle est cependant loin d’être exhaustive : de courts textes publiés çà et là dans des revues ainsi que des contes et nouvelles inédits complètent l’œuvre de Marie-Aimée Méraville. De brefs coups d’œil sur des aspects plus personnels de l’écrivaine ponctuent ce parcours, notamment son amitié profonde avec deux Auvergnats, Henri Pourrat et Albert Monier.

Portrait de Marie-Aimée Méraville
Portrait de Marie-Aimée Méraville

Pierre-Dié Mallet, sanguine

20 janvier 1947

Une institutrice dévouée

Elevée par sa mère et sa grand-mère, l’école commence pour Marie-Aimée Méraville à la maison, sous la bienveillante férule de sa tante religieuse, sœur Adélaïde. Elle passe en 1909 le certificat d’études primaires puis suit le cours complémentaire de Condat, équivalent de notre collège, et obtient le brevet élémentaire. Alors que sa sœur aînée se dirige vers l’Ecole normale de Fontenay-aux-Roses (elle deviendra professeur agrégée de Lettres) et que son frère cadet suivra les traces de leur père en tant que marchand de toiles, Marie-Aimée Méraville choisit – par goût et par contrainte financière – de devenir institutrice ; elle entre à l'école normale d'Aurillac en 1918. Après une scolarité passée à étudier la littérature, l'histoire-géographie, l'espagnol... mais pas le latin – elle le regrettera plus tard – elle quitte Aurillac brevet supérieur en poche et est affectée à l'école du Saladou de Saint-Just. Elle y reste deux ans, de 1921 à 1923, avant de devenir institutrice à l'école publique de filles de Saint-Flour. Malgré quelques velléités exprimées dans sa correspondance de quitter cette ville, elle y enseignera 36 ans et y restera toute sa retraite, ayant quitté son logement de fonction pour le 1 rue Sorel, sur la place d’Armes.

En dépit de la part importante que représentait l'enseignement dans sa vie, Marie-Aimée Méraville évoque très peu son métier dans ses lettres, si ce n'est pour souligner le temps qu'elle passe à préparer ses cours. Cependant les anciennes élèves avec qui elle a gardé contact nous laissent voir une institutrice investie, exigeante mais sans excès, dispensant des cours de qualité, et très appréciée de ses élèves.

Elle reçoit de nombreuses distinctions : diplôme d’officier d’académie en 1949, médaille de bronze de l'enseignement public en 1955, médaille d'argent trois ans plus tard, et elle est nommée officier dans l’ordre des Palmes académiques en 1956. Satisfaite de sa carrière d’institutrice, Marie-Aimée Méraville prend sa retraite le 1er janvier 1959.

Carte d’identité
Carte d’identité

1940

Photographie de classe à l’Ecole normale d’Aurillac, promotion 1918-1921
Photographie de classe à l’Ecole normale d’Aurillac, promotion 1918-1921

Marie-Aimée Méraville est assise au premier rang, deuxième en partant de la gauche

1919

Certificat d’aptitude pédagogique
Certificat d’aptitude pédagogique

Ce certificat est indispensable à tout instituteur souhaitant devenir titulaire. L’examen est composé de trois étapes : une épreuve écrite, une épreuve pratique (donner un cours) et une épreuve orale. Le candidat prouve ainsi non seulement qu’il a les connaissances nécessaires, mais aussi qu’il sait les dispenser à son jeune auditoire.

Notez qu’une erreur s’est glissée dans la mention de la date de naissance de Marie-Aimée Méraville : 1922, au lieu de 1902.

1923

Cahier de préparation pour le cours de morale (CE et CM, 8-11 ans)
Cahier de préparation pour le cours de morale (CE et CM, 8-11 ans)

Sans date

Emploi du temps pour les classes de cours moyen et élémentaire
Emploi du temps pour les classes de cours moyen et élémentaire

Sans date

Emploi du temps pour les classes de cours moyen et élémentaire
Emploi du temps pour les classes de cours moyen et élémentaire

Sans date

Cartes et souvenirs de communion adressés à Marie-Aimée Méraville par ses élèves

1947-1949, sans date

Médaille d’argent de l’Education nationale : avers
Médaille d’argent de l’Education nationale : avers

1958

Médaille d’argent de l’Education nationale : revers
Médaille d’argent de l’Education nationale : revers

1958

Carte professionnelle de Marie-Aimée Méraville
Carte professionnelle de Marie-Aimée Méraville

10 janvier 1925

Photographies de Marie-Aimée Méraville à Saint-Flour
Marie-Aimée Méraville dans la cour de l’école à Saint-Flour  (sans date)
Marie-Aimée Méraville dans la cour de l’école à Saint-Flour (sans date)
Marie-Aimée Méraville assise dans le salon de son logement d’institutrice à Saint-Flour  (sans date)
Marie-Aimée Méraville assise dans le salon de son logement d’institutrice à Saint-Flour (sans date)
Marie-Aimée Méraville dans la chambre de son logement d’institutrice à Saint-Flour  (sans date)
Marie-Aimée Méraville dans la chambre de son logement d’institutrice à Saint-Flour (sans date)
Marie-Aimée Méraville debout dans son salon à Saint-Flour  (sans date)
Marie-Aimée Méraville debout dans son salon à Saint-Flour (sans date)

Le Coffre à sel

Première œuvre de Marie-Aimée Méraville, le Coffre à sel est puisé dans le terreau de son enfance même. L’écrivaine nous introduit discrètement à la veillée autour du cantou et nous laisse découvrir ces bribes de récits, de descriptions, de contes, d’impressions. « J’ai voulu livrer mes souvenirs aussi authentiquement que je les avais reçus, moins soucieuse d’ailleurs de leur pittoresque que de leur résonance humaine » (note parue dans l’édition de 1964). Avec elle nous écoutons les histoires et souvenirs cent fois narrés de la grand-mère Eugénie et d’autres compagnons invisibles, nous revivons avec eux les temps forts de l’année, l’émigration des marchands de toile dans les pays, le travail des champs.

Ces textes brefs qui se succèdent charment les Auvergnats qui y retrouvent la saveur de leur pays natal, mais déroutent les « étrangers » pour qui certaines allusions restent obscures. Le style est parfois abrupt, mimant le passage de l’esprit d’une idée à l’autre, et reproduisant la vivacité des expressions orales. L’absence de structure classique du récit (on chercherait en vain une intrigue, une résolution) achève de frustrer le lecteur, alors que les histoires cocasses le font rire et que les évocations authentiques d’une vie et de préoccupations quotidiennes disparues tout à coup le surprennent.

Cette forme peu banale, ajoutée aux difficultés des maisons d’édition dans les années 1930 puis pendant l’Occupation, explique le parcours fastidieux de l’écrivaine entre le premier envoi de son manuscrit à un éditeur en 1929 et la publication du livre par Fernand Aubier en 1942. Malgré le soutien et les conseils de Jean Paulhan, co-directeur de la Nouvelle RevueFrançaise, et d’Henri Pourrat, elle se heurte au refus des éditeurs qui souhaiteraient un ouvrage plus facilement commercialisable. « J’ai dû attendre un éditeur pendant 13 ans. Cela rend sceptique et guérit de toute vanité » écrit-elle à l’écrivain Roger Denux le 22 novembre 1948.

Ultime concession, Marie-Aimée Méraville se résout à abandonner le titre qu’elle avait choisi, Les Energiques (une première ébauche datant de 1923 s’intitulait Véritables contes et contes vrais) pour un nom de siège, ce dont elle « ne raffole pas ». Pourtant, les premières lignes du livre décrivant le coffre à sel évoquent avec justesse cet ouvrage à la fois rude et apprécié :

« Ce n’est pas un siège doux, oh ! non, plat comme une caisse, avec les deux charnières de son couvercle et la muraille noire pour dossier. Seulement il a des bras. Quand il pleut il tombe des gouttes ; on ne peut dormir qu’à moitié. Le coffre à sel est la marge de la maison. Et c’est de la retraite des maisons qu’on pénètre le mieux au cœur des campagnes ».

Dans les années 1950, Marie-Aimée Méraville envisage une réédition de son Coffre à sel, le premier tirage étant épuisé. Le livre paraîtra chez De Bussac, mais en 1964 seulement, un an après sa mort.

Lettre autographe de Henri Pourrat à Marie-Aimée Méraville

Après avoir loué ses Energiques, Henri Pourrat prédit les difficultés qu’aura l’écrivaine à les faire publier, non seulement à cause de la forme de recueil, mais aussi parce que le texte est « si elliptique, si fort, si vrai, si paysan, les Parisiens trouveront cela obscur. (Gardez-vous pourtant d’adoucir, d’éclaircir trop. "Ce qu’on te reproche, c’est toi-même".) »

16 août 1927

Lettre autographe de Lucien Gachon à Marie-Aimée Méraville

L’écrivain auvergnat Lucien Gachon livre à sa correspondante une critique de son ouvrage, tout juste publié. Il admire à la fois « l’effacement » de l’auteur, qui laisse entièrement la place au discours de ses personnages, et lui reproche de laisser le lecteur face à un monde inconnu et difficile à remettre en contexte : « Le rôle de l’écrivain est d’être intermédiaire. On présente puis on s’efface… ».

31 décembre 1941

Photographie d'Eugénie Gaime, épouse Roux, grand-mère de Marie-Aimée
Photographie d'Eugénie Gaime, épouse Roux, grand-mère de Marie-Aimée

C’est cette femme au fort caractère qui incarne la principale figure du Coffre à sel.

Sans date

« J’étais sauvage ! Ah, il y en a aujourd’hui qui sont trop faciles, trop douces… De mon temps on était plus sévère. Celui qui tient à vous revient ; un bon s’en va, un meilleur se prépare, marche !

[…]

Vous savez bien ce que je fis un jour. Nous avions Pierrette. Pierrette avait des idées sur moi ; moi je ne le voulais pas…

Domestique ou pas domestique, je n’ai méprisé personne, il n’était pas sans rien. Six mille placés. Figurez-vous qu’il voulait me les donner : « Mais vous serez bien heureuse, pauvre Eugénie… Jamais personne ne vous aimera comme moi. – Je n’ai pas besoin d’aimer, Pierrette, je m’aimerai toute seule. Les amitiés ne font pas les affaires. »

Eh bien, plaignez-le ! Je ne le rendais pas malheureux, je lui faisais bien son droit, je ne voulais pas me marier avec lui.

Une fois, on fanait, j’étais sur le char ; quand il fallut descendre, Pierrette vint me tendre les bras. Il avait eu quelques manières en me donnant le foin, et ses grimaces ne me convenaient pas.

Je lui dis : « Ôtez-vous de là, Pierrette, ou je vous marquerai aussi vrai que je m’appelle Eugénie. – Oh ! vous n’êtes pas si méchante, laissez-moi vous descendre, allons. »

Il me tendait les bras. Attends, tu ne veux pas t’en aller… Je lui lance ma galoche. Aussitôt le coup, aussitôt le sang : « Je vous l’avais bien dit… » Il ne se fâcha pas : Et puis, tiens, marche Pierrette ! »

Extrait du Coffre à sel, chapitre « Les galants »

Monastier le Double

Marie-Aimée Méraville est une observatrice. Elle regarde, analyse, dissèque, extrait l’essence, mûrit son fruit et finalement le fait éclore, façonné par son esprit, entre une plume et une feuille de papier. Ainsi est né Monastier le Double.

Monastier, ville siamoise opposant Monastier le Roc à Monastier d’Aval, les lecteurs cantaliens l’auront deviné sans peine, est Saint-Flour. Marie-Aimée Méraville ne s’en cache pas et n’hésite pas à invoquer tout au long du récit des Monastiens dont la personnalité laisse penser aux Sanflorains qu’ils ont sous les yeux un roman à clef.

« Ne vais-je pas fâcher mes Monastiens ? », écrira Marie-Aimée Méraville à son amie Jeanne Dubourdieu. « J’espère que non, mes victimes ayant quitté Monastier pour d’autres lieux ou pour l’autre monde. Mais il y a des gens susceptibles ». Effectivement, les Monastiens sont des gens susceptibles et l’accueil de ce roman par les Sanflorains sera plutôt froid.

Non pas que Marie-Aimée Méraville ait voulu faire rire aux dépens de ses compatriotes, ni qu’elle les méprise. Mais il n’en reste pas moins que le portrait de chaque personnage est brossé à grands traits, soulignant en quelques mots efficaces et détails futiles les préoccupations vaines qui leur tiennent tant à cœur – à la manière de La Bruyère, lui dira l’écrivain Gustave Burnol. Mme Andrieux et sa vieille mère captent les rumeurs qui, « après avoir bénéficié d’un perfectionnement adéquat, l’arrangement d’un bon artisan à domicile, […] repartaient vers la rue et le public, distribuées sans parcimonie aux visiteurs et aux clientes, avec l’indiscutable fini des broderies de Madame Andrieux ». Le principal du collège « s’habillait avec un soin cossu, moins par coquetterie que parce qu’il était le Principal et qu’il fallait bien qu’on le sût ». Micheline règne en maîtresse de maison sur son salon de coiffure, dispense ses connaissances éclairées sur les hormones et aurait bien aimé épouser un employé de banque ou un commis des postes. Francine Chevalier quant à elle, la fifille préférée de sa logeuse Mademoiselle Irma, astique parfaitement sa gazinière et « ne savait pas si elle devait épouser Roger Latouche ». Quelques mois plus tard, « n’ayant pas dit non, [elle] dirait oui, et choisirait un saphir entouré de brillants, pour bague de fiançailles. »

Le livre nous entraîne ainsi dans un tourbillon de personnages, chacun centré sur sa petite vie, silhouettes superficielles sur lesquelles on s’arrête à peine avant de passer à la suivante, au point que Lucien Maury, directeur de la Revue bleue, adresse ce reproche à Marie-Aimée Méraville : « Vous vous imposez comme naturaliste et peintre des spectacles extérieurs ; vous reculez devant la psychologie : vos héros et héroïnes demeurent des ombres falotes, à peine signalées d’un trait superficiel ; on voit trop qu’ils ne vous intéressent pas ; le lecteur ne saurait plus que vous les prendre au sérieux. Voilà, très sincèrement, le côté faible du livre ».

Cette observation est tout à fait juste, c’est le parti-pris de Marie-Aimée Méraville : « A vrai dire, Monastier est bien le personnage essentiel du livre », confie l’écrivaine au général Gilles Lévy. « Les jeunes gens n’y sont que les témoins d’une vie unanime et de la vie presque partout semblable des petites villes ».

La naissance de l’amitié, l’éclat d’un « scandale », les commérages sans fin, les ambitions de faire un bon mariage et de faire carrière, tout est mis à distance et se fond dans une symphonie factice. Demeurent un sentiment de vacuité, de médiocrité de la vie quotidienne, et quelques belles descriptions de la cité des vents et de ses cheminées boiteuses.

Lettre d’Hélène Sauvadet, ancienne élève, à Marie-Aimée Méraville

La lecture de Monastier-le-Double a fait ressurgir chez elle quantité de souvenirs nostalgiques : « Maintenant, vous avez tout réveillé ».

2 novembre 1945

Lettre autographe de Marcel Aymé à Marie-Aimée Méraville

« Vous prétendez à tort n’avoir pas d’imagination. Le meilleur de l’imagination n’est pas dans une certaines facilité de faire surgir des péripéties, mais dans une manière personnelle et originale de représenter les choses et d’en fixer les images pour la joie des autres ».

23 mai 1945

Lettre de Marie-Aimée Méraville au général Gille Lévy

10 juin 1945

Lettre autographe de Raymond Christoflour

19 mars 1944

L’écrivain et poète, ami de Marie-Aimée Méraville, évoque les difficultés de l’Occupation puis tente de remonter le moral de sa correspondante, tout en restant réaliste : « Résignez-vous à rester, pour le troupeau, une étrangère ». C’est en effet le tribut payé par Marie-Aimée Méraville pour rester dans son département natal, dans la petite ville de Saint-Flour.

L’ensemble de la vie de Marie-Aimée Méraville est ombragée de solitude. Demeurée célibataire, sans enfants, elle semble se faire peu d’illusions sur le mariage. Elle est cependant très proche de sa nièce, Danielle, et entretient une correspondance fournie avec des amis de choix. Mais ses Noëls sont solitaires, et elle regrette son isolement moral, « la certitude qu’on a, assez proche de soi, personne avec qui on se rencontre sur les choses essentielles, quelqu’un auprès de qui on ne se sente pas éternellement séparé, coupable, condamné » (lettre à Pierre Bayrou, 21 décembre 1958).

« On ne vit pas impunément 36 ans dans une petite ville, et c’est un lutte quotidienne qu’il faut mener dans la solitude morale, contre la dispersion et la facilité. Encore ai-je la chance de ne pas jouer au bridge, de ne pas me laisser Télé-visser par ma vieille propriétaire » (lettre à Paulette Cambon, 31 décembre 1960).

Son roman Monastier le Double évoque parfaitement le tourbillon de personnages creux, aimables mais auxquels l’écrivaine ne s’attachera guère.

Miroir

Composé de 14 nouvelles, le recueil Miroir est publié aux éditions Robert Laffont en 1946. C’est, aux yeux de divers critiques et amis de l’époque, le meilleur ouvrage de Marie-Aimée Méraville.

Fidèle à son style, Marie-Aimée Méraville tisse ses histoires autour de petits évènements de la vie quotidienne, dans la simplicité. Les descriptions sont à la fois poétiques et authentiques, les sentiments saisis sur le vif. Si certaines nouvelles dépeignent des personnages cocasses, d’autres laissent entrevoir des individus touchants par leur solitude et goûtant quelques instants de bonheur fugace avant de le voir s’enfuir.

Ainsi la belle pâtissière, lassée de son époux insensible aux corsets de dentelle, rêve-t-elle d’un flirt jusqu’à ce que le mari, se croyant trompé, se transforme en poète invoquant « le tombeau de l’amour ». La pâtissière « n’avait voulu mettre au tombeau ni son mari ni l’amour, et même le danger couru lui rendait quelque goût de confondre l’amour et son mari ». Une fois n’est pas coutume, ce ton léger et moqueur de la narration amène à ces personnages quelque peu superficiels une fin heureuse.

Bien que les autres nouvelles aient elles aussi leur part d’ironie, les personnages y sont beaucoup plus touchants, comme le compagnon de voyage racontant sa vie à une jeune inconnue rencontrée dans le train, ou le pauvre Escaplou tombé amoureux à 71 ans d’une lingère dodue et qui dicte ses lettres à l’instituteur du village : « Ecrivez : "Je pense à toi jour et nuit, et puis je te serre contre mon cœur. Cette semaine, j’ai repiqué les fraisiers". » Les lettres de la lingère se raréfient et l’Escaplou désespéré, gagné par un dégoût de la vie, meurt seul à l’hôpital des pauvres.

Bien plus que représenter quelques caractères, Marie-Aimée parvient à disséquer les sentiments, à nous tendre un miroir de l’âme. « La promenade » en est un exemple particulier : les relations entre les deux sœurs adolescentes, l’aînée autoritaire et la cadette admirative, sonnent tout à fait juste. Elles rient d’avoir osé mentir avec autant d’audace, jusqu’à ce qu’elles entendent arriver sur le chemin un vieil homme : « L’homme est âgé, voûté, et sa jambe est raide, c’est bien ennuyeux, ce doit être un peu leur faute ». Une sincère pitié les pousse à laisser tomber discrètement un billet. « Alors elles reprennent la route, plus honteuses que de tous leurs mensonges passés et de tous leurs mensonges futurs. » Les mensonges, elles les raconteront, mais cet acte honnête, elles n’en parleront plus jamais.

L’humour, mais aussi la fraîcheur et l’innocence (celles du petit berger qui chantait la Marseillaise, interrompu alors qu’il en était à « Contre nous de la tirelire » et tombé en admiration devant « le beau monsieur et la belle dame » qui lui offrent une poire – un trésor) allègent le ton du recueil dont la morale est, dans l’ensemble, pessimiste, à la manière dont les petits bonheurs agrémentent et ponctuent notre chemin solitaire et irrémédiable vers le néant.

Lettre de Francis Jeantey à Marie-Aimée Méraville

12 janvier 1940

Pendant les premiers mois de l'année 1940, Marie-Aimée Méraville engage une correspondance avec un soldat de l'armée coloniale, Francis Jeantey. La toute première lettre du soldat n'a pas été conservée, mais les suivantes nous permettent de comprendre qui était cet homme, sélectionné par le hasard pour devenir le filleul de guerre de Marie-Aimée.

Francis Jeantey est loin d'être un « bleu » : même s'il avoue n'avoir connu la guerre que par les livres, il a « roulé [sa] bosse un peu partout en AEF, en Syrie, en Chine », ayant passé 8 ans dans la coloniale ; il est nommé sergent en février 1940. Ses lettres laissent apparaître un véritable respect pour les Sénégalais, ainsi qu'un goût pour la littérature : « Vous me demandez ce qui me ferait plaisir ? […] un bon livre. Cela vous paraîtra peut-être un peu bizarre qu'un soldat vous demande un livre. Mais pour moi c'est beaucoup – et il deviendra certainement mon ami. »

Dans un geste généreux, Marie-Aimée Méraville lui envoie non pas un mais six livres, et lui propose même son propre Pêcheur d'Islande, Pierre Loti étant l'un des auteurs préférés de Francis Jeantey. Le tout accompagné de friandises... A la demande de son filleul, elle invite également ses petites élèves à écrire à quelques-uns des tirailleurs sénégalais.

Jeune homme attachant, jovial et sincèrement investi dans son amitié avec Marie-Aimée, Francis Jeantey est tué d'un éclat d'obus le 26 mai 1940. Il venait d'avoir 31 ans.

Lettre de Kakary Moïso à Marie-Aimée Méraville

22 janvier 1940

Sa mère

L'authenticité des descriptions, la justesse des sentiments, les petits détails de la vie quotidienne, tout porte à croire que Marie-Aimée Méraville s'inspire librement de son vécu pour écrire ses contes et nouvelles. Mais peu de ses écrits sont autant chargés d'émotion et de gravité que la nouvelle « Sa mère ».

« Je ne peux pas faire qu'elle ne vienne pas, mais que lui dirai-je ? » Ainsi commence cette nouvelle, amorçant appréhension et malaise. Comment faire face à la détresse d'une mère qui vient de perdre son fils, et qui se raccroche à la narratrice comme à une bouée dans l'océan de son deuil, parce que celle-ci a échangé quelques lettres avec le jeune homme avant sa mort ?

La crainte d'un quiproquo, la narratrice n'étant pas plus proche du soldat qu'une marraine de guerre éloignée du front ne peut l'être, s'ajoute à la culpabilité. « J'étais honteuse de ma sécurité et de mes pauvres mots. […] Chacun meurt seul parmi les vivants, chaque vivant est déjà infidèle et la plus cuisante douleur n'est que le refus de cette infidélité qu'est la vie même. »

Malgré ces réticences, le dialogue s'amorce entre la mère en quête presque jalouse de souvenirs de son fils et la narratrice. « Je sais combien mon image à moi est brève et incomplète, et je voudrais l'offrir dans déformation à son apaisement ».

Si le malaise ne s'évapore pas complètement, il laisse place à la mélancolie et à la tristesse. La narratrice aura partagé quelques bribes du fils mais, de retour à la gare, dans le compartiment du train, la place du fils restera vide.

Prix Anaïs Ségalas
Prix Anaïs Ségalas

Sitôt le recueil publié, les éditions Robert Laffont proposent à Marie-Aimée Méraville de présenter sa candidature pour le prix Anaïs Ségalas 1947, décerné par l’Académie française pour récompenser l’ouvrage d’une femme de talent. L’initiative porte ses fruits puisque Marie-Aimée est désignée lauréate. Le montant de la somme attribuée laisse cependant supposer que l’écrivaine n’a pas fait l’unanimité : alors que ce prix était généralement de 500 francs, voire de 1000 francs en 1946, Marie-Aimée Méraville ne touche que 225 francs.

24 juillet 1947

Les Contes du Vent frivolant

1946 est une année féconde pour Marie-Aimée Méraville, qui voit la publication presque simultanée de deux ouvrages. Alors que le manuscrit de Miroir était entre les mains de Robert Laffon et que l’écrivaine avait décidé de « faire la grève du porte-plume », elle est démarchée par Lucien Gachon qui l’invite à composer pour les Horizons de France un recueil de contes.

« Que j’en ai entendu de contes, dans mon enfance ! » écrit-elle à Henri Pourrat le 9 janvier 1946. A cette date, elle vient d’accepter l’offre et en a déjà écrit quatre. La rapidité d’écriture témoigne à la fois du plaisir que prend Marie-Aimée Méraville dans ce « divertissement » qui la pousse à se coucher tard le soir, et à la facilité qu’elle a à puiser dans la réserve de ses souvenirs.

L'exercice est pourtant moins aisé qu'on pourrait le croire : si cet ouvrage ne fait pas appel à l'imagination de l'écrivaine pour organiser la trame du récit, il met à rude épreuve ses qualités rédactionnelles. Les contes sont à l'origine transmis oralement et bien souvent en occitan. Ils existent sous une multitude de formes, variant d'une région à l'autre, d'un conteur à l'autre. L'écrivaine va alors devoir attribuer à son conte une forme définitive, et faire en sorte que l'oralité du récit survive à sa mise par écrit, sans pour autant nuire au plaisir de la lecture.

Ainsi la narration est-elle ponctuée de commentaires, de phrases d'annonce et autres interventions à la première personne : « La mère fit une de ces soupes au fromage et à la crème, mijotée sur le feu, et qui aurait pu filer aussi loin que de vous à moi. […] Rien que pour la soupe, je serais allée voir » (Les deux veilleurs). L’auteur prend également le soin d’expliquer certains idiomatismes, un fenlaire par exemple (qui n’a peur de rien et qui s’en vante) ou, en bonne institutrice, de faire la leçon, au point de paraître parfois condescendante envers les citadins :

« Nous autres, qui sommes de la campagne, nous n’avons pas besoin de calendrier pour savoir que Saint-Mathieu c’est le 21 septembre. Et comme dit le proverbe :

Pour Saint-Mathieu,

Sème-toi, sème-moi…

Le monde des villes, vous ne savez pas parler patois et vous ne connaissez pas nos rubriques » (Le renard et les fourmes).

Le recueil reste cependant agréable à lire, beaucoup plus léger que Miroir et plus accessible que le Coffre à sel, dans lequel certains de ces contes étaient déjà évoqués, mais de manière écourtée, laissant les connaisseurs reconstituer la suite et les autres se contenter d’un extrait. Tout en conservant un côté descriptif des coutumes d’Auvergne, Marie-Aimée Méraville parvient sans peine à retenir l’attention du lecteur et à le faire sourire : entre espièglerie et farce, la chute des contes est sans surprise mais réjouira petits et grands.

Préface autographe de Marcel Aymé pour les Contes du Vent frivolant, 1946
Préface autographe de Marcel Aymé pour les Contes du Vent frivolant, 1946

La préface de Marcel Aymé aux Contes du Vent frivolant est toute entière une prétérition. La première partie du texte est consacrée à expliquer à quel point les préfaces sont inutiles et pourquoi lui-même, ne les lisant pas, se refuse à les écrire : le préfacier est "comme l'agence Cook dans les fêtes d'un embarquement pour Cythère ou comme un reporter dans l'alcôve de la nuit nuptiale". Cet artifice rhétorique attise la curiosité du lecteur et donne plus de poids à la seconde partie de la préface, qui souligne que les précédents romans de MAM n'ont pas rencontré la faveur de la critique. "Les contes de Marie-Aimée Méraville, les uns merveilleux, les autres tendres ou rieurs, ont un délicieux parfum de campagne et aussi une simplicité d'expression si honnête et si juste qu'on croit, à les lire, entendre la voix des paysans à la veillée d'hiver".

Une lettre du 17 octobre 1945 éclaire la genèse de cette préface. C'est une consolation des meurtrissures de la critique à l'égard de Monastier-le-Double, et un encouragement à poursuivre son œuvre sans amertume. Le ton en est encore plus direct que dans la préface, bien à l'image de cet auteur libre et dédaigneux des honneurs, tout entier tendu vers l'écriture et sans illusion sur les basses manœuvres des plumitifs qui n'existent que par leur fiel. Et ces quelques lignes donnent aussi une définition lumineuse de la critique littéraire.

Edouard Bouyé

Lettre autographe de Marcel Aymé à Marie-Aimée Méraville

17 octobre 1945

Lettre autographe d’Henri Pourrat à Marie-Aimée Méraville, 16 octobre 1946
Lettre autographe d’Henri Pourrat à Marie-Aimée Méraville, 16 octobre 1946

« Ces contes sont charmants et de gentille robustesse. C’est comme une touffe de noisetiers, un peu foisonnante, tous ces jets, et puis leurs larges feuilles, leurs chatons, ou mieux les dagues, dans leurs bogues vertes déchiquetées, - et il y a même le pince-oreilles qui s’en échappe. Allons, tenez-vous fière ! Vous voilà encore plus avant sur le beau chemin montant. »

La Vache cette noble servante

Parmi la bibliographie de Marie-Aimée Méraville, un ouvrage qui se présente comme une étude sur la vache peut surprendre. Encore que les contes déjà publiés laissaient entendre un attachement de l’auteur à sa campagne natale, dont les ruminants sont un élément essentiel non seulement du décor, mais aussi de la vie quotidienne.

Toutefois, de l’histoire imaginaire, souvent adressée aux enfants, nous passons à ce qui prend le nom d’essai. La nature exacte de cette œuvre est plus difficile à définir : certes, Marie-Aimée Méraville s’est beaucoup renseignée, de l’Histoire naturelle de Buffon aux traités de zootechnie modernes, elle nous livre parfois des chiffres précis sur la composition du lait ou la taille des bœufs primés au XIXe siècle. Mais ce petit côté érudit, de temps en temps teinté de clichés, est accompagné d’un discours global moins scientifique, beaucoup plus subjectif.

Marie-Aimée Méraville est une fille de la terre, et connaît pour les avoir côtoyé les vaches et les paysans, les gardiens de troupeaux et les aide-vachers. Elle tisse un portrait sur le vif de l’agriculture paysanne alors en pleine évolution, où les exploitations n’ont en majorité que 6 ou 8 vaches, mais où les trayeuses électriques et les engrais chimiques grignotent peu à peu du terrain. Il s’agirait presque d’une enquête ethnologique qui détaille les gestes, les pratiques, les remèdes et les sentiments, si seulement l’observatrice n’était pas si impliquée.

Car Marie-Aimée Méraville s’engage corps et âme dans cette œuvre. Elle parle si longuement de cette vie paysanne parce qu’elle la ressent comme une partie de soi, de ses racines. Usant d’une prose poétique inattendue du lecteur, elle s’attarde sur la beauté –toute subjective- de détails inconnus des citadins, qu’il s’agisse des mamelles, « cette main tendue et pleine de lait », de ce « symbole de pureté et pacifiant breuvage » qu’est le lait, ou encore de l’observation d’un char tiré par des bœuf, « l’image même de la patience et de la régularité dans l’effort. On peut admirer cette lente conquête de la jambe avant pliée, tandis que le jarret demeure encore un peu tendu, le sûr déplacement de huit jambes bien accordées ».

Cette poésie s’accompagne d’une vision parfois idéalisée de la vache, à qui sont prêtés des sentiments humains : « Il n’y a pas de cupidité chez les bêtes, il y a peu de rivalités et il n’y a point d’intrigues. La vache nous accorde, sans arrière-pensée, son lait ». Mais au-delà de ces envolées lyriques, un vrai discours se cache dans cet ouvrage, une ode au monde paysan et à sa rudesse, mais aussi un encouragement à la modernité, tant que celle-ci garde son pendant d’humanité. « Tâchons que tout être vivant, fût-il animal, demeure quelqu’un afin qu’on n’en fasse pas seulement quelque chose. Et nous aurons travaillé, en fin de compte pour la dignité de l’homme ».

Vision à la fois réaliste et idyllique, La vache de Marie-Aimée Méraville chante un amour et une admiration véritables envers cet animal, bercés par un espoir en l’être humain qui l’a domestiqué et l’élèvera encore pendant des siècles.

Colette et Marie-Aimée Méraville
Colette entourée de Ninon Gilles et de Paul Poiret. Photographie dédicacée : « En souvenir de la "Vagabonde" en 4 actes. Colette », [1927].
Colette entourée de Ninon Gilles et de Paul Poiret. Photographie dédicacée : « En souvenir de la "Vagabonde" en 4 actes. Colette », [1927].

La Vagabonde est une pièce adaptée du roman de Colette, jouée au Théâtre de la Renaissance à Paris dans les années 1920.

Lettre autographe de Colette à Marie-Aimée Méraville, [décembre 1948]
Lettre autographe de Colette à Marie-Aimée Méraville, [décembre 1948]

Marie-Aimée Méraville est une grande admiratrice de Colette. Dès 1928, elle prend l’initiative d’écrire à l’écrivaine pour lui demander son avis – et son soutien – à propos de son premier manuscrit, le futur Coffre à sel. La réponse de Colette est brève et très certainement décevante pour la Cantalienne : Colette « travaille, le jour et la nuit, à un roman qui n’avance pas assez vite, et [elle ne peut] se permettre une distraction ».

Marie-Aimée Méraville tente à nouveau de l’approcher dix ans plus tard, essuyant un refus à la fois peu encourageant (« un volume de nouvelles est un mauvais début ») et sévère (« Je pense que le désespoir, si on l’exige de soi, peut se bannir comme on bannit une mauvaise hygiène […]. C’est un manque d’humilité. »).

Malgré tout, la candidature de l’ouvrage La vache, cette noble servante au prix Eugène Le Roy en 1948 va changer la donne. Ce prix est l’un des trois composants de prix Sully-Olivier de Serres. Fondé par le Ministère de l’Agriculture, il récompense un écrivain « dont l'œuvre est de nature à montrer les difficultés et les mérites de la vie paysanne, à la faire comprendre et respecter, à donner aux agriculteurs le sens de leur mission sociale et leur attirer la sympathie des autres professions ».

Etant membre du jury, Colette va être amenée à lire l’œuvre de Marie-Aimée Méraville et à l’apprécier, au point de lui attribuer son vote et de s’associer à la joie de l’auteur lors du résultat.

Malgré cette estime commune, les deux écrivaines ne se rencontreront jamais. Dans une lettre à son ami Pierre Bayrou datée de 1958, Marie-Aimée Méraville confie ses regrets de n’être jamais allée voir Colette, « mais je craignais d’être déçue par une idole peinte ».

Lettre autographe d’Alexandre Vialatte à Marie-Aimée Méraville, suite à l’attribution du prix Sully-Olivier de Serres à La Vache.

« Mais que je suis content, o Marie bien Aimée, de vous voir enfin mise officiellement à votre place. Elle est d’ailleurs plus haut que ça. Mais ça viendra. […] Avez-vous confiance en vous ? Ayez. Très. Foncez. Vous avez une sèvequi manque à presque tous. Forte, naturelle et charmante, et originale. Il faut vous le dire vous-même, et foncer. Allez-y ! -- Tac ! -- Soyez bien vous (mais ça, ce n’est pas la peine de vous le dire). »

30 décembre 1948

Lettre et dessin à la légende humoristique de Suzanne Robaglia, romancière auvergnate, à Marie-Aimée Méraville
Lettre et dessin à la légende humoristique de Suzanne Robaglia, romancière auvergnate, à Marie-Aimée Méraville

Le début de la lettre se trouve sous le dessin, la fin au-dessus

Contes d'Auvergne

Eminent folkloriste, le nivernais Paul Delarue a consacré sa vie à collecter et étudier les contes de la tradition populaire orale. Il est notamment l'auteur du Catalogue raisonné du conte populaire français, publié en 1951.

Approché par une Marie-Aimée Méraville en mal d’éditeurs, il accepte de lui confier l’écriture du volume consacré à l’Auvergne dans la collection qu'il dirige aux Editions Erasme, Contes merveilleux des provinces de France.

« Vous avais-je dit que je travaillais à un recueil de contes auvergnats pour un savant folkloriste qui dirige une collection fort bien présentée, aux éditions Erasme ? J'en avais conservé une douzaine environ que j'avais découverts sans effort. On m'en a dit d'autres. […] J'y vois l'occasion de revenir à cet admirable style oral paysan que j'entendais dans mon enfance. Mais peut-être sa saveur n'est-elle que toute locale, et toujours difficilement traduisible ! »

Ainsi Marie-Aimée Méraville parle-t-elle de son projet à son ami, écrivain et poète audois, Jean Lebrau, le 1er décembre 1955. La rédaction de contes n'est pas une première pour Marie-Aimée Méraville, qui s'est déjà essayé au genre avec les Contes du vent frivolant. Mais Paul Delarue est exigeant, et va demander à la fois quantité de contes et qualité du récit, permettant à l’écrivaine de reprendre certains textes publiés précédemment en les améliorant.

Il invite ainsi Marie-Aimée Méraville à adopter un style allégé, économe, plus authentique que celui des Contes du Vent frivolant, ces derniers étant, d’après Delarue, trop empesés de remises en contexte et de tournures orales excessives. Il préfère cependant les contes de Marie-Aimée Méraville, pour la plupart directement puisés dans sa mémoire, au travail de collecte d’Henri Pourrat, dont les Trésors sont qualifiés de « fourre-tout ».

Malgré son intérêt pour ce qu'elle appelle le patois, l'objectif de Marie-Aimée Méraville n'est pas de faire revivre cette langue que l'école a bannie. En revanche, il s'agit bel et bien de garder une trace du folklore, de permettre à ceux qui n'ont pas connu les conteurs les soirs de veillée ni l'occitan de retrouver le goût, l'esprit de ces contes immémoriaux.

Le public à qui s’adresse ce livre ne semble pas évident : qui dit contes dit enfants, mais la collection de Delarue, qui se veut très documentée et présente en fin d’ouvrage une classification des contes, ramène le livre vers un lectorat spécialisé.

Quant aux contes eux-mêmes, ils peuvent être lus par des enfants – L'étameur, le sabotier, le curé et le démon est d'ailleurs, du propre aveu de l'auteur, édulcoré pour ne pas choquer le jeune public – mais il est certain que Marie-Aimée Méraville leur attribue un sens sous-jacent qui s'adresse également aux adultes. Les défauts de l'âme humaine n'ont pas d'âge !

Lettre autographe d’Henri Mondor à Marie-Aimée Méraville, avril 1957.

« L’accent de vos sensibilités est l’un des attraits du livre, qui vivra dans la longue histoire de notre cher Pays ».

Portrait photographique d’Henri Mondor, sans date
Portrait photographique d’Henri Mondor, sans date
Corrections dictées par Paul Delarue : liste de mots utilisés dans les Contes nécessitant une explication
Corrections dictées par Paul Delarue : liste de mots utilisés dans les Contes nécessitant une explication

Certains feront l’objet d’une note de bas de page, d’autres seront explicités dans le texte, d’autres encore seront présentés par l’auteur dans son introduction.

Sans date.

Le conte « Laramée » rédigé par Mme Curti-Monier, institutrice à Condat, (manuscrit) et adapté par Marie-Aimée Méraville (tapuscrit corrigé).

Bien que Marie-Aimée Méraville modifie quelques détails et étoffe le texte, la formulation reste généralement identique entre les deux récits.

Sans date

Projet de couverture pour la réédition des Contes d’Auvergne, dessin de Paul Trilloux, [1964]
Projet de couverture pour la réédition des Contes d’Auvergne, dessin de Paul Trilloux, [1964]

Contes de la tortue et de l'hirondelle

L’écriture nécessite parfois un élément déclencheur. Dans le cas des Contes de la Tortue et de l’Hirondelle, c’est une jaunisse, qui frappe Marie-Aimée Méraville en 1955. L’écrivaine reprend la plume pendant sa convalescence : « Ce fut une des semaines les plus heureuses de ma vie, et c’est dans cette période bénie que je me suis mise à écrire des contes, des contes pour les jeunes » (lettre à Pierre Bayrou, 29 octobre 1962).

Malheureusement, elle se heurte aux multiples refus des éditeurs : ce recueil ne convient « pas trop au moule de leurs collections au nom de couleur ou de fleur ». Le public de ces contes est difficile à trouver. Un membre du comité de lecture de la NRF se montre réservé : « Je crains qu’ils [les contes] ne soient un peu trop subtils. Dans l’un d’eux, il est question d’un petit garçon "qui a une sagesse au-dessus de son âge" – ce qui définit assez bien ce recueil ». D’un autre côté, les éditions visant un public d’adolescents les trouvent trop enfantins. Il faudra attendre 1962 pour que Gallimard, l’une de plus grandes maisons d’édition de l’époque, accepte finalement de les publier dans la collection de la Bibliothèque blanche, lui donnant par là même une véritable reconnaissance en tant qu’écrivaine.

Il s’avère que sous ce nom bucolique se cache une diversité de contes, les uns légers (voire un peu trop naïfs ?), comme La queue du loup, où la narratrice, ayant fait croire qu’elle avait coupé la queue du loup pour rassurer le jeune Biquet, doit ensuite apaiser la fureur de ce beau diable soucieux de sa réputation, ou encore les quatre animaux en plastique qui, le soir venu, décidèrent de quitter la salle de classe pour aller s’engager dans un cirque, à la grande déception des élèves et de leur maîtresse. D’autres au contraire sont empreints de sagesse. Ainsi la vieille femme, rejetée du village, va timidement se lier d’amitié avec les enfants. Loin d’évoquer une moralité pesante, c’est une certaine beauté et un espoir dans l’humanité qui se dégage de ce conte subtilement tissé.

On ne s’étonnera pas que ce recueil, soufflé à l’oreille de l’écrivaine par deux animaux bien inspirés, joue à loisir avec les règles du monde réel au point que l’imaginaire façonne la réalité. Il suffit qu’une bande de petites filles se lasse de devoir apprendre à convertir les secondes en minutes pour que tout le système se simplifie, au point que l’âge des adultes en soit modifié. Mais n’est-ce pas irritant de voir ses parents faire des cocottes en papier et jouer à saute-mouton au lieu de s’occuper de la maison et des enfants ? Quant à l’homme méchant, seuls ses remords et la bonté de sa tante lui permettront de se débarrasser de la tête de chien qui a remplacé la sienne.

Entre cocasserie naïve et gravité, Marie-Aimée Méraville nous livre un dernier ouvrage frais et optimiste, sans doute le plus enjoué de ses écrits personnels.

Courrier de refus adressé à Marie-Aimée Méraville par les éditions Alsatia
Courrier de refus adressé à Marie-Aimée Méraville par les éditions Alsatia

11 février 1959

Projet de préface (non publié) aux Contes de la Tortue et de l’Hirondelle
Projet de préface (non publié) aux Contes de la Tortue et de l’Hirondelle

Manuscrit de Marie-Aimée Méraville, dernière page.

Véritable plaidoyer pour une littérature de qualité à l’attention des enfants, cette préface condamne vivement les livres d’aventures au contenu vide et à l’expression puérile : « On peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux que les enfants ne lisent pas se passer de lecture que des’habituer à une lecture médiocre. Un livre que nous avons aimé enfants et que nous rejetterons plus tard n’était pas un bon livre d’enfants ».

Sans date.

Lettre autographe de Pierre Bayrou à Marie-Aimée Méraville

En réponse à ce courrier, Marie-Aimée Méraville confie à son ami que parmi les lettres reçues au sujet des Contes de la Tortue et de l’Hirondelle, la sienne est celle qui l’a le plus touchée.

24 décembre 1962

Mémoire de la langue, mémoire du patois

Poète, conteuse… les contemporains de Marie-Aimée Méraville s’accordent tous sur ce point : elle sait manier les mots. Non pas comme un artiste qui se donnerait en spectacle, ou un bonimenteur qui tromperait son public, mais de manière naturelle et presque innée. S’étant nourrie des contes et récits occitans, ne parlant elle-même que français, elle parvient à transcrire l’esprit d’une langue en une autre sans en perdre l’essence. « Ce que j’aime en vos livres, c’est que vous savez faire parler les Auvergnats et Auvergnates de façon aussi proche du réel que si votre texte était en patois », lui confie le poète Camille Gandilhon Gens d’Armes.

Ses livres, en particulier Le Coffre à sel, reflètent son admiration pour « cette langue naturelle, jaillissante, pleine de témoignages humains ». Mémoire de la langue, mémoires du patois est l’occasion pour elle de mettre par écrit et d’approfondir ce qu’elle sait de l’occitan et de son vocabulaire.

Cette « étude » est un projet tout personnel qui ne sera pas édité de son vivant. Il est publié en 1965 dans la Revue de la Haute-Auvergne, puis en 1970 à la suite d’une réédition des Contes d’Auvergne. Loin de revêtir un caractère scientifique ou de se présenter comme un dictionnaire, ce Mémoire mêle de façon thématique explications linguistiques (parfois erronées) et interprétation de mots occitans selon le contexte dans lequel ils étaient employés : « Un couteau qui a grand besoin d’être aiguisé coupe comme le genou d’une vieille. La pierre à aiguiser, c’est la coux ou coul, et le faucheur la loge dans une coudière (coudeïra), un cornet de bois qui pend à sa ceinture. » Très pédagogique, cette étude est à butiner pour (re)trouver la saveur des expressions auvergnates.

Il faut souligner, comme le pointe Pierre Bonnaud, que cette initiative s’inscrit à contre-courant de l’opinion officielle, notamment celle de l’Instruction publique sur le patois. En tant qu’institutrice de l’école républicaine, Marie-Aimée Méraville est bien placée pour sentir la réprobation générale qui s’abat alors sur les langues régionales. Pourtant, quand tant d’autres instituteurs abattent leur règle en bois sur les doigts des élèves ayant osé prononcer un mot occitan, Marie-Aimée Méraville cultive sa fidélité à la langue qui berça son enfance, persistant à croire en sa beauté : « J’ai eu la chance d’être élevée par une grand-mère qui s’exprimait avec vigueur et avec goût. Son français n’était pas d’une impeccable correction, mais son patois était fort beau et jamais vulgaire ».

Témoin de la disparition progressive de l’occitan, elle ne cherche pas à réhabiliter cette langue ni à encourager son enseignement auprès des jeunes qui ne l’ont jamais entendue : « Quand le patois sera du français traduit, qui trouvera nécessaire qu’un fade patois demeure ? La conversation des vieilles personnes est presque seule à nous rappeler les beaux moments de sa fortune. » L’occitan est un esprit, une manière de s’exprimer par le rythme et l’intonation, une conception particulière du monde, on s’en imprègne plus qu’on ne l’apprend.

Cahier de notes préparatoire à la rédaction du Mémoire de la langue, mémoires du patois
Cahier de notes préparatoire à la rédaction du Mémoire de la langue, mémoires du patois

Sans date

Questions rédigées par Marie-Aimée Méraville pour un jeu radiophonique

Sans date

Charades et devinettes d’élèves de Marie-Aimée Méraville

Sans date

La délectation qu’éprouve Marie-Aimée Méraville à jouer avec la langue et à décortiquer les mots est perceptible à travers ces documents. L’écrivaine prend plaisir à faire réfléchir ses contemporains sur leur langue et incite ses petites élèves à jongler elles aussi avec les mots.

Deux Cantaliens : Albert Monier et Marie-Aimée Méraville

Ils naissent, voisins par le lieu, assez proches par l’âge. Mais, comme deux parallèles, chacun menait sa vie et ignorait l’autre jusqu’à l’intervention d’un pourvoyeur de l’amitié, lié à Méraville depuis 1927, à Monier depuis 1953 : Henri Pourrat. Le maître d’Ambert, toujours au centre des lettres et des arts en Auvergne, unit ce que le Cantal aurait dû unir et n’avait pas uni. Méraville, dans une lettre à Pourrat du 10 mars 1955, avoue ne pas connaître ce compatriote tout voisin et met en avant l’argument du pays coupé : « Son village de la commune de Chanterelle est assez près de Garret bien qu’il ne s’agisse pas du même versant et qu’il n’y ait guère de contacts entre l’un et l’autre ». A partir de 1955, rencontres épistolaires et visites à Saint-Flour révèlent à ces deux « racinés profonds », enthousiastes pour les mêmes choses, leur réelle proximité et nouent, entre chasseur de mots et chasseur d’images, une alliance « vive » et forte.

Texte de Joël Fouilheron, extrait du

Cahier Marie-Aimée Méraville n°2, 2015

Photographie : Danielle Méraville, Albert et

Elvyre Monier, Marie-Aimée Méraville, 1959.

Portrait d’Albert Monier, Jean-Louis Gorce
Portrait d’Albert Monier, Jean-Louis Gorce

Sans date

Lettre autographe d’Albert Monier, accompagnant l’envoi de son ouvrage Au pays des grands Causses

Albert Monier s’y plaint de la « maigreur » du livre : la préface notamment, écrite par Henri Pourrat, est tellement remaniée que le texte semble à son auteur « un peu démanché ».

31 octobre 1959

Albert Monier, Au pays des grands Causses. Texte d’Henri Pourrat [p. 3-8], Paris, éd. Chaix, 1959, 88 p. Ouvrage dédicacé

Dans son article « Un poète de l’image », paru dans La Montagne le 25 décembre 1951, Marie-Aimée Méraville loue ces clichés chargés de sens et de sensibilité : « Albert Monier est trop épris de son pays natal pour ne pas l’exprimer à son heure et à sa manière. Dans l’art poétique de cet homme généreux, l’image doit témoigner : elle peut devenir une métaphore, une antithèse ou un symbole, elle signifie solidarité ou égoïsme, sacrilège ou piété. Elle n’est pas une passive copie du réel, mais transposition et transcendance, elle ne se contente pas d’être un art mineur, elle dégage son propre message ».

Marie-Aimée Méraville à la Chaise-Dieu, photographie d’Albert Monier, 1959
Marie-Aimée Méraville à la Chaise-Dieu, photographie d’Albert Monier, 1959

Lettre autographe d’Albert Monier

Albert Monier y félicite Marie-Aimée Méraville pour l’obtention du prix des Volcans, dont elle partage le 1er prix avec François Raynal.

« J’ai devant moi quelques articles se rapportant au Prix des Volcans, qu’on devait vous attribuer sans partage.

Ces hommages ne sont peut-être pas à votre taille. Ils vont peut-être accélérer le livre que vous nous devez pour employer l’expression de Henri Pourrat. "Il y a un écrivain à Monastier le Double. Demain on le saura mieux encore". On ne le sait pas encore assez mais cette fois tout devrait de déclencher et votre très prochain livre connaître un grand succès – littéraire et … financier ».

4 juillet 1959

Danielle et Marie-Aimée Méraville à Chaudes-Aigues
Danielle et Marie-Aimée Méraville à Chaudes-Aigues

Cliché Albert Monier

Sans date

Courrier dactylographié d’Albert Monier à Danielle Méraville

Dès 1958, Albert Monier propose à Marie-Aimée Méraville de fournir les photographies pour la réédition du Coffre à sel. Le projet tarde cependant, et le livre ne sortira qu’en 1964. Dans ce courrier, Albert Monier évoque les difficultés de trouver des sujets photographiques correspondant avec justesse aux personnages du livre.

8 février 1964

La correspondance d’Albert Monier à Marie-Aimée Méraville n’est pas des plus fournies, cependant ce constat est à réévaluer à l’aune des habitudes l’Albert Monier : dans un courrier du 29 juillet 1959, le photographe lui écrit : « Vous voulez me forcer à écrire, moi qui n’écris jamais, alors je prends ma machine et je me transforme en dactylo, mais c’est mon cœur qui tape et je vais écrire comme un collégien, ce qui me rajeunit de 30 ans ». L’écrivaine a le don d’inciter son ami à se livrer à une activité qu’il n’exerce guère habituellement… mais à laquelle il semble prendre plaisir.

Henri Pourrat et Marie-Aimée Méraville, le maître et l’apprentie conteurs

Marie-Aimée Méraville est écrivaine en herbe quand elle prend pour la première fois contact avec Henri Pourrat, en 1926. De 14 ans son aîné, le maître d’Ambert est déjà reconnu grâce notamment à la publication du premier tome de Gaspard des Montagnes (1922).

La première lettre que Marie-Aimée Méraville lui adresse suggère que ses écrits n’avaient alors pas été à la hauteur. Cependant, la version des Energiques qu’elle lui envoie par la suite le charment immédiatement, et il n’aura de cesse d’encourager sa protégée et de défendre ses œuvres.

Entre échanges épistolaires et visites à Vernet-la-Varenne, une amitié et une admiration réciproque se tisse entre les deux Auvergnats. Henri Pourrat n’aura de cesse d’agrandir le cercle de connaissances de Marie-Aimée en lui présentant des personnalités telles qu’Alexandre Vialatte, Albert Monier…

A la mort d’Henri Pourrat en 1959, Marie-Aimée Méraville prend la plume et publie des hommages dans plusieurs journaux et revues. Alors qu’elle se dit peu habituée à ce genre d’exercice, elle parvient à trouver les mots justes et à tracer un portrait de son ami chargé d’émotion, évoquant le personnage qu’il était et la quasi vénération qu’elle éprouvait pour ce « magicien ».

Photographie : Marie-Aimée Méraville, Marie et Henri Pourrat

Cliché de Danielle Méraville, tirage d’Albert Monier

1955

Henri Pourrat
Henri Pourrat

Cliché Albert Monier

Lettre de Marie-Aimée Méraville à Henri Pourrat

Dans cette lettre, la première de l’écrivaine conservée par Henri Pourrat, Marie-Aimée Méraville exprime son souhait de soumettre une nouvelle fois à son « voisin » le manuscrit encore inachevé des Energiques, le futur Coffre à sel.

9 juillet 1927

Henri Pourrat, Contes de la bûcheronne
Henri Pourrat, Contes de la bûcheronne

Exemplaire dédicacé à Marie-Aimée Méraville

8 octobre 1936

Lettre dactylographiée d’Henri Pourrat à Marie-Aimée Méraville
Lettre dactylographiée d’Henri Pourrat à Marie-Aimée Méraville

Il y évoque entre autres le Prix des Volcans, attribué à Alexandre Vialatte en 1958. Bien que Marie-Aimée Méraville, contrairement aux conseils de Pourrat, ne publie rien cette année-là, elle obtient à son tour le Prix en 1959 (ex-æquo avec François Raynal).

2 juillet 1958

Alexandre Vialatte et Henri Pourrat
Alexandre Vialatte et Henri Pourrat

Cliché anonyme

Sans date

Marie-Aimée Méraville, « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change », L’Auvergne littéraire n° 164, 1959
Marie-Aimée Méraville, « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change », L’Auvergne littéraire n° 164, 1959

Reprenant un vers de Stéphane Mallarmé évoquant Edgar Poe, Marie-Aimée Méraville publie un hommage à Henri Pourrat, retraçant non pas sa vie mais l’homme qu’il était.

Les comptes-rendus de lecture

Lettre autographe de Marcel Aymé à Marie-Aimée Méraville
Lettre autographe de Marcel Aymé à Marie-Aimée Méraville

La remerciant pour sa critique de La rue sans nom, parue dans la Revue nouvelle en octobre 1930. Cette lettre amorce le début d’une belle amitié entre les deux écrivains.

29 novembre 1930

Madame,

Je ne sais comment vous remercier de ce long et bel article de la Revue Nouvelle où vous avez examiné mon livre avec une sympathie clairvoyante et toute fleurie d’indulgence. Je vous suis infiniment reconnaissant d’avoir saisi dans ce roman exactement ce que j’ai voulu y mettre et de m’avoir en même temps découvert certaines idées à mi-mots. L’art du critique arrive bien rarement à cette pénétration et à cette humilité. Permettez-moi, Madame, de vous en féliciter de tout cœur. Il n’y a guère d’article qui m’ai[t] fait autant de plaisir, je vous le dis en toute franchise.

Avec mes sentiments de fidélité, je vous prie, Madame, de recevoir mes hommages respectueux.

Lettre autographe d’Irène Némirowsky à Marie-Aimée Méraville
Lettre autographe d’Irène Némirowsky à Marie-Aimée Méraville

La remerciant pour sa critique de David Golder parue dans la Revue nouvelle en avril 1930. Irène Némirovsky ne s’est pas aperçue que sa correspondante était une femme.

8 mai 1930

Passionnée de littérature, Marie-Aimée Méraville s’adonne à l’art du compte-rendu critique. Entre 1929 et 1963, elle ne publiera pas moins d’une quarantaine de recensions, s’intéressant à des auteurs aussi divers que Jean Anglade, Sinclair Lewis, ou encore Jean Giono. Ces critiques peuvent être commandées par le directeur d’une revue, mais il arrive également que Marie-Aimée Méraville propose d’elle-même la recension d’un livre qu’elle a particulièrement apprécié. Elle y trouve l’occasion de saluer l’ouvrage d’un ami ou de nouer de nouvelles connaissances, en faisant parvenir à l’auteur un exemplaire de son compte-rendu.

Ecrire sans trahir

Marie-Aimée Méraville apparaît partagée entre deux mondes. Le monde paysan, là où elle a grandi, a plongé ses racines dont elle a nourri son esprit avide et façonné sa personnalité, et le monde intellectuel, pas tant la « grande » ville de Saint-Flour que tous ces écrivains et penseurs avec lesquels elle correspond mais sans jamais faire le pas qui lui permettrait de les rejoindre. Elle a besoin de ces conversations, de confronter ses pensées avec des personnes qui sauront les comprendre et les discuter, et Saint-Flour en recèle peu : nombreux sont en revanche les « ennuyeux ennuyés », comme elle les appelle, ceux qui se laissent facilement porter par des distractions futiles, comme sa propriétaire « Télé-vissée » à son poste de télévision.

Cependant, elle craint les hautes sphères de la littérature, redoute de mettre les pieds dans une maison d’édition et dédaigne les jurys des prix littéraires, autant par manque de confiance en elle que par mépris pour ces jeux politiques. Mais elle n’appartient plus non plus au monde paysan, et semble peiner à trouver sa place entre ces deux mondes : « De la vie paysanne et modeste à l’enrichissement, il y a déshumanisation et déchéance. J’ai cru me guérir jadis avec le Coffre à sel, un peu avec La Vache, un peu avec une… étude (?) sur le patois. Tout est toujours à recommencer », écrit-elle en 1958 à son ami Pierre Bayrou. Néanmoins, cet éloignement de ses racines est sans doute ce qui lui permettra d’en saisir la substance, d’en décrire avec tant de justesse la beauté et l’intimité. Son écriture est teintée de nostalgie sans tristesse. Il ne s’agit pas de retrouver un monde perdu, mais de partager des émotions bien vivantes.

« Moi aussi, je vous sais paysanne et appliquée à trahir le moins possible. » lui écrit Lucien Gachon dans sa première lettre, en 1929. « Dès que l’on prend une plume, n’est-ce pas, on trahit ? Tenir la plume et la faulx à la fois, c’est impossible. Alors s’appliquer à la tenir successivement en restant double chaque fois ? » Et pourtant, Marie-Aimée Méraville s’efforcera continument de rester fidèle à ses racines, à sa perception des campagnes, refusant d’exploiter ses souvenirs pour les adapter sous forme de clichés dans un roman consensuel qui aurait davantage attiré l’attention du grand public. Renoncer à la sincérité, ce serait vendre son âme au diable, ce serait aller à l’encontre même de sa raison d’écrire.

La famille de Marie-Aimée Méraville
Marie-Aimée et sa grande sœur Anne-Marie (sans date)
Marie-Aimée et sa grande sœur Anne-Marie (sans date)
Gustave, frère de Marie-Aimée (sans date)
Gustave, frère de Marie-Aimée (sans date)
Félicie Roux, mère de Marie-Aimée (sans date)
Félicie Roux, mère de Marie-Aimée (sans date)
Carte d’identité de Jules Méraville, père de Marie-Aimée (1944)
Carte d’identité de Jules Méraville, père de Marie-Aimée (1944)
Marie-Aimée, sa mère Félicie et sa nièce Danielle (1955)
Marie-Aimée, sa mère Félicie et sa nièce Danielle (1955)

Conclusion

« Avec les premières feuilles abattues par le vent de septembre, Marie-Aimée Méraville s’en est allée… » C’est de ces mots chargés de poésie et de tristesse qu’Elie Deydier rend hommage à Marie-Aimée Méraville. Son brusque départ a surpris ses amis, et nombreux sont ceux qui prennent la plume pour saluer la mémoire de l’écrivaine qu’ils admiraient ou pour évoquer son souvenir dans leurs lettres à sa nièce Danielle.

Atteinte d’un cancer, Marie-Aimée Méraville est opérée une première fois en avril 1962. Elle passe trois semaines dans la maison de repos des Trois-Epis dans le Haut-Rhin, où est prise la photographie ci-dessus ; Marie-Aimée Méraville est la 6e personne en partant de la gauche. Malgré une lourde chimiothérapie, elle semble reprendre le dessus sur la maladie. Ses amis la trouvent en forme et pleine de gaieté au printemps 1963, à l’instar du poète Pierre-Abel Hauvette qui la remercie de sa visite et de son « très beau, très cher et très sympathique rire, que je recommande à toutes les grandes personnes amies ou pas pour qu’ils apprennent à vivre ! Mais comme j’ai été heureux de vous voir vraiment bien, ayant retrouvé santé et saine joie de vivre ».

Malgré ces apparences, Marie-Aimée Méraville subit une rechute et s’éteint à l’hôpital de Saint-Flour le 14 septembre 1963.

N’ayant pas d’enfants, Marie-Aimée Méraville désigne sa nièce et filleule Danielle comme héritière. Toutes deux étaient très proches, regrettant de ne pouvoir passer davantage de temps en compagnie l’une de l’autre. Fidèle à la mémoire de sa tante comme elle lui avait été dévouée de son vivant, Danielle Lenain-Méraville va s’efforcer de faire rééditer les ouvrages de sa marraine, avec un succès divergent selon les maisons d’édition.

Grâce à ses initiatives et au soutien de l’association des Amis de Marie-Aimée Méraville, l’institut médico-éducatif de Volzac, à Saint-Flour, décidera de célébrer le centenaire de la naissance de l’écrivaine en prenant son nom, en juillet 2003. En 1969, la ville de Saint-Flour lui avait déjà rendu hommage en baptisant de son nom l’une de ses rues.

Marie-Aimée Méraville aura laissé à tous ceux qu’elle a connus le souvenir d’une personne simple, sincère, généreuse, dotée d’un humour malicieux et d’une fidélité sans faille envers ses amis.

Portrait de Marie-Aimée Méraville
Portrait de Marie-Aimée Méraville

Pierre-Dié Mallet, pastel

L’écrivaine n’était pas très à l’aise avec l’idée de poser pour l’artiste mais finit par céder : « Je l’offenserai en lui refusant encore de me laisser pourtraire », écrit-elle à Henri Pourrat en février 1946.

Avril 1949

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