Archives du Cantal

Sangsues, potions cordiales et compresses : les premiers soins aux ouvriers blessés à la fin du XIXe siècle

Sangsues, potions cordiales et compresses : les premiers soins aux ouvriers blessés à la fin du XIXe siècle

Le document proposé ce mois-ci est une note présentant une série d’instructions à suivre pour « les premiers soins à donner aux ouvriers blessés sur les chantiers ». Elle a été produite par l’administration des Ponts et Chaussées et découverte dans les archives de la subdivision de Maurs en cours de classement. C’est un document intéressant à plus d’un titre puisqu’il est une source non seulement pour l’Histoire de la santé et de la sécurité au travail, mais aussi pour l’Histoire des premiers secours. Sa date d’impression, à savoir la décennie 1890, ajoute à son intérêt puisque nous sommes alors aux prémices de ces deux objets d’études historiques.

C’est au cours de la révolution industrielle du XIXe siècle que la question du rapport entre santé et travail commence à se poser de façon plus prégnante, conséquence du libéralisme effréné qui sévit à cette époque. Les rapports au travail reposent alors sur une base exclusivement contractuelle. Le contrat de travail fait naître à la charge de l’ouvrier une obligation d’exécuter le travail qui lui est confié, et à la charge de l’employeur, une obligation de payer le prix convenu. En France, dans la première moitié du XIXe siècle, il n’y a pas ou très de peu de législation encadrant les conditions de durée, d’hygiène et de sécurité au travail. Il faut attendre le 9 avril 1898 pour qu’une première loi organise la réparation des accidents du travail. Elle va peu à peu inciter les employeurs à se pencher sur les conditions de travail des ouvriers et à prendre en compte leur sécurité, afin d’éviter les accidents mais aussi de remettre au travail le plus rapidement possible les blessés.

Ce document, très développé et très précis quant aux divers soins à apporter aux blessés, est un document précurseur. Il ne s’agit plus seulement de prévenir les accidents mais d’essayer d’en limiter la portée. Dans certains secteurs professionnels, comme ici les travaux publics, les accidents font partie de l’expérience des ouvriers. S’il apparaît impossible de les supprimer, limiter leurs conséquences sur la santé des travailleurs représente un enjeu pour les employeurs. C’est dans ce contexte que l’administration des Ponts et Chaussées édite cette note qui « sera remise à chaque surveillant, à chaque entrepreneur, à tous les chefs de chantier, et restera affichée dans les bureaux des Ingénieurs, des Agents-voyers et des Entrepreneurs ». L’objectif est bien d’informer le plus grand nombre possible d’ouvriers sur les différentes conduites à tenir en cas d’accident.

Il s’agit de les guider dans les premiers soins qu’ils peuvent apporter à un collègue blessé dans l’attente de l’arrivée d’un médecin. A cette époque, avec des moyens de communication limités et sur des chantiers parfois éloignés, cela pouvait prendre plusieurs heures : il était donc plus que nécessaire de savoir prendre en charge une personne blessée en attendant le médecin. La première recommandation « est de l’isoler et de la placer sur un brancard ou sur un matelas dans un endroit bien aéré, et à l’abri du froid et de l’humidité ». Le document donne ensuite diverses instructions en fonction du type de blessure rencontré. Par exemple, en cas de fractures, blessures que l’on imagine fréquentes sur les chantiers : « Quand un os est cassé, s’il n’y a pas de plaie, on doit maintenir le membre dans l’immobilité la plus complète ; opérer une irrigation d’eau froide. Si la fracture est compliquée de plaie avec issue d’un ou plusieurs fragments, on lave la plaie avec soin avec de l’eau ». Il s’agit là de gestes de bon sens que l’on pourrait encore pratiquer de nos jours. Mais les recommandations ne s’arrêtent pas à ces simples soins : « On tâche de faire rentrer les fragments au moyen de tractions douces et régulières sur chaque extrémité du membre fracturé et en un sens opposé, et, si l’on réussit on maintient la fracture en place au moyen d’un bandage ». On imagine aisément la complexité d’un tel geste médical qui n’est pas à la portée du premier venu. L’auteur du texte, prévenant, précise tout de même qu’il faut agir avec douceur !

Sont aussi abordées, entres autres pathologies, l’apoplexie (aujourd’hui accident vasculaire cérébral – au remède bien particulier), mais aussi l’asphyxie, la perte de connaissance, les brûlures, les contusions, les hémorragies ou encore les empoisonnements, avec en regard les premiers soins à pratiquer et à l’inverse les gestes à éviter. Si la grande majorité d’entre eux sont encore effectifs, comme l’application d’un point de compression en cas d’hémorragie, certains peuvent nous paraître aujourd’hui désuets, inappropriés ou inefficaces, bien que conformes aux connaissances médicales de l’époque. En cas de mal de tête, on notera ainsi parmi les mesures plus habituelles (obscurité, calme, infusions calmantes, sinapismes ou cataplasmes à la moutarde…) l’usage d’éther, de chloroforme mais aussi d’ammoniaque. On propose encore, afin de traiter une luxation, d’appliquer un mélange d’alcool camphré et d’ « extrait de saturne »… qui n’est rien de moins qu’une préparation à base de plomb, ce dernier trouvant plus aisément sa place au sein de la pharmacopée d’autrefois.

Ce document, assez exhaustif, peut donc sembler très ambitieux, en proposant par exemple comme on a pu le voir de remettre en place une fracture, mais il donne tout de même une série de recommandations utiles, parfois essentielles, à appliquer en cas d’urgence. La limite principale à l’efficacité de ce type de conseils est bien sûr la qualité de leur mise en application. Elle dépend essentiellement du niveau de compétences médicales, mais aussi des ressources matérielles dont dispose la personne qui va administrer les premiers soins. À la fin du XIXe siècle, le terme de « secouriste » n’existe pas. Sur les chantiers, il n’y a pas d’ouvriers formés à ces techniques. Le rédacteur de cette note semble en avoir conscience. Dans le cas des brûlures, il rappelle par exemple que « les soins à donner pour les deux derniers degrés ne doivent être abandonnés qu’à des personnes intelligentes et comprenant la nature et la valeur des remèdes employés ». Aussi, en toute fin du document, il prend soin aussi de préciser : « Ces instructions, tout incomplètes qu’elles sont, doivent suffire aux personnes étrangères à la Médecine, et il leur est expressément recommandé de ne pas aller au-delà ».

Cote ADC : archives de la subdivision de Maurs (11 S 10)

Document rédigé par Nicolas Laparra

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