Authentique. De l’acte à l’art...
La main du notaire attrape sa plume d’oie, la trempe dans son encrier puis la pose sur le papier épais, rugueux. D’un geste répété mille fois, il libère l’encre noire au fil des lettres qui composent son nom, puis enchaîne un ballet d’allers et retours pour ponctuer sa signature d’un « nid d’abeille » qu’il espère inimitable. La minute devient alors authentique.
Ce notaire-là imaginait-il qu’il susciterait encore quatre siècles plus tard l’admiration du public ? Percevait-il le côté artistique de son geste ? Difficile de répondre à cette question. Les notaires se voyaient certainement peu de points communs avec les peintres ou les sculpteurs. Ils ne s’occupaient pas eux-mêmes d’enluminer les registres tels que les terriers. Toutefois, il est indéniable qu’il y a dans ces initiales élancées et ces fioritures bouclées une volonté d’agrémenter le document, d’en faire une pièce qui sorte de l’ordinaire et d’impressionner son client. En apportant au document des marques exceptionnelles, on lui donne une importance qui reflète celle du statut social du notaire et rejaillit sur lui. Dans une société où la majorité des hommes et des femmes ne savent pas écrire, la fluidité avec laquelle le notaire manie la plume et la complexité de sa signature ne peuvent que laisser bouche bée.
C’est ce geste, délié, envoûtant, qui a séduit FabB au point de s’imposer à son pinceau. Fascinée par ces courbes, elle a accepté la carte blanche que lui ont offerte les Archives : reproduire sur toiles sa découverte des documents. Les travées de registres dans les magasins, les initiales exubérantes des minutes notariales, les chiffres d’une date, les clous sur la couverture d’un ouvrage, mais aussi les décors d’insignes maçonniques ou l’étoile d’un blason : dans ses tableaux se mêlent et s’entremêlent, comme dans un rêve, les images à l’identique ou refaçonnées d’époques et de lieux divers. Dans ses tableaux se subliment les détails à l’origine purement administratifs ou fonctionnels en un doux éloge de ce qui fonde l’acte comme l’art : le geste du créateur.
S’il fallait présenter FabB, il conviendrait de l’appeler artiste avant toute chose car, elle le dit elle-même, créer est l’essence de son existence.
Installée à Aurillac, Fabienne Besseyrot se rappelle avoir toujours eu une activité artistique : le dessin d’abord, puis la peinture vers l’adolescence. Son parcours est ponctué de tâtonnements, d’expériences heureuses ou moins, de recherches, de défis parfois, et de beaucoup d’intuition, mais toujours en autodidacte.
Si le figuratif a longtemps trôné sur ses toiles, la découverte de l’abstrait lui ouvre les portes d’un monde exaltant, lui permettant de repousser les limites de ses pratiques. Les résultats chaotiques, imprévus, sont ainsi l’expression de son geste dénué de contraintes et ouvrent sur d’autres perspectives.
Pour ce projet d’exposition aux Archives départementale, elle compose avec les deux, figuratif et abstrait. Séduite par la calligraphie, art auquel elle ne s’était jamais confrontée, FabB s’est laissée imprégner du sujet pendant de longs mois avant de tenter de retrouver le geste de nos ancêtres. Les quinze toiles sont toutes peintes à l’acrylique, avec une technique d’aquarelle pour les fonds.
A la suite de la série « Authentique » se trouvent quatre tableaux réalisés pour l’occasion mais dans la continuité d’un projet commencé il y a quatre ans, une autre exposition intitulée « Le noir est une couleur ». Une longue série de tableaux grand format, mêlant différentes techniques, a vu le jour depuis que l’idée a germé dans l’esprit de FabB de momentanément laisser de côté la couleur et de ne travailler que le noir, réduit à des textures, des brillances, des mats. Impossible bien sûr de nier l’héritage de Pierre Soulages. Mais loin de toute copie, FabB crée son propre cheminement, fabrique ses propres textures et joint à la peinture acrylique de la résine, parfois du tissu, souvent de la feuille d’or. Les reliefs, minuscules rugosités ou crevasses plus tranchées, déclinent le noir sous toutes ses nuances, puis laissent la place à un effet de miroir qui tour à tour s’abîme sur lui-même et resplendit. Les poussières d’or s’étirent, se cachent, s’enlisent ou s’envolent, tandis que les textures ponctuent leurs élans. Approchez-vous : la lumière se déplace elle aussi et fait jouer ombres et reflets. Le tableau s’anime, il devient vivant.
Lucie Dorsy
Directrice des Archives départementales du Cantal