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L’Oreille cassée à Tourniac !

L’Oreille cassée à Tourniac !

Il ne s’agit pas d’un lointain précurseur au célèbre album de Tintin, mais d’un acte de la cour du seigneur trésorier du monastère Saint-Pierre de Mauriac tenu en la place de Tourniac, le 4 octobre 1540. La scène se déroule en présence de Victor Dupuy, lieutenant de la terre et juridiction dudit trésorier, par devant la maison d’Antoine Vigier. Il s’agit d’attester en présence de plusieurs témoins que son fils, Victor Vigier, âgé d’environ vingt ans « est homme de bien […] lequel n’a jamais esté atteint ny condamné par justice ny autrement daucung crime ». Que s’il lui manque une partie de l’oreille droite ce n’est pas suite à une condamnation infamante mais c’est parce qu’« estant petit au berceau » « un pourceau luy avait manghé et emporté quasy toute la susdite oreille dextre ».

Sous l’Ancien Régime, la « flétrissure », peine afflictive et infamante, est coutumière. Les peines qui altèrent l’extérieur de la personne, en rendant son apparence moins agréable, sont les signes du délit. Ancêtre du casier judiciaire, la marque d’infamie ou la flétrissure marquait le corps des criminels et délinquants. Les hommes et les femmes réputés infâmes étaient ainsi définitivement mutilés. La Justice laissait une trace de son pouvoir sur le corps des déviants et sur les âmes des spectateurs venus nombreux assister à la dégradation de celui ou de celle avec qui ils n’auraient su faire société. « L’infamie – note Beccaria, en 1764, au chapitre XXIII Des délits et des peines – est un signe de réprobation publique, qui prive le coupable de la considération générale, de la confiance de la patrie et de cette sorte de fraternité qui lie les membres de la société ». L’infamie, privation de la réputation (in famia), comme système d’exclusion connaît son âge d’or sous l’Ancien régime.

L’« essorillement » ou amputation des oreilles concerne par exemple les faux-monnayeurs ainsi identifiables après avoir commis ce crime de lèse-majesté qui mine le monopole régalien sur la monnaie. Mais pas seulement, on amputait la plupart du temps une oreille aux voleurs et aux femmes accusées de parjure. D’après Roger Grand, dans son ouvrage Justice criminelle, procédure et peines dans les villes aux XIIIe et XIVe siècles, à Aurillac « pour avoir volé une vache, Pierre Deffage a l’oreille coupée »[1].

On comprend, dès lors, la volonté d’Antoine Vigier de préserver l’honneur et la réputation de son malheureux fils, victime de l’appétit d’un porc dans son enfance. Le lieutenant, représentant de Charles Boudet, trésorier du monastère Saint-Pierre de Mauriac, et seigneur justicier du village de Tourniac, entend le témoignage de voisins, dont Jacques Lacombe, prêtre âgé de cinquante ans, qui confirment et attestent les dires du père, en prêtant serment sur les saints Evangiles. Le lieutenant en donne acte, et Pyrieudy, greffier, signe et appose le sceau de ladite cour, confirmant la validité de cet acte. Il est a noté toutefois que le document parvenu jusqu’à nous ne comporte ni signature, ni sceau. Il semble s’agir d’une copie postérieure, certainement du XVIIe siècle.

Cote ADC : 104 J 75

Illustration : Un voleur essorillé. Coutumes de Toulouse (1295-1297), Bibliothèque Nationale de France

Document rédigé par Nicolas Laparra

[1] Roger Grand, Justice criminelle, procédure et peines dans les villes aux XIIIe et XIVe siècles, Paris Nogent-le-Rotrou, impr. de Daupeley-Gouverneur, 1941, p. 95 (cote ADC : 8 BIB 1438)

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Acte de la cour du seigneur trésorier du monastère Saint-Pierre de Mauriac (1540) 2 3
Acte de la cour du seigneur trésorier du monastère Saint-Pierre de Mauriac (1540)
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