Au fil des pages...
On les achète, on les feuillette, on les parcourt, on les dévore, on les referme, on les relit ou on les oublie... Instant de passion ou d'ennui, souvenir marquant ou intermède éphémère, les livres jouent avec nos émotions et nos sentiments mais ne sont pas toujours récompensés en retour.
De longues années passées sur les étagères d'une bibliothèque, à voir défiler les visages curieux d'élèves à la recherche d'évasion, à attendre que s'arrête sur leur tranche l'index qui les extirpera un temps de la monotonie régulière des rayonnages, puis c'est la fin. Le pilon. Ou presque. Pour ces quelques miraculés, c'est une sorte de purgatoire qui s'offre à eux, sous l'aspect d'un carton dans lequel une poignée d'étudiants sont venus piocher, peser et décider si tel livre connaîtra les flammes ou la renaissance. Bienvenue dans le paradis des livres.
"Créez une oeuvre à partir d'un livre", telle est la consigne donnée par Benoit Bauzil à ses élèves d'arts plastiques au lycée Gerbert, à Aurillac. En guise d'introduction, la vingtaine d'apprentis artistes a été reçue aux Archives départementales pour une histoire du livre illustrée d'exemples : des rouleaux de papyrus puis de peaux de parchemins cousues à la suite au livre relié, de la gothique médiévale à la machine à écrire, en passant par les sceaux et les journeaux, la visite avait pour objectif d'élargir l'idée que l'on se fait du livre, qui n'a pas toujours été un objet du quotidien en format poche, accessible à tous.
Munis de ces nouvelles connaissances, de leur propre culture, de leurs opinions et surtout de leur imagination, les élèves ont disposé de deux mois pour réfléchir et mettre en oeuvre leur projet. Passés sous le prisme de l'art, les livres abandonnés par les lycéens et mis au rebut par les documentalistes connaissent une nouvelle vie. Un réincarnation, dans laquelle on retrouve une partie de l'objet original, une page déchirée, une couverture, quelques feuilles collées, un ouvrage creusé en son centre. Auparavant support de lecture, le livre perd sa destination première mais garde son essence. Car n'est-ce pas la vocation d'un livre que de provoquer des émotions, d'emmener son interlocuteur loin du quotidien, de l'inviter à se poser des questions, à remettre en cause ce qu'il tenait pour acquis ?
Vous constaterez que les oeuvres que vous avez sous les yeux sont des plus variées, non seulement par leur forme, mais aussi par la manière dont le sujet a été abordé. Rêveur, provocant, tragique, intriguant, désabusé, ... chaque élève a réagi différemment face au livre et nous offre, par le biais de son art, un apreçu de se personnalité. Et vous, qu'auriez-vous créé ?
Lucie Dorsy
Directrice des Archives départementales du Cantal
Ma production se présente sous la forme d’un livre fermé, creusé, dans lequel une plante a trouvé place. Pour autant un livre n’a pas pour vocation de rester fermé sur une étagère de bibliothèque.
Il veut être ouvert, parcouru, exploré, détaillé… mais là, ce n’est pas le cas.
Là, il est fermé.
De la végétation a alors pris place, mais aujourd’hui, cette plante, enfermée dans cette vitrine, s’étouffe, périt. L’image qui est alors donnée à voir est en lien avec ce livre oublié…
Effectivement, elle illustre le fait que ce livre abandonné, fermé, est lui aussi en train de mourir et de sombrer dans l’oubli dont il est victime.
L'idée m'est venue lorsque j'ai vu le titre du livre à partir duquel a été réalisé ce travail : Les Aventures De L'Île Aux Pies. Le titre d’un ouvrage donne rapidement une vague idée de ce à quoi l’on peut s’attendre au fil des pages.
Tout naturellement l'idée de l’île s’est imposée dans mon esprit, une île où aventures et ambiguïtés se côtoyaient.
L’île représente-t-elle les vacances ? la détente ? le fait d'être seul et coupé du monde, isolé ? Nous sommes sur un espace fermé, délimité, mais au grand air.
Confiné sur ce minuscule bout de terre, il n’y a plus que deux choix : mourir d'ennui sous un palmier ou emprunter le ponton sans savoir où il nous mènera.
Quel choix feriez-vous ?
Ce travail est réalisé à partir de feuilles issues d'un roman oublié, abandonné. Le traitement plastique de ce fond accentue le côté ancien, l'idée de vécu. Sur celui-ci, j'ai réalisé une fleur dans un traitement différent, l'idée d'une vie passée est moins présente bien que le papier soit un peu jauni.
Au travers de ce travail, le livre connait un renouveau.
Ce renouveau reste toutefois ambigu puisque la fleur qui est représentée est un chrysanthème ; fleurs habituellement destinées à orner les cimetières.
J’ai tenté de faire comprendre par le biais de cette production que même le renouveau connaitra, lui aussi, une fin.
"Oh Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ?" qui ne connait cette phrase culte soufflée de la bouche de la douce Juliette, pensive sur son balcon ?
Le décor est planté. Nous sommes chez Shakespeare, ou plutôt dans le jardin des Capulets.
Roméo et Juliette, c’est le yin yang, c’est la complémentarité, mais c’est aussi une union impossible.
Roméo est en bas, dans la pénombre. Cette obscurité symbolise l'amour interdit. Les éclats de rouge passionnel quant à eux traduisent le brasier de l'amour.
Le fils des Montaigus tend son bras vers sa tendre aimée, mais cette dernière est sur la page suivante. Une barrière, une limite est alors tracée.
Par un jeu de couleurs et de matières, l’histoire des amants de Vérone trouve sa place au sein de l’ouvrage sur lequel ils sont ici représentés.
Mon travail est une illustration du thème présent dans le livre que j'ai choisi d'investir. La châsse de saint-Agapit est un ouvrage traitant du scoutisme et du christianisme. C'est alors tout naturellement que j'ai décidé de représenter une église de campagne.
Ce travail est réalisé à partir d’un livre rédigé en anglais intitulé Gypsy.
Nous sommes au cœur d’une intrigue qui sent l’huile de vidange et les pots d’échappement. Les moteurs grondent, la poussière s’envole.
Telles les traces laissées sur le sol par le dérapage des deux-roues, des plages colorées circulaires viennent créer un dialogue avec des mots de l’histoire.
Un recueil de poème, un recueil de pétales… Les Fleurs du mal, mes fleurs étouffées…
Le titre et l’image s’associent, s’assemblent pour ne faire qu’un.
Fleurs rouges et roses souffrant de l’étreinte du barbelé qui jaillit du cœur du livre, côtoient les fleurs les plus ténébreuses, déjà plongées dans une longue et lente agonie. Pétales parsemés au pied de l’ouvrage, le sommeil éternel est proche.
Cette production est réalisée à partir de la couverture du livre intitulé Night of the Kachina qui traite de la mort d’un indien.
Le corps abattu de cet homme reste figé au creux du livre alors que son âme, ici symbolisée par le découpage des pages, le quitte.
Son meurtrier, présent sur l’avant de l’ouvrage tente, en vain, de toucher l’âme du défunt.
Tout a commencé lorsque je me suis retrouvée avec ce livre dans les mains.
Il était au fond d’un carton poussiéreux et je voulais lui donner un second souffle.
Son titre, Dream of the dead.
Une opposition claire entre deux mondes, deux univers : le rêve et la mort.
A chaque mot, sa sensation ; à chaque mot, sa couleur ; à chaque mot, son attribut, une arme, une fleur.
Une allégorie du paradis après la mort…
Assise au creux de mon fauteuil, plongée dans mon livre, je m'évade, je voyage. C'est à partir de cette idée mais également du titre de ce livre que j'ai créé cette production à base de fil cousu.
Cette technique est un clin d'œil aux méthodes utilisées autrefois pour fabriquer des surfaces de papier de dimensions plus importantes.
Dans son élan, l'avion, cet oiseau de fer, vole au-dessus de ma tête. Il me permet, tout comme les mots écrits sur ces vieilles pages jaunies par le temps, de pérégriner, de m'échapper…
« Le secret de la Luzette » est un roman débordant de secrets et de mystères.
Alors j’ai décidé d’utiliser l’histoire de ce récit comme œuvre d’art.
Sur la couverture, nous pouvons observer une jeune femme qui est probablement l’héroïne du roman, Luzette.
Elle est sans doute submergée par de nombreux secrets. Ainsi, je lui ai cousu les lèvres avec du fil blanc ce qui déclare qu’elle ne pourra pas éternellement cacher l’évidence de ses secrets. Mais à cet instant elle est encore emprisonnée par ce fil blanc.
Mais quelques mots sortent de sa bouche, « avoir d’amers regrets et secrets ». Tout laisse à penser qu’un jour elle nous soufflera son profond silence…
Où va-t-elle ?
Nous sommes en Provence. Le chant des cigales se mêle aux senteurs des pins qui ne plient pas sous le poids de la chaleur méditerranéenne.
C’est à Fontvieille que se rend la demoiselle. Au moulin. Au Moulin de Maitre Cornille.
Les ailes de la meunerie tournent toujours, mais on le sait bien, le meunier fatigué n’a plus de blé à moudre.
C’est sur les mots de Daudet que l’image trouve sa place, sur ce ciel lettré. C’est dans ces lignes que se cachent le meunier et son secret. Cette jeune fille apporterait-elle avec elle les gens du village, et l’espoir dans les yeux du vieux minotier ?
L’intrigue du livre que j’ai décidé d’exploiter se déroule pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Ma production est un ouvrage à l’aspect abimé, troué, taché, brûlé.
Dans la boue, sous la pluie, sous les feux de la mitraille, les hommes avancent, courent et tombent…
Une accalmie. On se pose. On se repose. On ouvre un livre. Un instant même, on s’évade, dans la lecture de l’ouvrage. Ça y est ! On est ailleurs, sous un ciel bleu, le parfum des fleurs, les rires des enfants, on est plongé dans la lecture. On en oublierait presque que l’on est en guerre. Mais…
Un son. Sombre. Rapide. Des cris. De la poussière. Pas le temps de refermer le livre. La balle le traverse. Pas le temps de se mettre à l’abri. On tombe…
Un dernier souffle. Et puis on part, on s’évade pour de bon. En ayant devant les yeux, le livre taché de son sang.
Glad to be back ? mais y aura-t-il seulement un retour ?
Redonner une vie a un livre ayant déjà de longues années d’existence derrière lui. Voilà ce qui m’attire et ce que j’essaye de mettre en place.
Montrer qu’après l’oubli, tout recommence. Tout repart de zéro.
C’est en ce sens que les aiguilles de l’horloge sont dirigées vers ce chiffre. Elles annoncent le début d’une nouvelle histoire, le début d’une nouvelle vie, un nouveau départ.
Mais cet objet présente toutefois une usure. L'horloge est abimée. Elle est brûlée. Cela montre que même s’il y a un nouveau départ, les marques du passé demeurent et restent des empreintes dans les mémoires.
C’est l’histoire d’un livre. Un livre dépourvu de couverture. Presque nu.
Il est là, devant moi, et je me questionne. Qu’est un ouvrage sans sa couverture ? Je ne peux le laisser ainsi… je vais lui en offrir une nouvelle !
On y verra son héroïne, Katie Scarlett O'Hara, son voile de noces sur sa tête, tendant la main et avançant tout en étant retenue dans un couloir sombre.
C’est une femme aimée et désirée par les hommes, qui reste toutefois entourée et tourmentée par la mort de ses deux époux : Charles Hamilton et Franck Kennedy.
Mais sa passion est fidèle, et tout au long de sa vie, elle ne songera qu'à retrouver son premier amour.
Barrer, biffer, caviarder, démarquer, détruire…
Gommer, gratter, rayer, supprimer…
Obscurcir, oublier, disparaitre…
Telle Madame Anastasie, en 1874, munie de ses ciseaux, la censure s’active !
Livres, journaux, bulletins d'informations, pièces de théâtre et films, tout y passe…
Cette production met en image les différentes actions permettant d’effacer, d’écarter, de plonger dans l’oubli…
Quelques marches. Un couloir. Une ascension. Une ouverture…
Cette production est réalisée à partir d’un livre aux dimensions modestes. Ce sont ces dimensions et surtout son épaisseur qui est remise en question.
Le travail de découpage a pour but de donner une certaine profondeur physique à l’ouvrage, une plongée au cœur des pages, quitte même à dépasser l’épaisseur de ces feuilles pour aller vers un inconnu...
Une marche en avant, une élévation…
Le fait de représenter un homme aux allures de superhéros avec sa cape en papier, nous donne deux approches différentes de la notion de héros.
Dans la première, l'homme peut être un héros lorsqu'il surpasse des obstacles faciles ou plus ardus, lorsqu’il fait preuve de courage, de puissance, ou qu’il réalise des exploits ...
Toutes les époques ont eu leurs héros, qu’il soit mythique (Héraclès...), fictif, aux pouvoirs surhumains (Superman...), nationaux (tel les pères fondateurs des Etats-Unis...), ou bien encore de notre société (pompiers, médecins...).
L'utilisation du papier permet de mettre en évidence la deuxième approche. Effectivement, il s’agit là d’un matériau fragile, destructible… il peut s'envoler, disparaitre à tout moment.
Cela peut alors questionner sur le statut de héros. Est-il indétrônable, indestructible, surpuissant ?
Envie de voyager ?
C’est ce qui se passe quand je me plonge dans la lecture de certains livres.
Ici, ce sont des envies de destinations qui se retrouvent sur les feuilles du livre. C’est un peu dans un esprit de carnet de voyage que ma pratique a pris place.
Londres, Manhattan, Québec, Sydney, San Francisco, Shanghai, Rio de Janeiro, Marrakech, se mêlent aux villages de l’Italie ou du Vietnam.
De couleurs plutôt vives, le rendu contraste assez fortement avec le support sur lequel ces images sont reproduites. C’est comme si une certaine modernité venait dialoguer avec les décennies qui ont fait du livre ce qu’il est aujourd’hui, à savoir un objet fragile, usée, jauni.
A la lecture de ce livre j’ai découvert Agnès.
Agnès c’est le personnage principal. C’est une jeune femme qui est issue d’une famille bourgeoise. Mais le poids de son éducation lui pèse sur les épaules. Elle veut être libre, faire ce qu’elle aime. Elle est en rébellion avec son entourage. On est en 68…
Mots après mots, lignes après lignes, partageant son histoire, j’ai eu envie de lui donner vie. J’ai eu envie de l’aider à se libérer du carcan de ces pages et de la faire sortir de ses oppressions.
C’est ainsi qu’elle s’érige et prend place au centre du livre.
La couverture d’un livre est parfois le reflet de son contenu.
C’est dans cette idée qui axée la réflexion autour de ce travail.
Les pages de l’ouvrage qui en sont extraites, sont usées, abimées, et détentrices d’une histoire, d’un vécu.
Assemblées les unes aux autres, la narration prend place.
C’est sur cette narration que l’agrandissement de la couverture vient se déposer pour transmettre la sensation que celle-ci représente le livre en lui-même, son intrigue, etc…
Toutefois nous sommes en mesure de nous demander si l’on peut juger un livre à sa couverture ?
Parcourant les pages d’un livre, mon regard s’est posé sur l’une d’entre elles en particulier, dont l’illustration met en place une certaine notion de limite. Il s’agit là, en l’occurrence, de la limite physique de l’illustration.
A travers cette image, j’ai vu un « STOP ». Mais loin d’en rester là, j’ai perçu que ce « STOP » pouvait être bousculé, dépassé, franchi.
La société actuelle est régie par des codes qui sont eux aussi des limites.
J’ai alors décidé de faire cette création pour illustrer le fait que ces limites peuvent être dépassées. Nous parlons ici concrètement des limites du dessin, mais plus implicitement, nous évoquons aussi des limites imposées par la société. Le non-respect de ces codes communautaires met la personne à part, éloignée du groupe. Mais celle-ci, qui a osé faire le pas, qui a osé outrepasser le code prédéfini, a finalement l’opportunité, et la chance, de vivre différemment.
Ils étaient là, au fond d’une armoire.
Ils étaient là, un peu froissés, un peu usés.
Quelqu’un les a touchés, quelqu’un les a feuilletés.
Mais pour sûr, ils étaient oubliés.
Ils sont papiers. Ils sont cahiers. Ils sont livres et feuillets.
Aujourd’hui, un deuxième souffle leur est donné.
Ils sont l’Histoire, fragments de vécu,
Et détiennent dans leur sein,
Le reflet, l’incarnation de notre patrimoine cantalien.