Archives du Cantal
5 NUM 198, L'église Saint-Martin de Rouziers, histoire d'une résurrection
Cote
Date
Historique de la conservation

Document du mois d'octobre 2025.

Présentation du contenu

La translation d'une église est un évènement rare dont l'architecte aurillacois Pierre Croizet se voit confier la tâche en 1947. En effet, quelques mois auparavant, le clocher de l'église Saint-Martin s'est en partie effondré sur la sacristie. Cet incident n'est pas une surprise, il était même inéluctable si l'on en juge par le très mauvais état de ce sanctuaire qui durait déjà depuis plusieurs décennies. Dès 1909, Casimir Croizet, père de Pierre, est missionné pour expertiser le bâtiment et son rapport est sans appel : « J'ai examiné très attentivement toutes les parties de la construction et après avoir pris toutes notes et dimensions nécessaires, j'ai constaté que les murs du clocher de la façade principale et une partie des murs de la façade sud sont lézardés et menacent ruines. Ce qui peut entraîner la perte totale de la toiture et des voûtes, lesquels ouvrages sont d'ailleurs en mauvais état dans leur ensemble. […] La dépense totale de cette grosse réparation qui est presque une reconstruction puisqu'il n'y a que les murs de l'abside qui sont bons et peuvent être conservés peut s'élever à environ de 12 à 15000 francs ». En conséquence, le conseil municipal : « Considérant que l'église actuelle menace ruine et qu'il faudrait de gros frais pour la réparer. Considérant qu'elle est mal située à l'extrémité de la commune. Considérant qu'il y aurait avantage pour tous à la déplacer et à la reconstruite au centre de la commune. Est d'avis, à la majorité, de transférer l'église paroissiale pour la reconstruire au centre du village1 ». Casimir Croizet est chargé d'en établir les plans et devis mais rien ne se passe jusqu'à l'éboulement fatidique de 1946. L'église est désormais irréparable et décision est prise de la déplacer au hameau de la Virade, nouveau centre de la commune, en bordure de la route nationale.

Rouziers compte alors moins de 250 habitants et la commune n'a pas les moyens financiers nécessaires à la construction d'une nouvelle église. De plus, depuis la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, seules les églises construites avant 1905 sont à la charge des collectivités. Les nouvelles constructions sont des initiatives privées. Pour contourner les difficultés administratives, Pierre Croizet suggère de procéder comme pour l'église du Sacré-Cœur d'Aurillac dont il fut le maître d'œuvre : « vendre le terrain au curé de Rouziers qui bâti son église à son gré et ensuite fait cadeau du tout à la municipalité, qui en assure l'entretien, après avoir accepté le don2 ». Dans le même temps, la municipalité autorise ledit curé, l'abbé Urbain Sabut, à faire exécuter les travaux de démolition de l'ancienne église et à récupérer les matériaux nécessaires à la construction de la nouvelle, étant entendu que ces travaux seront faits à titre gratuit et sous son entière responsabilité. Le 7 mai 1949, l'abbé Sabut dépose une demande de permis de construire, la direction technique des travaux est assurée par Pierre Croizet, tandis que leur exécution est confiée à M. Baldy, entrepreneur à Leynhac. Le devis descriptif prévoit une « maçonnerie en pierre de taille (pierres récupérées à l'ancienne église et transportées à pied d'œuvre par les habitants de la commune). Arcs en béton armé. Charpente et menuiseries en chêne (bois de charpente et menuiserie provenant de dons des habitants de la commune). Couverture en ardoise de récupération provenant de l'église ancienne ». Comme on peut s'en apercevoir, tout est mis en œuvre pour réduire le coût de la construction. Le devis estimatif établit par l'architecte est très modeste : 1 500 000 francs soit un peu plus de 55 000 euros actuels. Dans ces conditions, malgré l'appel aux dons de l'abbé Sabut, la reconstruction n'aurait pas été possible « si tous les habitants de la petite commune, M. le maire en tête, dans un élan et avec une spontanéité extraordinaire ne s'étaient attelés tous ensemble à la dure besogne. Il a fallu achever de démolir les ruines, trier la pierre, la transporter. […] Un jour l'on a vu trente attelages de bœufs […] : les paysans de Rouziers, l'aiguillon haut, emportaient leur église3 ».

Le dossier de construction conservé par Pierre Croizet n'apporte malheureusement aucun élément d'information quant au parti architectural retenu pour la reconstruction. Est-ce le choix du seul Pierre Croizet ? A-t-il suivi les volontés de l'abbé Sabut et des habitants de Rouziers ? Est-ce un choix commun contraint par les limites financières et la nécessité de réutiliser les matériaux anciens ? Quoiqu'il en soit, il a été décidé de conserver dans le nouvel édifice le style général de l'ancien. Le plan originel de l'ancienne église romane, très épuré, était constitué par une seule nef, avec un chœur voûté en plein cintre et une abside circulaire. Le plan dessiné par Pierre Croizet s'en inspire mais n'est pas pour autant identique. Il a ainsi ajouté sur l'une des façades latérales les fonts baptismaux, une chapelle et la sacristie. De même, l'ancien clocher se trouvait à l'aplomb de l'arc triomphal, au centre de la nef, tandis que le nouveau clocher, se trouve à l'extrémité nord de l'église, au-dessus de l'entrée. L'architecte a surtout conservé la forme de l'ancien chevet qui faisait toute la personnalité du sanctuaire primitif : « C'est la partie la plus intéressante au point de vue archéologique, et la plus pittoresque aussi. […] Le système de couverture est unique en Auvergne. La corniche de granit est supportée par des corbeaux dont quelques-uns sont décorés de boules ou de rouleaux. Mais cette corniche ne supporte pas directement l'avancée du toit. Une sorte de galerie de bois à clairevoie, l'exhausse d'un mètre environ. Elle est du plus pittoresque effet4». L'intérieur a été traité selon les mêmes principes, certains détails architecturaux ont été conservés : la cuve et les linteaux du baptistère, certaines sculptures ou parties de la corniche…

Il faudra huit ans à Pierre Croizet et au Rouziérois pour mener à terme ce projet et redonner vie à leur église, Monseigneur Marty consacre la nouvelle église Saint-Martin de Rouziers le 21 août 1955.

Localisation des originaux

Cotes ADC : 121 J 274 et 340, 121 Fi 5846-5847, 6429-6435.

Commentaire

1) Cote ADC : 121 J 274.

2) Cote ADC : 121 J 340.

3) La Montagne, 7 décembre 1949.

4) « L'église romane de Rouziers et son baptistère rustique » par Abel Beaufrère, Revue de la Haute-Auvergne, tome 32, 1947, pages 144-153.

Mots-clés lieu
  • Rouziers (Cantal, France) -- Eglise Saint-Martin
  • Virade, la (Rouziers, Cantal, France)
  • Leynhac (Cantal, France)
Mots-clés matière
Mots-clés personne
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