Entre Collaboration et Résistance
Les Cantaliens dans la Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale est une période de l’histoire de France encore vive dans les esprits. Par sa proximité temporelle d’abord – que sont 75 ans par rapport aux millions d’années écoulées depuis la naissance de l’Homme ? – par sa proximité géographique également, puisque le territoire français fut envahi. Par son ampleur, menant à un choc des puissances mondiales sur trois continents. Mais pas seulement. La Seconde Guerre mondiale est également un traumatisme pour les populations, qui subirent les privations, la peur, l’absence des prisonniers de guerre, la déportation, les représailles, les morts arbitraires. Bien plus, ces persécutions furent mises en œuvre par l’ennemi, mais aussi par le voisin ; il faut craindre les dénonciations, les traîtres, quel que soit le parti que l’on ait choisi : collaboration, résistance, opportunisme ou, comme la majorité de la population, profil bas. Malgré les beaux discours du général De Gaulle, vantant une France résistante unie, la France est déchirée et certains ne s’en remettront pas. Encore aujourd’hui, des tabous persistent.
La Seconde Guerre mondiale est un traumatisme pour ceux qui l’ont vécue, mais elle pose également question à ceux qui sont nés après. Comment aurais-je réagi si j’avais été député, invité à voter les pleins pouvoirs à Philippe Pétain ? Aurais-je pu risquer ma vie, celle de mes enfants, pour sauver des inconnus ? Aurais-je pris les armes alors que la Libération était encore une vague utopie ? Serons-nous capables de reconnaître le prochain Hitler s’il se présente, et ferons-nous quelque chose pour l’arrêter ?
Toutes ces questions valent la peine d’être posées, et expliquent la nécessité de continuer à enseigner cette période aux plus jeunes. Collaboration et Résistance, le thème fait partie du programme scolaire des 3es et des terminales. C’est pourquoi le service éducatif des Archives départementales a souhaité mettre à la disposition des enseignants des ressources leur permettant d’aborder cette période sous l’angle de l’histoire locale.
L’objectif de cette exposition n’est pas de retracer la période de 1939 à 1945 dans son exhaustivité. Il faudrait bien plus que ce petit espace et ces quelques textes introductifs pour le faire. Il s’agit plutôt d’une sélection de documents permettant d’évoquer les principales mesures collaborationnistes prises par l’Etat français et leur application dans le Cantal, de donner un aperçu de la vie quotidienne des Cantaliens à cette époque et de présenter quelques actes de la Résistance jusqu’à la Libération. Tous mes remerciements vont à Stéphanie Duplay, professeur d’histoire au lycée Emile Duclaux et responsable du service éducatif, pour la conception de cette exposition, et à Laurent Joly et Philippe Michalet pour l’encadrement et l’éclairage.
Conçue pour les jeunes, cette exposition s’adresse à tous. J’espère que chacun y trouvera un enrichissement et de nouvelles questions à méditer.
Lucie Dorsy
Directrice des Archives
départementales du Cantal
La Collaboration
En déclarant la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939, la France se place dans une situation qu’elle voulait à tout prix éviter, encore traumatisée par le massacre de 1914-1918. De septembre 1939 à mai 1940, c’est la « drôle de guerre », une guerre sans combats, les armées françaises étant retranchées dans une attitude défensive derrière la « ligne Maginot ». Le 10 mai 1940, les Allemands mettent fin à la « drôle de guerre »
en attaquant à l’ouest. A la mi-juin, la « campagne de France » est perdue pour les Français.
L’effondrement militaire provoque la chute de la IIIe République. Le 16 juin, Paul Reynaud, président du Conseil, démissionne et est remplacé par le maréchal Pétain. Il sollicite de l’Allemagne un armistice qui est signé le 22 juin 1940. Puis le président
de la République, Albert Lebrun, convoque les deux Chambres (Chambre des députés et Sénat) qui votent le 10 juillet 1940 un texte donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Philippe Pétain est désormais le chef de l’Etat français, dont la capitale est Vichy. Très populaire auprès des Français pour qui il est toujours le « héros de Verdun », sa popularité est entretenue par la propagande qui passe par les affiches, les mes-
sages radiodiffusés, la presse.
Des chantiers de jeunesse sont crées, destinés à partir de janvier 1941 à tous les Français en âge d’accomplir leurs obligations militaires, pour un service de huit mois. Il s’agit de conserver, malgré les dispositions de l’armistice, un embryon de service militaire et d’endoctriner les jeunes Français dans le cadre de la Révolution nationale dont la devise est « Travail, famille, patrie ».
Le régime de Vichy met en place la collaboration avec l’Allemagne. Celle-ci prend différentes formes : politique, économique, administrative. Par exemple, l’Allemagne demande à la France de lui fournir de la main-d’œuvre. En 1942 est mis en place le système de la Relève : si trois hommes viennent travailler en Allemagne, un prisonnier français sera libéré. Mais devant le manque de volontaires, une loi instaure le service du travail obligatoire (STO) en septembre 1942, pour répondre aux besoins de main-d’œuvre de l’Occupant : les classes d’âge de 1920, 1921 et 1922 sont mobilisables pour le travail en Allemagne. Les départs en masse de l’été 1943 désorganisent en profondeur l’économie française et notamment les campagnes. De nombreux jeunes Français, réfractaires au STO, partent rejoindre les maquis.
La collaboration s’illustre aussi dans le domaine policier et dans la traque de ceux que les nazis considèrent comme des adversaires ou des « indésirables » : les Juifs, les communistes et les résistants paient le plus lourd tribut. Le régime de Vichy, qui interne dans des camps tous les étrangers, promulgue en 1940 et 1941 deux statuts des Juifs : ils sont d’abord exclus de toute fonction qui leur permet d’exercer une autorité (fonctions électives, fonction publique, enseignement, cinéma, théâtre, radio…), puis leurs entreprises sont confiées à des administrateurs-gérants et ils doivent se faire recenser et porter l’étoile jaune. En attendant leur déportation vers l’Allemagne, ils sont regroupés dans des camps. Dans le Cantal, c’est à Chaudes-Aigues, station thermale dont les hôtels offrent de nombreux logements, que les juifs étrangers sont regroupés, s’attirant les foudres de nombreux habitants qui rédigent des pétitions.
Afin de traquer les opposants, le régime de Vichy crée en 1943 la Milice, force paramilitaire et police parallèle officialisée par le gouvernement. La Milice est l’héritière de la Légion française des combattants, créée dès 1940 par la fusion des associations d’anciens combattants.
Propagande et culte du Maréchal
Dessin et paroles de chanson sur l’air de « En passant par la Lorraine » réalisés par des enfants de l’école de Viescamp-sous-Jallès (Lacapelle-Viescamp) en l’honneur du maréchal Pétain.
[1940-1944]
1 W 61
Cartes postales de propagande adressées aux enfants.
[1940-1944]
40 Fi 672, 696 et 708
Mouvements de la Collaboration
Relève et STO
De nombreux jeunes Français refusent le STO et préfèrent se cacher ou entrer en résistance plutôt que d’aller travailler en Allemagne. Certains proches de ceux qui sont partis dénoncent les réfractaires. Sur un total de 650 000 convoqués jusqu’en juin 1944 au titre du STO, environ 200 000 réfractaires préfèrent prendre le maquis.
Statut des juifs
Questionnaire que doivent remplir les juifs en vertu de la loi du 2 juin 1941 sur le statut des juifs
La loi du 2 juin 1941 remplaçant la loi du 3 octobre 1940 sur le statut des juifs, dite « second statut des juifs », est un acte édicté par le régime de Vichy par lequel celui-ci précise la définition, à son sens légale, de l'expression de « race juive ». Cette loi rapporte l'appartenance à la « race juive » à la religion des grands-parents, comme le montre l’intitulé des questions auxquelles doivent répondre les juifs.
Juin 1941
1 W 153-1
Lettres du président de la Légion française des combattants, section de Chaudes-Aigues transmettant à son supérieur une pétition des habitants contre les juifs
Au début de l’année 1942, le préfet décide de regrouper à Chaudes-Aigues les Israélites étrangers. La station thermale offre des hôtels et des meublés et elle est isolée des grandes voies de communication, ce qui facilite la surveillance. En janvier 1942, 65 juifs s’y installent mais ils se heurtent rapidement à l’hostilité de la population conservatrice, catholique et pétainiste de la station.
23 mai 1942
1 W 213
La vie quotidienne des Cantaliens sous l'Occupation
La France est soumise entre 1940 et 1944 à un véritable pillage : outre l’indemnité d’occupation que la France doit payer à l’Allemagne (400 millions de francs par jour), de nombreux prélèvements sont faits sur la production. Il en résulte pour les Français une pénurie de produits de première nécessité qui exige la mise en place d’un rationnement strict dès 1940. En août-septembre 1940, les mairies distribuent des cartes individuelles de rationnement. Le système est fondé sur un certain nombre de catégories qui dépendent du sexe, de l’âge, de l’état de santé et de l’activité des détenteurs de cartes de ravitaillement.
En moyenne, en 1941, la ration calorique fournie par les cartes de ravitaillement est de 1 230 Kcal par jour, en 1942, elle n’est plus que de 1 100 Kcal par jour alors qu’on estime qu’un homme adulte et actif a besoin d’au moins 2 200 Kcal pour demeurer en bonne santé. A la même époque, les Allemands disposent de plus de 3 000 Kcal par jour.
Chaque fin de mois ou chaque fin de trimestre, pendant 7 ou 8 ans, la population défile dans les mairies pour le renouvellement des tickets de pain, de viande, de matières grasses, de sucre, de café. A mesure que la guerre se prolongeait, tous les produits furent rationnés : denrées alimentaires sans exception, textiles, chaussures, métaux et objets métalliques, tabac (à partir de 18 ans pour tous, hommes et femmes), articles de papeteries (les écoliers recevaient une carte de cahiers) et même semences de jardin (on avait sa carte de jardinage).
Le système de rationnement est tellement insuffisant qu’il incite les Français à le contourner par des pratiques allant du système D au marché noir en passant par la fraude (fausses cartes de ravitaillement). Le régime de Vichy autorisa certaines pratiques comme l’élevage de lapins ou le jardinage.
Les Cantaliens sont également sollicités par les autorités pour accueillir des réfugiés, c’est-à-dire des Français provenant de la zone occupée. Ceux-ci sont acheminés par train dans le Cantal, hébergés dans des hôpitaux ou établissements scolaires puis répartis chez les habitants, dans tout le département. Si, au début de la guerre, on voit arriver des familles du nord et de l’est de la France, notamment de la région parisienne, l’année 1943 connaît un afflux d’enfants évacués de Marseille pour les protéger des bombardements des alliés ; ils sont surnommés les « Petits Marseillais ». Au total, plus de 63 000 personnes trouveront refuge dans le Cantal, dont environ 5 000 Petits Marseillais.
Parallèlement, la population cantalienne subit de nombreux dommages, prise parfois dans les combats entre maquisards et armée allemande. Les Allemands n’hésitent pas à s’en prendre à des villages entiers, soupçonnés d’abriter des maquisards, ou à prendre des otages comme à Maurs. Comme le montre le tableau II d’Eugène Martres, intitulé « Motifs d’arrestation », sur les 131 Cantaliens déportés comme otages lors de rafles, 87 ne sont pas rentrés.
Déportation et répression
Tableaux sur les déportés élaborés par Eugène Martres, correspondant pour le comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale
Répartition des déportés :
- par année et par âge
- par motif d’arrestation
- par profession
- par camp de déportation
1963
4 BIB 80-26
Lettre du maire de Maurs au préfet, évoquant la rafle subie par sa commune
Le 12 mai 1944, la commune de Maurs est victime d’une rafle infligée par les troupes allemandes stationnées dans le Lot. Maurs fut la seule commune du Cantal raflée au milieu de villes du Lot. Il y eut dans toutes ces villes, en plus des pillages et des incendies, près de 800 arrestations, dont 8 femmes, et quelques exécutions (une douzaine ?). A Maurs, deux colonnes allemandes se présentèrent dans la matinée du 12 mai 1944. Tous les hommes furent rassemblés dans une prairie et le soir, furent emmenés en camions à Montauban. Dans son rapport au préfet le lendemain, le maire de Maurs dresse le bilan : 117 ou 118 hommes raflés et un mort.
13 mai 1944
1 W 97
Note d'information sur les conséquences pour la population des combats entre Allemands et maquisards
La population de la commune de Clavières, victime des représailles des Allemands, a été particulièrement touchée : personnes tuées, carbonisées, disparues, gravement blessées. Outre les pertes humaines, de nombreux dégâts matériels sont à constater.
21 juin 1944
1 W 97
Tableau récapitulatif des « incidents de guerre » de juin 1944
Pour le seul mois de juin 1944, 38 civils ont été tués et 137 partisans dans le Cantal, sans compter les maisons détruites.
Juin 1944
1 W 121
Vie quotidienne
Compte-rendu de la préfecture sur l'activité du marché noir
Pour faire face au problème de rationnement, le marché noir est mis en place clandestinement. Des équipes spécialisées vont dans les campagnes pour rafler tous les produits contre de l’argent ou d’autres marchandises, puis les produits collectés gagnent les grandes villes et le sud de la France en zone libre où ils sont revendus au prix fort. De 1941 à 1943, 2 592 contraventions sont dressées par les services des répressions.
1943
8 W 289
Fiches médicales de « Petits Marseillais » placés à Joursac
Avant leur transfert vers les campagnes, les enfants sont examinés par un médecin qui met à jour leurs vaccins et détermine en fonction de leur état de santé s’ils peuvent partir.
1943
E DEP 1432/4
Demande d'autorisation de bal adressée au sous-préfet de Mauriac et note du chef de cabinet du préfet au commandant de gendarmerie autorisant ce bal
Les bals étant condamnés moralement par le régime de Vichy, ils ne sont permis que par autorisation du préfet. Les habitants doivent donc demander l’autorisation de danser pour les mariages.
14 et 16 février 1944
1 W 128
La Résistance
La Résistance naît avec l’appel du général de Gaulle, lancé le 18 juin 1940 depuis Londres. C’est l’avènement de la « France libre » par opposition à la France de Vichy.
Au sein du territoire français, des mouvements de résistance se constituent dès l’automne 1940. Dans la zone sud, où se trouve le département du Cantal, trois grands mouvements se créent : Combat, Franc-Tireur et Libération.
Jusqu’en 1941, l’action essentielle de la Résistance consiste à s’affirmer par des tracts, des journaux, à collecter des renseignements pour les Alliés, à aider les évadés. Mais les résistants sont peu nombreux et dispersés.
Alors qu’en novembre 1942, l’armée allemande envahit la zone Sud, la Résistance décide de se rassembler en mars 1943 dans les Mouvements Unis de la Résistance (MUR), alliant les trois grands mouvements (Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud) pour gagner en efficacité en mettant en place des actions de grande envergure.
C’est au début de l’année 1943 qu’apparaissent les premiers maquis dans le Cantal comme à La Luzette (Saint-Saury), puis de nombreux maquis se constituent à différents endroits du département.
Les actions de la Résistance sont nombreuses : sabotages (pylônes électriques, locomotives, voies de communication, usine d’oxygène liquide à Massiac…) mais aussi distribution de tracts et presse clandestine. Les résistants trouvent également des terrains de parachutage qui doivent être validés par un spécialiste et parfois par l’aviation alliée qui en prend des photographies. Lorsque le terrain est homologué, il reçoit, de Londres, un nom de code et une phrase qui sert d’indicatif. La phrase choisie est communiquée aux équipes locales qui reçoivent les parachutages. Quand la phrase-clé passe à la radio à 13 heures, 19 heures, 20 heures (ou 21 heures), c’est l’annonce du parachutage pour la nuit même. Il faut donc écouter les messages chaque jour. 289 containers ont touché le sol cantalien avant le 31 mai 1944 (source : Eugène Martres).
De nombreux maquisards seront tués les 10 et 11 juin 1944 au Mont Mouchet, où les résistants cantaliens s’étaient regroupés avec ceux des départements voisins. La répression allemande a fait, selon les données d’Eugène Martres, 64 ou 68 morts cantaliens chez les combattants et 35 civils, essentiellement à Clavières (au total, sur les trois départements du Cantal, de la Lozère et de la Haute-Loire, entre 175 et 198 morts, tant combattants que civils). Les combats du Mont Mouchet sont la défaite la plus marquante des maquisards cantaliens contre l’Allemagne.
Photographies d'immeubles détruits
Après l’assassinat de Geissler, chef du SD à Vichy (Sicherheitsdienst = service de renseignement de la SS), lors de sa visite à Murat le 12 juin 1944, des représailles ont lieu le 24 juin à la suite d’un combat entre maquisards et Allemands dans Murat : une centaine d’arrestations et de déportations ainsi que des maisons détruites.
Juin 1944
Rapport sur les différents actes de résistance
Rapport du préfet du Cantal au préfet régional sur les différents actes de résistance commis dans le département du 22 septembre au 6 octobre 1943.
8 octobre 1943
1 W 58
Tracts de contre-propagande
Tout au long de l’Occupation, les tracts demeurent des vecteurs essentiels de la contre-propagande menée par les résistants pour s'opposer aux sources d’information officielles. Les tracts parachutés permettent également aux Anglais et à la France Libre de lutter contre les attaques lancées par le régime de Vichy et l’Occupant contre les Alliés, notamment après le décès de civils au cours de bombardements. L’aggravation des peines encourues pour distribution de tracts clandestins ne freine pas le phénomène qui ne cesse de s’amplifier, jusqu’à la Libération.
1943 (1 W 52)
1943 (1 W 58)
Sans date (1 W 52)
Hommage au docteur Mallet et à ses fils
Compte-rendu retraçant l’engagement dans la Résistance du docteur Louis Mallet et de ses deux fils, Etienne et Pierre. Tous les trois seront exécutés par les Allemands.
Sans date
1 W 331