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Document sonore
Collation : 1 disque compact audio
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Transcription réalisée par Marie Fabrègues, fille de Guy Jules Venzac :
« Je commence le jour de la mobilisation : 2 SEPTEMBRE 1939. J'avais une moto et elle était réquisitionnable. Je devais amener cette moto à Moulins d'après l'ordre de réquisition. Je suis allé à la gendarmerie de Calvinet pour savoir ce que je devais faire : « Fallait-il que je parte seul ou avec ma moto ? » Ils m'ont dit qu'il fallait que j'attende le 10ème jour de la mobilisation pour aller amener ma moto à Moulins.
Le 10ème jour de la mobilisation, je suis parti amener ma moto à Moulins. Je croyais qu'ils me garderaient là, mais, attends un peu !!!… J'étais affecté au 14ème Zouave à Lyon. Mais, quand je suis arrivé à la Caserne à Lyon, le 14ème Zouave était parti la veille pour la Belgique. Alors, ils m'ont gardé là et ne m'ont pas fait partir. Ils m'ont affecté dans le 21ème Bataillon d'Instruction. C'était un régiment de réserve où on allait chercher des hommes en cas de besoin.
J'avais fait le régiment au 99ème R.I. Alpine.
Dans ce Bataillon d'Instruction, on est d'abord resté à Lyon, dans un quartier du côté de Bron. On y est resté un mois, dans un immeuble.
Après, on nous a envoyé à JEUNAR dans l'Isère. Je ne sais plus combien de temps on y est resté.
Ensuite, on est parti pour l'Alsace. On est arrivé à BUSSANG dans les Vosges, puis on est allé à ERSTEIN dans le Bas- Rhin.
Moi, j'étais affecté à la cuisine. J'allais apporter les vivres aux soldats qui faisaient les blockhaus au bord du Rhin. Les "nôtres" faisaient les blockhaus d'un côté du Rhin et les Allemands faisaient la même chose de leur côté.
Parfois ils jouaient de l'accordéon, dansaient… Nous, nous regardions mais personne ne tirait. On faisait notre travail chacun de son côté.
Nous sommes restés là tout l'hiver, et au mois d'avril, on nous a envoyés nous reposer dans le Jura, à DOLE.
La guerre
Le 10 mai 1940, lorsque la véritable guerre s'est déclenchée, que les Allemands sont passés par la Belgique au bord de la mer, nous avons pris le train pour SOISSONS dans l'Aisne. Et, fini les vacances !
De Soissons, on est monté jusqu'au Chemin des Dames.
A CROUY, nous devions garder un pont, mais il fallait voir comment nous étions outillés !!! On avait un canon 37 de la guerre de 14. Moi, j'avais fait l'armée en 1936, on nous avait appris à se servir du canon 25, plus moderne. Nous sommes restés quinze jours…
Un beau jour, on s'est rendu compte qu'on était là en position, mais que le 97ème R.I qui devait venir nous remplacer, ne venait pas.
Puis, nous avons vu des balles pleuvoir de toute part et nous avons compris que nous étions encerclés. Ils ne pouvaient pas passer sur le pont ni le faire sauter, nous les aurions vus. Ils nous avaient dépassés quand même.
On s'est replié, puis on s'est remis en position sur le canal de l'Aisne à l'Oise à VAILLY. Nous nous sommes remis en position mais toujours avec notre canon 37 ! On est resté là encore trois ou quatre jours environ.
A VAILLY, ils ne sont pas passés mais ils nous cernèrent ! Alors l'État-major qui était derrière nous a envoyé un cycliste. Celui-ci méritait une «prime» parce que les balles s'entrecroisaient et il est venu quand même ! Pour nous dire qu'on se replie parce que, normalement, l'artillerie devait se trouver derrière nous. On s'est bien replié, mais on n'a pas trouvé d'artillerie… Ils étaient partis avant nous.
Alors, on s'est éparpillé dans la campagne, un peu partout, mais toujours en allant vers le Sud. On reculait, et un jour, à un carrefour, on a trouvé des soldats du 99ème R.I (parce qu'ils m'avaient réaffecté au 99ème R.I alpine).
Ils nous ont dit que le colonel LACAZE, celui qui nous gouvernait, nous donnait rendez-vous à FISMES (Marne). Il y avait une grande partie du régiment à FISMES. Là, «ça pétait» de tous les côtés…On allait où ça pétait le moins. Finalement on n'est pas allé jusqu'à FISMES, mais on s'est retrouvé avec le régiment quand même. Sur une grande route, une nationale, il y avait un groupe du 39ème et du 99ème Régiment, et puis nous, qui arrivions de l'autre côté; nous étions «engrunat» (dispersés, un peu perdus) pour beaucoup, et on s'est retrouvé là ensemble.
C'était toujours pareil: les Allemands passaient devant, ou nous poursuivaient. On a continué toujours vers le Sud.
On est arrivé à un endroit en Allemagne, sur l'Aube, il y avait un pont. Le colonel nous a fait regrouper dans une cour de ferme où il y avait des hangars immenses et des champs de blé.
Moi, j'avais des ampoules aux pieds. A un moment, dans la matinée, on était dans cette cour, quelqu'un est passé et dit :
«Ceux qui sont estropiés ou ont mal aux pieds, il y a un convoi avec des voitures».
On avait des autos; il y avait la Section auto. La section auto qui passait le pont, c'était à nos risques et périls, parce que les Allemands pouvaient nous tirer dessus quand nous passions sur le pont! J'avais des ampoules et je m'apprêtais à sortir….J'arrivais au portail et me trouvais face à face avec le colonel qui me dit: «Où tu vas?»
J'en avais assez dit ! Il sort le revolver et me "fout" un coup de pied au cul, mais il ne m'a pas attrapé parce j'étais parti… Je suis revenu avec les autres au lieu de partir avec la section auto!
Le soir, à la tombée de la nuit, ils nous ont dit de nous rassembler tous et de venir, un par un, derrière lui. On s'est mis dans un champ de blé de la ferme. Et puis, ça s'est mis à péter d'un côté, on partait de l'autre. On galopait dans tous les sens, et à un moment on courait du côté où ça tirait.
Il y avait deux Lyonnais devant moi qui m'ont dit:
«On va sauter la rivière, l'Aube, à la nage.» Je leur ai dit:
« Sautez si vous voulez, moi je ne viens pas; je nage comme une pierre ».
On a continué le mouvement comme tous, le colonel en tête.
A un moment donné, on s'est trouvé encerclé près d'un pont. Il y avait des Allemands sur toutes les routes, en colonne, avec des mitrailleuses, des tanks, des camions et tout et tout…Ils naviguaient comme ils voulaient, personne ne leur disait rien.
Quant à nous c'était la débandade ! Ce n'était plus notre problème. Nous avons changé de route et les Allemands venaient certains d'un côté, les autres de l'autre. Il faut dire qu'entre temps, quand nous galopions dans ces champs de blé, une fois du côté où ça pétait le moins, une fois de l'autre…J'avais un sac bien garni : linge de corps, ravitaillement, du « pain de guerre », chocolat, « singe », c'est du bœuf en sauce, boîtes de sardines et le béret…Je portais ce sac qui m'entravait…Je laisse mon sac là et je m'en vais. Je garde le fusil et la cartouchière comme tout bon soldat !
Nous sommes arrivés dans des bois et là :
- « Les mains en l'air ! ».
Il a fallu jeter les fusils et les cartouchières et ne rien garder. Ils regardaient… Il y avait une telle pile de fusils que tu ne les aurais pas portés dans une remorque et ces fusils tu n'avais pas peur de les casser…jeter ainsi les uns sur les autres…
Le Colonel prenait des renseignements auprès des officiers allemands. Il parlait avec eux. Puis ils nous font mettre dans un pré et ensuite nous n'avons pas revu le colonel...
Les sentinelles nous prennent et nous font mettre en colonnes par quatre.
Au départ, nous n'étions pas très nombreux, mais par la suite, il y avait des colonnes comme d'ici à Cassaniouze, ou peut-être à Maurs (5 voire 15 km)
Pour mener ces colonnes, il y avait 5/6 sentinelles. Elles passaient avec une moto et il fallait être bien alignés, car elles te frôlaient et n'avaient pas peur de te faire tomber. Tant pis pour toi si tu tombais !
Une fois, dans une étape, j'étais derrière un gars qui avait vu de l'eau qui coulait dans une cour; il a voulu quitter la colonne pour aller chercher un peu d'eau; j'avais moi-même le quart prêt pour aller boire un coup. La sentinelle arrive derrière et lui transperce la cuisse d'un coup de baïonnette. Du coup, je sentais plus mes ampoules, ni ma soif. Ensuite, j'essayais de ne plus rester derrière, car quand tu vois faire ça tu comprends…
Je vais reprendre au départ et parler par où nous sommes passés.
Notre colonne est partie de là où on nous avait fait jeter nos fusils, vers SEZANNE (Marne) à une vingtaine de kilomètres. Arrivés à Sézanne nous avons été parqués dans un pré sous les ordres des sentinelles allemandes. De là nous sommes allés à DORMANS (48 km). On nous a donné ni café, absolument rien. Le lendemain nous cherchions des vivres. Il y avait quelquefois des « roulantes » qui donnaient quelque chose à manger. Il y avait tellement de monde que beaucoup, comme moi, nous n'avions pu rien avoir. C'était un pays de vin. Il y avait des grands foudres de vin.
Alors chacun buvait son verre de vin: j'en bois un verre et je me retourne, j'en attrape un autre, mais ça ne descendait pas bien… je n'avais rien mangé…
Après nous sommes partis à FISMES. Là, on a eu une louche de petits pois pour manger.
Le matin nous sommes partis de FISMES direction LAON. Tout en suivant la colonne, avec un copain avec lequel nous ne nous étions pas quittés depuis le début, nous ne parlions pas, nous en avions assez de marcher !
A un moment donné, nous avons vu une ferme en contre bas. Dès que nous avons vu qu'il n'y avait pas de sentinelle à proximité, nous avons pris le chemin de la ferme avec ce copain. Nous sommes arrivés dans la cour. Il y avait une maison dans laquelle des gens parlaient. J'ai dit : «on ne va pas aller là».
Dans la cour, c'était comme il y a quelque temps chez nous, les volailles se promenaient dans cette cour. Il y avait des poussins et des petits poulets pas très gros. Nous en avons attrapé deux chacun par le cou et nous avons repris le chemin.
Tu sais ce qu'on a fait ? La colonne, c'était comme si elle se dirigeait vers Cassaniouze et que nous soyons à la Pierre blanche ou à Puechaldou…Pour rattraper la colonne, nous sommes passés un peu plus haut. On aurait pu aller n'importe où et se mettre en civil ? Mais, nous nous disions que nous ne voulions pas prendre une balle dans la peau. Nous pensions que cette galère ne pouvait pas durer très longtemps. A voir cette débandade, nous pensions que la guerre était finie et qu'on était battu et puis c'est tout !!!
Si nous avions su ce qui nous attendait…..On ne serait pas resté là !
Le soir, quand nous sommes arrivés à LAON nous avons plumé nos poulets. Le lendemain, nous nous sommes levés tôt pour « les manœuvres » : nous avons trouvé un endroit pour faire un feu au bord d'un chemin. Nous avons fait cuire nos poulets, mais nous ne les avons pas fait rôtir parce que nous n'avions pas de matière grasse. Simplement cuits à l'eau, nous avons mangé nos poulets et nous étions bien contents.
A LAON, nous sommes restés un jour. Le lendemain matin, nous avons pris le train pour aller à GIVET (Ardennes) sur la Meuse près de la Belgique. De là ils nous amènent à BEAURAING à quatorze kilomètres de GIVET. Ils nous mettent dans un immense pré entouré de barbelés. Dans le chemin entre GIVET et BEAURAING, j'ai réussi à avoir une gamelle de lait auprès d'une femme qui portait du lait et qui nous en a donné. C'était toujours ça de pris parce que, arrivés à Beauraing, il n'y avait rien à manger ! Ce soir là nous n'avons rien eu à manger…
Le lendemain, nous sommes restés là et nous avons eu de la soupe. C'est là, je crois, que nous avons eu droit à deux fois de soupe.
« C'était exceptionnel deux fois de soupe ? »
-Oui, ils n'arrivaient pas à s'organiser, il y avait trop de monde et ils étaient débordés. Quand tu pouvais en attraper, tu attrapais, sinon tu marchais quand même, tu étais bien obligé…
Et le lendemain, le 21 au matin, nous sommes partis à SEZANNE à huit kilomètres. Nous y sommes arrivés de bonne heure et nous avons eu une bonne soupe de haricots à midi. Le 23, au matin, nous sommes partis à VERTUS. Là on nous a donné un bon casse-croûte : du lait et une tartine de pain. Comme nous n'avions rien eu, nous trouvions que c'était bon !!!
Mais pour vous dire que nous n'étions pas bien rassasiés, je me rappelle avoir arraché des pissenlits que tout le monde avait piétinés. Nous n'étions pas les premiers ! Il n'y avait plus d'herbe, aussi j'arrachais la racine des pissenlits pour manger, mais ils étaient amers. On nous avait bien donné un peu de lard mais il ne devait pas y en avoir trop puisque nous arrachions les pissenlits.
Nous avons fait 20...30 km, pour arriver à VERTUS
« Vous y alliez à pied ? »
- Là nous marchions à pied. Il n'y a que de LAON à GIVET que nous étions en train. Ensuite de VERTUS, nous sommes allés à LIBRAMONT. Là nous sommes allés prendre le train.
A LIBRAMONT on nous a donné une carte de prisonnier pour pouvoir l'envoyer à nos familles. Je crois que c'était la Croix rouge qui avait organisé ça… Je n'avais pas été le dernier, ma famille avait été un des premiers à recevoir cette lettre parmi ceux d'ici. Nous sommes restés là, une partie de la journée.
Ensuite ils nous embarquent. Nous avons pris le train pour TRÊVES en Allemagne. Je me rappelle que nous sommes arrivés à la gare de TRÊVES le matin. Nous sommes montés sur une butte ; il y avait des enfants qui nous crachaient dessus, nous lançaient des pierres et que dire ? … Nous marchions jusqu'à un baraquement où nous sommes restés deux ou trois jours, sans doute…
Un matin nous avons embarqué pour ESSLINGEN, près de STUTTGART, où on nous a mis dans des garages, des sortes de blockhaus de ciment. Il y avait de la paille par terre et des poux aussi ! D'autres y avaient déjà dormi !
Ce devait être à la fin juin… Les dates ça n'a guère d'importance…
Dans ce machin là, ils nous portaient de la soupe. Parfois nous attendions 2 à 3 heures debout pour avoir de la soupe, enfin…du bouillon ! Les premiers de la colonne en avaient, mais quelquefois il n'en restait plus pour les derniers ! Alors nous nous couchions sans manger et nous crevions de faim…
Il y avait dans ces bâtiments, des Allemands qui venaient chercher des ouvriers pour les faire travailler. Il y avait beaucoup de volontaires. Ils en prenaient un, cinq ou six suivant leurs besoins, et les autres attendaient…
Moi, j'étais embauché par un maçon. Il me faisait faire des fondations. Nous étions plusieurs sur ce chantier. Comme paye j'ai eu un verre de cidre mais pas d'argent ni rien, juste un morceau de pain à midi pour travailler dur toute la journée.
Nous sommes restés là une vingtaine de jours.
Puis, on nous rembarque pour atterrir à WENTERLINGEN.
Ils nous ont reçus, nous ont comptés, et nous demandaient des renseignements sur notre profession, ce que tu faisais quoi… Il y avait beaucoup d'usines.
La commune avait 800 ha de sapins, de beaux sapins, et des forêts de hêtres. Moi, j'étais parmi les 35 qui devions couper le bois pour la commune. Le soir, ils nous ont mis dans une maison et nous ont apporté la soupe à la mode allemande. Mais il y avait de quoi manger et nous y avons fait honneur ; ils n'ont pas repris de restes.
Le lendemain matin à l'aube, on nous fait lever et on nous donne un café d'orge et un casse-croûte. Puis nous sommes partis dans la forêt : ils ne nous ont pas laissé traîner là. Nous avons fait connaissance avec le garde-forestier. Il y avait une sentinelle soldat qui s'occupait de nous et le garde qui s'occupait des travaux forestiers. Nous l'appelions « le blaireau » parce qu'il avait un chapeau vert, avec des plumes qui faisaient un rond comme le blaireau pour se raser. Il surveillait le travail.
Les autres qui n'étaient pas venus dans les bois étaient allés dans les usines. Ils ne dormaient pas tous au même endroit que nous ; il y avait un autre dortoir.
« Avec quoi vous coupiez le bois ? Avec des haches ? Des tronçonneuses ? Des scies ?
- Nous coupions ce bois, papyrus, pour faire de la pâte à papier. Nous le coupions avec des tronçonneuses ; nous étions affectés à deux sur une tronçonneuse ; j'étais avec un copain, un gars du Puy. Lui s'occupait de cette tronçonneuse et moi, je lui faisais passer et posais les troncs sur la table.
Là, nous avions un peu la planque, tous les deux. En effet, le dimanche, le garde-forestier nous prenait pour travailler chez lui : nettoyer les brebis, faire du bois ou toute autre chose. Nous étions assez bien vus. Par exemple, nous n'avions pas le droit de fumer dans la forêt, mais des fois, il nous arrivait de fumer, parce que souvent, nous ne travaillions pas avec les autres. Nous, nous coupions le bois tandis que d'autres transportaient le bois sur les épaules d'un côté à l'autre de la forêt et ils faisaient des stères.
Ce garde forestier nous prenait aussi pour mesurer le bois. J'avais vite appris à compter mais pour parler pas tellement. Comme je savais bien compter, il me prenait pour mesurer le bois. Quand j'étais avec lui, ça allait bien ! Des fois il me donnait un peu de viande ou une cigarette en douce… Pour moi, ça allait à peu près, mais il y en avait qui « trimaient ». Il fallait sortir le bois au bord du chemin, des arbres entiers ; il y en avait parfois une quinzaine. Certains portaient et d'autres tiraient et dans la neige !!!
Il y avait huit km de la forêt jusqu'où nous couchions ; mais comme nous allions travailler d'un côté de l'autre, ça faisait encore plus de kilomètres.
L'hiver, il fallait attendre que le jour se lève, pour pouvoir voir les arbres qui étaient marqués. Et pourtant, nous arrivions de bonne heure, vers les cinq heures du matin ! L'hiver ça faisait tôt ! Et sans presque déjeuner : un peu de café et une tartine et c'était tout.
Ils nous donnaient le pain pour la journée. A midi nous étions dehors et le pain était souvent gelé. Ils nous laissaient allumer un feu, parfois quand tout allait bien. D'autres fois, il y avait des « ratounades » (mauvaise humeur) et ils ne voulaient pas nous laisser allumer le feu. Nous avons passé du mois de novembre au mois d'avril dans la neige ! Pour faire ces huit kilomètres, nous ne marchions pas souvent sur le macadam mais dans la neige et sur la glace. Nous étions entraînés mais quand même…
Une fois, le 17 décembre en 40, il faisait un froid pas possible et il y avait de la neige. Ils ont voulu nous faire changer de travail ; ils nous ont mis à couper des hêtres. C'était moi avec Fages (mon copain de la Haute Loire) qui les coupions. On nous a donné une tronçonneuse où il fallait être deux : un la tenait d'un côté, aux manettes et l'autre aux commandes. Il faisait tellement froid et du vent, ce n'était pas abrité comme dans les sapins, que nous ne pouvions pas nous réchauffer. Nous y serions peut-être arrivés mais les autres… Nous avons voulu faire grève en disant que nous ne pouvions pas travailler dans de telles conditions ; en effet, nous étions tout « engrippigis » engourdis.
A un moment, deux gars du Nord ont pris un coup de crosse derrière la tête. C'était pourtant des costauds mais ils sont tombés par terre. Et après nous étions là, à nous dire :
« Tant de types devant une « pute » comme ça on peut pas se défendre ??? »
Nous réfléchissions mais que faire ? Nous allions être tous fusillés. Nous avons laissé faire. Mais le soir, ils nous ont amenés au Commando. D'habitude, on nous donnait une miche de pain pour chacun, par jour, mais le lendemain matin, ils nous donnèrent qu'une miche pour deux.
Nous sommes reparti à notre bois, pardi…Il y avait une grosse couche de neige et il fallait faire un trou pour tirer la neige et la glace…
Pour les coupes, ça ne nous réchauffait pas beaucoup non plus. Il y en avait quelques uns du Centre qui étaient habitués à la dure et qui travaillaient, mais toujours pareil les autres nous demandaient :
«Pourquoi vous travaillez ? »
Nous avions eu le ventre creux assez longtemps, et là, nous étions à peu près bien nourris le soir. A midi, nous avions un casse-croûte qui était à moitié gelé ; nous allumions un feu pour le faire revenir et là on le mangeait bien. Quand ils ont vu ça, ils sont restés comme ils ont pu : Certains avaient les pieds gelés parce que notre problème c'est que nous n'avions pas de chaussures ; nous avions des souliers tout déchirés et je pense que nous les brûlions pour nous réchauffer. Ce feu, à midi, était apprécié par la sentinelle aussi, qui était comme les autres, elle avait froid aux mains !
Le bois ne manquait pas (pardi) ! Quand on avait froid aux pieds, nous approchions les souliers un peu trop du feu et après ils craquaient ; ensuite nous étions presque sans rien aux pieds. Mais depuis longtemps on souffrait des pieds gelés et il en partait souvent à l'hôpital.
« Et la suite de cette grève, comment ça s'est passé ? »
- Ça ne s'est pas trop mal passé ; nous sommes repartis travailler et les autres ont fait pareil…. Nous, on n'a pas eu de reproches du chef, à part ce jour où nous n'avions pas travaillé. Il n'y a eu que ceux qui ont attrapé un coup de crosse. Puis ça s'est arrêté là.
Je pense que le garde forestier avait reconnu que nous travaillions à peu près correctement et certains le disaient : « vous travaillez trop ! »
Toujours pareil, quand tu ne travailles pas qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu comprends, quand tu as faim, tu préfères travailler ! Dans le fond, comme tous, quand il faisait tant de froid, nous avions du mal à nous réchauffer, mais en travaillant tu avais moins froid.
C'était un métier que nous connaissions… Ceux qui souffraient le plus, c'était des gens qui étaient ingénieurs et qui n'avaient pas l'habitude de travailler dans des conditions aussi dures ; en général, ils ne restaient pas longtemps, ils les mettaient dans des Fabriques parce qu'ils estimaient qu'ils ne faisaient pas de rendement. C'est sûr !
Et nous, nous sommes restés jusqu'à fin août.
On allait parfois aider les paysans aux travaux de la ferme. C'était pour le compte de la commune mais cédés aux paysans. S'ils avaient besoin de quelqu'un, à la fin août, ils en prenaient un ou deux ou plusieurs pour rentrer le regain et l'avoine. Normalement, c'était prévu pour deux semaines.
L' évasion
Depuis la fin de l'hiver, j'avais toujours dit que je ne voulais pas repasser un autre hiver ici :
« Je veux m'en aller. Je veux essayer de repartir chez moi »
Les copains, tous pareils, avaient souffert du froid aux pieds ! Des mauvaises chaussures et tout….
Au point de vue nourriture, je t'ai dit, nous avions un bon repas le soir. Le casse-croûte de midi, c'était du boudin, la moitié du temps gelé ! Ce n'était pas….
Il y avait encore du bon pain. Il n'y avait pas beaucoup de prisonniers qui avaient du pain blanc ! Nous avions du pain blanc, il ne fallait pas trop se plaindre.
Mais les chaussures…au printemps il faudra repartir !!!
Parfois, nous en parlions avec le garde forestier
« Chez toi, qu'est-ce que tu étais ? »
Comme moi, j'étais soutien de famille. Là-bas, les femmes étaient restées toutes seules…
Le garde forestier me disait que nous ne resterions pas longtemps, nous serions libérés, qu'il y avait une loi qui donnerait une faveur aux paysans. Ils me rappelleraient. Si bien que j'avais écrit à ma femme qu'elle fasse faire un certificat à la mairie, ce qu'il fallait par rapport à mon identité. Elle me l'avait envoyé ; sauf que l'été passait et personne ne parlait de loi pour nous faire rentrer... Personne ne rentrait : pas moi plus que les autres…
Alors je me suis dit :
«Je ne veux pas passer un autre hiver ici. »
Les copains de la Haute Loire, de la Corrèze qui nous connaissions au Centre, tous voulaient venir.
« Quand tu partiras, on viendra avec toi.
- Il faut le préparer avant.
Quand on recevait des colis de la Croix Rouge ou de la maison des boîtes de pâtés, les sentinelles nous les trouaient, les ouvraient pour que nous ne puissions pas les conserver et il fallait les manger tout de suite.
Parfois, des sentinelles ne le faisaient pas et si nous le pouvions, nous en gardions une partie.
Moi je le faisais parce que j'avais dans l'idée que ça me servirait.
Quand on nous a eu mis dans ces fermes, je me suis dit :
« C'est le moment de partir !
Alors, qui est-ce qui vient ? »
A FAGES dont j'ai parlé je dis :
« Je m'en vais »
A celui de la Corrèze, VERLHAC
« Vous venez ? C'est le moment de nous préparer
- Boff ! Tu comprends, peut-être ils vont nous changer de commando ? Il paraît qu'à la frontière ils ne font pas de sommation.
- Oh ! Je ne sais pas ! Qu'ils fassent des sommations ou pas, moi, je ne veux pas rester là.
A part un, un Parisien avec un gars de Pleaux qui s'appelait ROUX François
« Moi je viens »
Il était divorcé. Il n'avait pas de colis, il n'avait rien.
Mais je lui ai dit :
« Oh ! il y en aura bien pour tous les deux !
- Je vais venir. »
Je m'étais fait envoyer une boussole et une carte. Ils avaient mis la boussole dans une boîte de conserve de fritons. Ils avaient trouvé une carte du coin d'Allemagne. Je l'avais étudiée un peu et je savais où il fallait aller atterrir.
Je dis :
« Prends la boussole et la carte et moi, je porterai les vivres ».
Chaque matin, quand je partais chez le patron pour travailler, je prenais quelque chose à la poche et en arrivant, j'allais le mettre à la grange. On rentrait le regain ou l'avoine. On mettait le regain dans une petite grange, à part. Et le matin, quand j'arrivais, je mettais mes conserves dans un sac sous le regain et je les recouvrais. Le lendemain soir, quand nous avions passé tout le jour au regain, il me fallait le déplacer pour qu'il soit toujours à ma portée.
Là bas, les paysans portaient le lait à la laiterie qui était en bas du village. Et ce « ROUX » travaillait chez un paysan à côté de la laiterie. Nous nous étions donné le mot.
Un matin ; j'ai dit au revoir aux copains et tous se moquaient. Ils me disaient :
« On t'attend pour la belote ce soir »
- on ne fera pas la belote je ne serai plus là ».
Ils riaient et se moquaient de moi, sans se moquer vraiment mais ils pensaient :
« il n'ira pas loin ! »
Certains disaient qu'il y en avait qui s'étaient évadés et qu'ils avaient été rattrapés.
Nous disons à telle heure, à huit heures, nous quittons le travail et nous partons jusqu'au carrefour de SIMMARINGEN.
En Allemagne, pour faire sécher la luzerne, ils faisaient des « sicateurs », structure en bois comme une cabane. Par dessous, ils mettaient une brassée de foin, ça faisait un grand nid. C'était vide et à ce carrefour il y avait un sicateur
« A huit heures on part et on se donne rendez vous là. A huit heures pile, tous les deux, on part : tu pars et moi je pars ! »
A huit heures, nous étions entrain de décharger de l'avoine, la patronne était en haut qui le rangeait sous le hangar à deux étages et moi j'étais en bas sur la remorque ; avec un crochet, j'attrapais les gerbes et avec une poulie je les lui montais.
A huit heures, le patron prend le cheval et part à la laiterie.
Je peux te dire que l'avoine ça montait vite !!! Elle n'avait pas trop le temps de la ranger ! Elle devait trouver drôle mais elle n'a rien dit.
Je me suis dit quand le patron arrivera à la laiterie s'il apprend que le prisonnier (Roux) est parti, il sera vite revenu ici pour voir si je n'en ai pas fait autant…
Tu vois : moi j'étais en bas et elle en haut… à l'entrée de la grange il y avait une porte qui donnait sur un appentis où étaient les vaches. Dès que la dernière gerbe est montée, je saute de la remorque, j'ouvre la porte de l'étable, je sors et je cours dans le pré où il y avait la petite grange.
- Langue
- Occitan
- Notes ISBD
-
(Cote de l'original : Fg 471 [647] et de conservation A [647] 679*).
- Auteur
-
- Piganiol, André
- Venzac, Jules
- Fabrègues, Marie
- Mots-clés lieu
-
- Cantal (France ; département)
- Mots-clés matière
-
- occitan
- récit de vie
- guerre 1939-1945
- prisonnier de guerre 1939-1945
- ancien combattant
- Mots-clés personne
-
- Piganiol, André
- Venzac, Jules
- Fabrègues, Marie
- Permalien de la notice