Les Crandelloises en lutte contre le travail dominical
Diplôme d’agrégation de l’Association réparatrice des blasphèmes et de la violation des dimanches (1848)
Et le septième jour, Dieu se reposa de tout le travail qu’il avait fait. C’est sur ces quelques mots de la Genèse que s’est bâtie la tradition chrétienne du repos dominical, qui survit encore tant bien que mal aujourd’hui. Le dies dominicus devait ainsi être, pour les maîtres comme pour les domestiques, le jour que l’on consacre au Seigneur, en se rendant notamment à la messe. Malgré quelques exceptions dans certains corps de métiers, cette tradition s’est maintenue pendant tout le Moyen Age et la Renaissance. La Révolution française a bien remis en cause ce fonctionnement, avec la mise en place du calendrier républicain de 1793 à 1805 : disparu le dimanche, puisque chaque mois était divisé en semaines de 10 jours. Sans vocation religieuse, le dixième jour, appelé décadi, était tout de même le jour de repos commun des Français. Avec seulement 36 jours de repos et la suppression des fêtes religieuses chômées (on passe de 25 fêtes religieuses à 5 fêtes civiles), la transition dut être rude pour les travailleurs !
Cependant ce n’est pas cette Révolution qui porta le coup le plus marquant au dimanche, mais la suivante : la Révolutionindustrielle. La recherche de productivité des entrepreneurs, la nécessité de maintenir les machines en activité permanente, la déchristianisation des classes ouvrières, sans compter les choix stratégiques de certains artisans et commerçants qui préféraient travailler le dimanche et se reposer le lundi, tous ces facteurs s’allièrent pour désacraliser le dimanche au cours du XIXesiècle. En 1848, nombreux sont ceux qui font fi du repos dominical, au grand dam des catholiques les plus fervents.
Village cantalien de moins de 800 âmes, Crandelles est loin d’être le plus touché par la dictature des grands industriels sur le rythme traditionnel de la semaine. Mais il faut croire que les Crandellois se font du souci pour les ouvriers, et qu’ils exècrent en outre les blasphèmes. C’est pourquoi le 3 décembre 1848 est inaugurée, lors de la messe du premier dimanche de l’Avent, l’Association réparatrice des blasphèmes et de la violation du dimanche. Il ne s’agit pas d’une invention crandelloise, le mérite en revenant à l’église Saint-Martin de Lanoue à Saint-Dizier en Haute-Marne. Erigée par le pape Pie IX en archiconfrérie, l’Association réparatrice de Saint-Dizier bénéficie d’indulgences et de rémission des péchés, et est autorisée à s’unir à d’autres associations semblables, qui profiteront à leur tour de ces indulgences. C’est ce que demande l’association de Crandelles, qui obtient en retour ce diplôme d’agrégation à l’archiconfrérie, approuvé par le vicaire général du diocèse de Saint-Flour le 14 décembre 1848.
La pieuse association de Crandelles connaît un petit succès, avec 53 membres, exclusivement féminins. Il faut dire que l’inscription est très simple, mais que les engagements peuvent en rebuter certains. Charité bien ordonnée commence par soi-même : il va de soi que les membres ne doivent eux-mêmes jamais blasphémer, ne jamais travailler sans nécessité le dimanche, et ne pas l’imposer aux personnes sous leur autorité (enfants, domestiques, ouvriers). Tous les jours, des prières seront dites pour la rémission des (nombreux) péchés de leurs semblables, et amende honorable sera faite publiquement le dernier dimanche de chaque mois. Enfin, lorsque les fidèles entendront blasphémer ou verront une personne profaner le jour du Seigneur et n’auront pu l’empêcher, ils en feront aussitôt réparation à Dieu en prononçant « Que Dieu soit loué », ou encore la célèbre formule « Vade retro, Satana ».
La minceur de ce dossier d’archives ne permet pas de connaître quelle fut réellement l’activité de cette Association réparatrice. Mais lorsque les touristes verront des personnes arpenter les allées des Galeries Lafayette le dimanche en clamant « Vade retro, Satana », nous saurons que l’association aura repris son activité !
526 F 2/11