Dans le jardin de Jeanne-Eléonore
Gilbert Delrieu est un photographe de l’imaginaire. A l’instar d’un héros de mythe, simple mortel ayant surpris au détour d’une clairière nymphes ou farfadets inconscients de sa présence, il a saisi sur le vif les marionnettes qui s’égayaient dans son jardin, après la pluie. Suite à une grosse averse, raconte-t-il, il aurait découvert ses coquelicots tout juste éclos en piteux état, malmenés par le mauvais temps et tristement dépourvus de leur fière corolle. Toutefois, il ne lui aura fallu qu’un coup d’œil pour découvrir, sous cette façade désolée, le monde merveilleux qui prenait vie. Juchés sur leur tige, les pistils devinrent subitement de petites têtes couronnées, vêtues de robes, capes et autres habits de fête, apparaissant au gré des avaries du vent les uns mélancoliques, les autres enjoués, d’autres encore pris dans un jeu de séduction. Chacun affiche sa personnalité, chacun raconte son histoire, pour peu que l’on écoute son imagination.
Si ce que nous voyons aujourd’hui laisse la place à cette double interprétation, les sujets étant à la fois fleurs et personnages, nous le devons sans conteste au talent du photographe. A son œil qui a su déceler le potentiel de ces fleurs fanées tout d’abord, et à son talent qui lui a permis de trouver le bon angle pour partager avec nous ce que son imagination lui faisait voir. Offrant une représentation du réel, il attire l’œil du spectateur sur un sujet particulier et nous invite à modifier le regard que nous lui portions dans la vie quotidienne.
Nous le devons également à ses choix de couleurs. Les clichés mêlent de manière harmonieuse le noir et blanc et le dégradé d’une teinte. Il ne s’agit pas là d’une retouche effectuée a posteriori grâce à un logiciel informatique bien connu. Ces images ont été réalisées avec un appareil photographique numérique, mais ont été tirées telles qu’elles ont été prises, sans aucune modification postérieure. En tant que photographe, Gilbert Delrieu a fait le choix de travailler à la manière des professionnels de l’argentique et de mener une réflexion sur les réglages préalables de son appareil. Ce sont donc des dosages de couleurs déterminés en fonction des sujets et des situations qui donnent naissance à ces photographies originales.
Cette maîtrise des techniques, ajoutée à la capacité de montrer au public sa vision personnelle d’un sujet a priori banal, font de Gilbert Delrieu un digne représentant du 9e art, un art qui nous invite à regarder le monde avec des yeux neufs.
A cette collection de coquelicots s’ajoutent deux petites séries en couleur, l’une jouant sur le mouvement et l’autre élevant les alkékenges, ces petites cages végétales, au rang d’objets d’art. Pris hors de leur environnement, gorgés de couleurs vives, ils charment l’œil tout en dégageant une impression de pureté.
Il ne manquera que le subtil parfum des fleurs pour faire de votre visite une agréable balade dans ce jardin merveilleux.
Lucie Dorsy
Directrice des Archives départementale