L’huissier s’invite au bal à Auriac-l’Église (1928)
Les archives des justices de paix, ces juridictions de proximité inventées par la Révolution et supprimées en 1958, offrent un regard souvent savoureux sur la vie quotidienne dans chaque canton. Les faits jugés sont certes moins sensationnels que dans les grandes affaires criminelles, mais ils sont plus proches de l’ordinaire des travaux, des jours, mais aussi des fêtes…
Le sieur Faucher, qui organise des bals dans son auberge d’Auriac-l’Église, ne fait pas de déclaration préalable à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, créée en 1851 pour protéger les œuvres dont les auteurs ont adhéré. La SACEM dépêche donc l’huissier de Massiac pour voir quels titres sont joués le soir du 26 août 1928.
Procès-verbal de constat.
L’an mil neuf cent vingt huit et le vingt six août, à la requête de Monsieur Gustave Meynadier représentant de la Société des auteurs et compositeurs de musique, domicile élu en sa demeure
Je Louis Brocard huissier près le tribunal civil du Cantal, résidant à Massiac (Cantal) soussigné
Me suis transporté à Auriac-l’Église, canton de Massiac au devant de l’auberge tenue par M. Faucher où avait lieu un bal à l’occasion de la fête patronale entre vingt deux et vingt trois heures et demie.
J’ai constaté d’abord que le musicien jouait des airs de danse sur un violon.
Accompagné du sieur Mongheal fils, musicien, je suis rentré dans le dit établissement.
Le sieur Mongheal m’a indiqué que les morceaux ou airs de danse que nous venions d’entendre étaient : "Nuit de Chine" (fox trott) - "La belote" (java) - "Les fraises et les framboises" (polka) - "La passagère" (valse) - "Reviens vers le bonheur" (valse) -
J’ai prévenu M. Faucher que je dressais un procès-verbal pour constater les airs de danse joués dans son établissement et que je faisais toutes réserves et protestations au nom de mon requérant.
De tout quoi j’ai dressé le présent procès-verbal de constat pour servir et valoir ce que de droit. Dont acte. Coût soixante deux francs.
Enregistré à Massiac le vingt-neuf août 1928
Nuits de Chine (1921) et La Passagèresont l’œuvre d’E. Dumont (paroles) et de F. L. Benech (musique). On ne sait si ce Benech était cantalien, comme son nom pourrait l’indiquer ; ce pourrait être une raison pour laquelle deux de ses chansons furent jouées à Auriac le soir du 26 août, jour de la fête patronale. Même si l’église est placée sous le vocable de saint Nicolas, le patron de la paroisse est en effet saint Barthélémy (fêté le 24 août), dont une statue figure d’ailleurs dans l’église.
Le sieur Faucher est cité à comparaître devant le juge de paix de Massiac le 1er octobre 1928, car il n’a pas demandé à la SACEM son consentement préalable à l’exécution de ces morceaux, pour s’entendre condamner au paiement de la somme de 33,25 francs (majorée des intérêts) qu’il aurait dû payer, et, chose plus sérieuse, à une amende de 1.500 francs « pour usage sans droit de la propriété d’autrui et atteinte au droit moral des auteurs » – sans compter les inévitables dépens.
Des versements récents des tribunaux d’instance ont permis de combler les lacunes existant dans les collections de minutes et d’actes des justices de paix. Les Archives départementales vont achever, courant 2010, le vaste chantier du classement, de cotation, d’inventaire et de conditionnement dans des boîtes en carton neutre des archives des justices de paix de tous les cantons du Cantal. Vaste champ de découvertes pour l’histoire locale et l’histoire matérielle, les archives des justices de paix cantaliennes sont un terrain presque vierge d’investigation historique. Grâce à ces papiers, c’est tout un monde de personnages, de maisons, de voisins, de métiers, d’activités qui pourra ressusciter.
ADC, 4 U 8/54