Archives du Cantal

ARTHropométrie. Décrire l’individu, du portrait parlé au visage rêvé.

ARTHropométrie

Décrire l’individu, du portrait parlé au visage rêvé

Un tatouage insolite, un nez retroussé, une démarche intrigante, une cicatrice mystérieuse… Fascinée par les descriptions physiques des individus croisées au détour des archives, FabB a souhaité s’emparer de cette matière originale et d’en proposer une relecture personnelle au travers d’une galerie de portraits.

Le sujet était vaste puisqu’il impliquait de choisir quelques figures parmi des milliers de candidats potentiels représentés au sein des fonds des Archives du Cantal. Matricules militaires, registres d’écrou des prisonniers, passeports, livrets ouvriers, fiches anthropométriques de nomades, avis de recherche … sont autant de sources qui pouvaient être mobilisées tant elles sont riches en renseignements sur la physionomie des personnes. Elles témoignent aussi, en contrepoint, de la question délicate de la surveillance de la population qui prend son essor à l’époque contemporaine et dont les modalités actuelles interrogent et divisent encore notre société.

Marqué par une forte augmentation des mobilités nationales et internationales, la seconde moitié du XIXesiècle voit en effet le renforcement du contrôle des individus, reflété dans l’affinement progressif de procédures facilitant le relevé de données d’identification. Des techniques de description signalétique, élaborées notamment dans le cadre de la recherche policière, côtoient ainsi pendant des décennies la photographie d’identité avant d’être supplantées par cette dernière. De nouveaux documents, préfigurés pour partie dans les siècles précédents, font leur apparition et accompagnent des groupes d’individus bien précis représentant aux yeux de certains une menace diffuse.

La peur des transgressions, qu’elles soient sociales, politiques, économiques ou morales, se concentre plus particulièrement dans la figure du vagabond, cette personne « sans aveu, sans feu ni lieu » pour reprendre l’expression médiévale consacrée. Ces documents, conçus pour des personnes qui bougent, se déplacent, errent… dans une mobilité choisie, contrainte ou nécessaire, ont ainsi tantôt accompagné leurs pas, tantôt sanctionné la fin de leur route.

Le projet de FabB propose de passer de l’anthropométrie, science froide et tatillonne cherchant à mesurer et cartographier le corps des individus afin de mieux les identifier, à une « art-ropométrie » s’appuyant sur des caractéristiques relevées pour mieux rêver les personnes. Dessin, gravure et peinture sont alors mobilisés dans une variété des supports reflétant celle des situations rencontrées. Du portrait académique en pied aux détails griffonnés à la hâte sur le plâtre et le papier, les œuvres sont autant de coups de projecteur mettant l’accent sur l’identité profonde des individus.

Ce sont ainsi sept personnes, quatre hommes et trois femmes, dont FabB nous livre sa vision personnelle : c’est ici une fillette arrêtée avec son père pour complicité de vol, là un Communard en fuite, une acrobate ambulante, un vagabond incarcéré ou encore un soldat remobilisé lors de la Première guerre mondiale qui sont exhumés de leurs tombeaux de papier pour être ramenés à la vie, le temps d’une exposition.

Marion Blocquet

Directrice des Archives départementales du Cantal

A propos de FabB

Installée dans son atelier à Aurillac, FabB dit avoir toujours eu une activité artistique : enfant, le dessin, puis la peinture vers l’adolescence.

Son parcours est ponctué de tâtonnements, d’expériences, de recherches, de défis, un parcours d'autodidacte.

Si le figuratif a longtemps pris place sur ses toiles, la découverte de l’abstrait lui ouvre les portes d’un monde exaltant, lui permettant de repousser les limites de sa pratique. Les résultats chaotiques, imprévus, sont ainsi l’expression de son geste dénué de contraintes, instinctif, primaire, ouvrant sur d'autres perspectives, et sur la diversité de ses productions.

FabB crée son propre cheminement, compose ses propres textures et joint à la peinture acrylique, de la résine, du tissu, de la feuille d’or... Au quotidien, le dessin, le croquis, sont toujours présents, particulièrement le portrait.

C'est de là que sont arrivés les portraits d'ARTHropométrie, décrits, pour certains, à la lueur d'une visite de nuit aux Archives Départementales. Il n'en fallait pas plus pour que l'imaginaire plonge dans le passé à pieds joints. Peut-être fidèles, ou peut-être pas, aux visages de ces personnes, le mode de représentation se fait diversifié, comme il aurait pu l'être, par le geste et avec les outils d'une âme artiste les ayant croisés en leurs temps.

« Peindre est un état, pas une action, c'est vivre un rêve, lever le voile et explorer les limbes. Peindre c'est ne plus exister qu'à travers sa projection. On le fait pour soi. Mais c'est le spectateur qui révèle ce qu'il observe. Le mystère et l'existence de l'art apparaît juste ENTRE l'artiste émetteur et l'observateur récepteur. C'est dans cet espace que se situe la magie : la réaction, l'émotion, le sentiment. »

L’anthropométrie, qu’est-ce que c’est ?

Si elle prend une dimension plus forte au cours du XIXe siècle, la question de l’identification des personnes se pose bien plus tôt et ce dans la plupart des pays européens. L’époque moderne, et plus particulièrement le XVIIIe siècle, voit l’apparition d’éléments de signalement physique dans certains documents à usage carcéral, militaire ou diplomatique, d’abord manuscrits puis imprimés. A un moment où les provinces du territoire français restent cloisonnées et les déplacements très réglementés, les passeports « à l’intérieur » et « à l’extérieur », tour à tour établis et abrogés par les régimes politiques successifs pendant et après la Révolution, consacrent la nécessité d’un contrôle des physionomies reposant sur des critères précis.

La naissance du « bertillonnage »

On doit à Alphonse Bertillon (1853-1914), commis à la Préfecture de police de Paris puis chef de son service photographique, la création d’une nouvelle méthode de signalement très précise : l’anthropométrie judiciaire.

Son système d’identification, rapidement surnommé « bertillonnage », repose sur les trois piliers suivants :

  • Le signalement descriptif consistant en une étude analytique très détaillée de certaines parties du visage et du corps grâce à des abréviations, des sigles et des données chiffrées, réunies en une nomenclature publiée en 1893. On le qualifie aussi de « portrait parlé » ;
  • Le signalement photographique qui détermine avec précision la manière dont doivent être réalisés des clichés signalétiques de face et de profil ;
  • Le relevé des marques particulières où l’on localise et décrit rigoureusement les différents stigmates (tatouages, grains de beauté, coupures aux doigts, cicatrices, etc.).

Applications

L’anthropométrie judiciaire est dans un premier temps utilisée non pas dans la traque des fugitifs, mais dans les établissements pénitentiaires, avec l’objectif premier de lutter contre le récidivisme des malfaiteurs déjà incarcérés. Les autorités françaises sont en effet confrontées, à la fin du XIXe siècle, à une hausse de la criminalité, assortie à une prise de conscience qu’un petit nombre de personnes commettent la majeure partie des infractions. Certains criminologues, tels que Cesare Lombroso ou Alexandre Lacassagne, avancent la théorie déjà très controversée du « criminel-né » dont les marques physiques seraient révélatrices de prédispositions naturelles à la délinquance. Face à eux, Bertillon plaide plutôt pour une anthropométrie « universelle » où seraient fichés de manière préventive l’ensemble des catégories de population jugées menaçantes pour l’ordre public : mendiants et vagabonds, forains, anarchistes, étrangers subversifs…

Utilisée par les brigades mobiles judiciaires du « Tigre » Clemenceau à partir de 1908, l’anthropométrie sert particulièrement à l’identification des populations nomades. A partir des années 1890, on ajoute souvent aux signalements parlés et photographiques le relevé des empreintes digitales : jugées plus fiables, elles supplantent définitivement les mensurations anthropométriques à compter des années 1970.

Pour aller plus loin :

  • Fichés. Photographie et identification, 1850-1960, catalogue sous la direction de Jean-Marc Berlière et de Pierre Fournié, Perrin, 2011
  • La science à la poursuite du crime. D’Alphonse Bertillon aux experts d’aujourd’hui, catalogue sous la direction de Pierre Piazza et de Richard Marlet, Editions de La Martinière, 2019

Régis CAULE
Né à Saint-Austremoine le 6 octobre 1893
Manœuvre

Ecrou de Régis Caule, 1930

Les registres d’écrou, dans lesquels sont enregistrées les incarcérations dans les établissements pénitentiaires et ce déjà sous l’Ancien régime, sont considérablement enrichis à la fin du XIXe siècle. En plus des habituels renseignements sur l’état civil et la physionomie des détenus, la loi de 1885 sur la relégation des récidivistes généralise la pratique du signalement anthropométrique dans les prisons : sont alors mesurés et décrits avec précision la tête, le pied, le nez ou encore la couleur des yeux de chaque individu. Au tournant du XXe siècle, on commence à relever aussi les empreintes digitales. Les fiches anthropométriques des détenus, tenues en annexe des registres d’écrou, reprennent ces informations en y ajoutant presque systématiquement un double portrait photographique, de face et de profil.

Le registre exposé ici illustre bien la technicité du langage élaboré par Bertillon pour la description anthropométrique, reposant sur un ensemble d’abréviations, de sigles et de symboles dérivés de la sténographie, inaccessible aux non-initiés. Le premier tatouage de Régis Caule pourrait être décrit de la manière suivante : « Tatouage 1 tête d’homme coiffée d’un chapeau haut-de-forme de 10 cm de longueur sur 7 cm de largeur à 6 cm sous le cubitus gauche postérieur »

2 Y 45

Lucie BOUZIGUES
Lieu et date de naissance inconnus (8 ans)

Ecrou de Lucie Bouzigues, 1891

Au XIXe siècle, les enfants sont encore jugés aux côtés des adultes : même s’ils bénéficient souvent de peines plus clémentes, notamment dans le cas de délits de faible gravité (vagabondage, petits vols, mendicité), et de lieux de détention séparés, l’idée d’un droit propre aux mineurs met plusieurs décennies à émerger. Les premiers tribunaux pour enfants ne sont mis en place qu’à partir de 1912, avant que l’ordonnance du 2 février 1945 n’instaure la fonction de juge des enfants.

2 Y 183

Gabriel RANVIER
Artiste peintre

Liste des condamnés par contumace lors des insurrections de Paris, Lyon et Saint-Etienne, 1871

Les insurrections de 1871, provoquées par le refus de la capitulation de la France face à la Prusse, marquent des débuts difficiles pour la Troisième République naissante. Les communes urbaines nées de ces mouvements sont durement réprimées par le gouvernement de Versailles : les meneurs et participants, parmi lesquels plusieurs figures illustres, sont arrêtés, jugés, sanctionnés, pour certains déportés ou exécutés. Une partie des personnes incriminées fuient pour échapper à leur jugement et sont alors condamnées par contumace : Gabriel Ranvier, fortement impliqué dans la Commune de Paris, évite alors une lourde peine de travaux forcés.

Les années 1870 constituent ainsi un tournant dans la perception et le traitement documentaire du « criminel » : c’est au moment de leur incarcération que les acteurs de la Commune sont photographiés en série, leurs portraits étant aussi bien conservés par les nouveaux fichiers pénitentiaires que vendus au grand public du fait de leur popularité.

40 M 12

Louis BERTRAND
Né à Paris, le 19 juin 1853
Comptable

Ecrou de Louis Bertrand, 1891

Réprimé dès le XVIIIe siècle, le vagabondage est qualifié de délit par le Code pénal de 1810 et puni de 3 à 6 mois d’emprisonnement. Parfois confondu avec le mendiant, avec qui il cohabite dans les dépôts de mendicité et plus tard dans les salles d’asile, le vagabond est d’un point de vue juridique celui qui n’a pas de domicile certain, ni moyens de subsistance et qui n’exerce habituellement aucun métier. Il faut attendre 1992 pour voir l’abrogation de ces dispositions.

La pratique du tatouage, marginale au XIXe siècle, est alors presque exclusivement réservée aux détenus, aux marins et aux soldats. Etudiée dans le cadre de l’anthropologie criminelle, elle constitue un sujet d’intérêt majeur pour le professeur Lacassagne qui publie en 1881 un essai recensant et classifiant par thèmes les motifs relevés sur un échantillon de prisonniers : on retrouve parmi les inscriptions fréquentes la formule « Toujours le même », associée selon lui à une vision fataliste de la conscription militaire, encore soumise à cette époque au tirage au sort.

Copie, 2 Y 183

Félix Firmin BOYER
Né à Méallet (Cantal), le 5 septembre 1885
Négociant en toile

Fiche matricule de Félix Boyer, classe 1905

Apparue pour la première fois en 1798, la conscription militaire connait différentes formes et modalités tout au long du XIXe siècle avant que la loi Berteaux de 1905 n’instaure un service militaire obligatoire et universel. Les jeunes hommes âgés de 20 ans, formant alors une « classe » d’âge, doivent d’abord passer devant le conseil de révision du canton afin d’être jugés aptes ou non au service militaire, avant d’être enregistrés et immatriculés par les bureaux de recrutement du ministère de la Guerre. A l’issue d’un service de deux ans, les conscrits rentrent pour la majeure partie dans la société civile mais peuvent être à nouveau mobilisés en cas de conflit : Félix Boyer, parmi tant d’autres hommes de sa génération, a ainsi participé aux combats de la Première guerre mondiale dont il est ressorti blessé à de multiples reprises.

Conservés en série continue depuis 1859 aux Archives du Cantal, les registres matricules militaires permettent de retracer avec précision la vie de certains individus : informations personnelles, physiques et intellectuelles ; lieux de résidence successifs ; affectations et campagnes militaires effectuées ; blessures reçues et décorations obtenues sont autant de renseignements que l’on peut y trouver.

1 R 1660

Marie Artémise GIGOUX
Née à Siaugues Saint Romain (Haute-Loire), le 30 juin 1911
Raccommodeuse de parapluies

Notice individuelle de remise d’un carnet d’identité de nomade pour Marie-Artémise Gigoux, 1926
Notice individuelle de remise d’un carnet d’identité de nomade pour Marie-Artémise Gigoux, 1926

Les fiches anthropométriques sont généralisées avec la loi du 16 juillet 1912 sur l'exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades. Cette loi définit trois catégories de personnes : les marchands ambulants, les forains de nationalité française et les nomades (terme recouvrant aussi bien les tziganes, les journaliers, les marchands, forains étrangers que les vagabonds). Ces trois catégories de personnes ont l'obligation, dès 13 ans, de faire établir en préfecture une notice individuelle comportant divers renseignements d’état civil et de signalement ainsi que des photographies. Cette notice sert à établir soit un carnet d'identité pour les deux premiers groupes, soit un carnet anthropométrique d'identité pour le dernier. Le carnet des nomades, plus détaillé que celui des forains, doit être visé par les autorités à chaque entrée dans une commune : il ne disparait qu’en 1969.

48 M 6

Suzanne COUGET
Née à Champagnac-les-Mines (Cantal), le 25 août 1910
Acrobate

Notice individuelle de remise d’un carnet d’identité de forain pour Suzanne Couget, 1924 (photographie dissimulée)
Notice individuelle de remise d’un carnet d’identité de forain pour Suzanne Couget, 1924 (photographie dissimulée)
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