Un outil de travail moderne pour un médecin : la demande de carte grise du docteur Mallet (1927)
La simplicité de cette lettre est égale à celle de l’homme qui l’écrivit : le docteur Louis Mallet. Son nom est inscrit sur les plaques de rue des communes du Cantal, et le grand monument sur les Allées de Saint-Flour lui rend hommage, mais cette reconnaissance posthume était alors bien loin des préoccupations de cet homme qui s’est battu pour une France libre et juste.
Né à Alleuze le 5 juillet 1589, Louis Mallet a 25 ans lorsque la Première Guerremondiale éclate. Ayant suivi des études de médecine à la faculté de Montpellier, il est affecté au service des blessés avec le grade de lieutenant. C’est une première épreuve du feu qui sera sans doute marquante pour lui. De retour de la guerre, il s’installe comme médecin généraliste à Saint-Flour. L’adresse qu’il inscrit sur son courrier est « 5 rue du Faubourg », l’actuelle avenue des Orgues.
Ses activités l’amènent à se rendre auprès de ses patients, en ville mais aussi à la campagne. Médecin dévoué, le docteur Mallet n’hésite pas à accourir quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. On comprend qu’il ait envisagé l’acquisition d’une voiture automobile, qui lui permettra de se rendre au plus vite au chevet des malades. Son choix se porte en 1927 sur une « B 14 F », fabriquée par la société anonyme André Citroën. Le modèle est très récent, il vient d’être commercialisé. Cela explique pourquoi, dans sa demande de carte grise, le docteur ne rend pas à la préfecture la carte de l’ancien propriétaire : c’est un véhicule neuf.
Une voiture représentant un certain investissement, il est fort possible qu’il s’agisse de la première acquisition du docteur. Il aura sans doute obtenu quelques temps auparavant son « certificat de capacité à conduire un véhicule motorisé », obligatoire depuis le décret du 10 mars 1899. Les archives de la préfecture du Cantal ne gardent pas trace des permis délivrés dans les années 1920, mais elles nous informent qu’il n’a pas fait partie des candidats recalés !
Surnommé « le bon docteur », Louis Mallet a marqué les mémoires par son engagement. Engagement auprès de ses patients tout d’abord : « entré en médecine comme en sacerdoce », écrit son ami l’imprimeur René Amarger, il dispense ses soins aux riches comme aux pauvres, glissant au besoin un billet dans l’ordonnance pour permettre l’achat des médicaments. Mais ses préoccupations dépassent la santé physique des Cantaliens : il tient à apporter son aide aux paysans pour leur permettre de s’adapter à la modernité. Dès 1928, il crée la caisse locale de Crédit agricole et mutuel de Saint-Flour, qui prête des fonds destinés à développer les exploitations agricoles (construction de bâtiments, achats de terres…). Il constitue des coopératives et fonde en 1935 un journal bi-mensuel, La Glèbe, afin d’informer au mieux les gens des campagnes.
Son engagement trouve son apothéose lors de la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé en 1939, il revient en 1940 avec un sentiment amer face à cette défaite qui laisse au pouvoir un régime bafouant les principes de la République. Dès les premières heures, il s’oppose à Vichy et est par conséquent démis de son mandat de conseiller général de Saint-Flour sud. Entré en contact avec le mouvement de résistance Combat de Clermont-Ferrand à la fin de l’année 1941, il organise la propagande au niveau local. Ses fils Etienne et Pierrot, âgés de 17 et 14 ans en 1942, deviennent agents de liaison, tandis que Madeleine, la sœur jumelle de Pierrot, porte des messages à bicyclette.
Grâce à l’imprimerie de René Amarger, il fournit des faux-papiers aux Juifs, et il demande à ses patients des campagnes d’abriter les réfractaires au STO. Ses activités n’échappent pas à la Milice, si bien que le docteur Mallet, alias Faust, doit lui aussi se cacher. Il rejoint le maquis du Mont-Mouchet au printemps 1944 et y soigne les blessés.
Le drame de cette famille commence le 11 juin 1944, lorsque sa femme Marguerite et ses enfants Madeleine et Pierrot sont arrêtés. Malgré la torture, Pierrot refuse de livrer son père et est fusillé en compagnie de 24 autres résistants à Soubizergues. Apprenant ces événements, le docteur Mallet tente de rejoindre Saint-Flour. Il se fait repérer le 22 juin et est fusillé le soir même, avec son fils Etienne. Madeleine et sa mère seront quant à elle envoyées en déportation. Elles n’apprendront la triste nouvelle qu’à leur retour en 1945, et trouveront le courage de continuer le combat de leur père et mari, tant politique qu’idéologique, en faveur d’un monde pacifique et plus juste.
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Illustrations : Citroën B 14 F du musée Automobile de Reims-Champagne et enveloppe philatélique commémorant le 25eanniversaire de la Libération éditée par la ville de Saint-Flour en 1969 (4 BIB 141-21).