Archives du Cantal

Mariage par dispense d’alliance à Saint-Flour (1840)

Mariage par dispense d’alliance à Saint-Flour

(1840)

Le document présenté ce mois-ci est une dispense d’alliance accordée par Louis-Philippe, roi des Français. Il s’agit d’une pièce assez rare, et chose plus exceptionnelle encore, elle a été conservée dans un registre d’état civil de la ville de Saint-Flour, reliée avec l’acte de mariage original. C’est une preuve de droit et l’officier d’état civil a bien pris soin de préciser que l’ « acte de dispense demeure joint au présent acte de mariage ». Seul manque le sceau qui était attaché au parchemin. On peut distinguer les petits trous, visibles en bas à gauche du document, par lesquels passait la ficelle ou « lac » qui reliait le sceau au parchemin. Ce sceau servait à authentifier le document par le contreseing du garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat au département de la Justice et des Cultes, Vivien. C’est François Monier, forgeron âgé de vingt-huit ans, né au village de Fraissinet, veuf de Marguerite Fouilheron, décédée le 28 décembre 1838, qui est à l’origine de cette demande de dispense. Il souhaite se remarier avec Marie Antoinette Fouilheron, sa belle-sœur, âgée de 33 ans, née au village de Gaimont, commune d’Andelat. Cependant en 1840, le mariage entre beau-frère et belle-sœur est interdit par la loi et nécessite une dispense dite « d’alliance ».

Au XIXesiècle, tout comme aujourd’hui, plusieurs articles du Code civil instituent certains empêchements au mariage. Ils fixent les qualités et conditions requises pour pouvoir se marier. Il existe ainsi plusieurs types d’empêchement pouvant nécessiter une dispense, en premier lieu l’âge. En 1840, l’homme doit avoir dix-huit ans révolus et la femme quinze ans révolus. Aujourd’hui, depuis 2006, l’âge requis est de dix-huit ans révolus pour les femmes comme pour les hommes. Trois articles, les articles 161 à 163 du Code civil, s’opposent ensuite aux mariages entre certains degrés de parenté ou d’alliance. L’article 161 indique qu’ « en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants légitimes ou naturels et les alliés dans la même ligne ». L’article 163 interdit quant à lui le mariage entre l’oncle et la nièce, la tante et le neveu, et également entre le grand-oncle et la petite-nièce. Si les limites d’âge et les interdictions en lien avec la consanguinité se comprennent aisément, il n’en est plus de même pour l’empêchement qui s’oppose à des unions entre alliés de différentes catégories, comme ici entre beau-frère et belle-sœur, et les cas observés sont assez rares.

Pour cette dispense d’alliance, c’est l’article 162 du Code civil qui est invoqué. En 1840, il dispose qu’ « en ligne collatérale le mariage est prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels et les alliés au même degré ». De ce fait, bien qu’il n’y ait aucun lien de consanguinité, beaux-frères et belles-sœurs ne peuvent se marier. On parle alors d’affinité ou de parenté par alliance. Il s’agit là d’une résurgence de l’Ancien Régime. Avant la Révolution, le mariage civil n’existe pas, il n’est que religieux et dans la très grande majorité des cas catholique. Pour l'Église catholique, le mariage est un sacrement par lequel l'homme et la femme ne deviennent qu'un seul être et une seule chair (Genèse). Ils ne forment plus qu'un. Il résulte de cette fusion des époux le fait que la parenté « par alliance » est assimilée à la « parenté naturelle ». L’affinité naît de l’existence d’un mariage valide même s’il n’a pas été consommé. Ainsi il y a affinité entre le mari et les consanguins de sa femme, et entre la femme et les consanguins de son mari.

Toutefois la loi du 16 avril 1832, à laquelle se réfère ce document, ajoute une restriction à cet empêchement : « il est loisible au roi de lever pour des causes graves, les prohibitions portaient par l’article 162, aux mariages entre beaux-frères et belles-sœurs ». Ce type de dispense est néanmoins assez rare. Selon une étude historique[1], entre 1832, date d’apparition de la loi, et 1914, date d’application d’une nouvelle réforme, seul un millier de dispenses a été accordé chaque année en France. Elle est généralement délivrée lorsque celui qui crée le lien d’alliance est décédé. C’est le cas dans cet exemple puisque François Monier est veuf de Marguerite Fouilheron. Pourvu de cette dispense d’alliance, il peut se marier avec sa belle-sœur, Marie Antoinette Fouilheron, le 27 août 1840 en l’hôtel de ville de Saint-Flour. Depuis, une loi du 11 juillet 1975 a supprimé l’empêchement à mariage entre beau-frère et belle-sœur.

Cote ADC : 2 E 187/55

[1] « Les dispenses civiles au mariage en France depuis 1800 » par Jean Sutter et Claude Lévy, dans Population, 1959, pages 285-304.

Partager sur