L’église romane de Jou-sous-Monjou : une survivante en péril !
L’église romane de Jou-sous-Monjou : une survivante en péril !
Les fragilités d’une des plus belles églises romanes de Haute-Auvergne
Notre-Dame-de-l’Assomption de Jou-sous-Monjou en Carladez est une des plus anciennes églises du Cantal. L’édifice a été construit sur l’emplacement d’un site carolingien au XIIe siècle, remanié au XVe siècle (entre 1422 et 1435), avec l’ajout de deux chapelles latérales. Elle porte les traces de la générosité de ses seigneurs : Bonne de Berry, vicomtesse de Carlat, nièce du roi Charles V, son fils Bernard d’Armagnac puis la famille Delarbre seigneur d’Escalmels. Elle a connu la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, ainsi que bien des orages et tempêtes qui l’endommagent régulièrement. Fragilisée en raison de sa situation sur un terrain en forte déclivité, elle a fait l’objet de réparations successives. Un devis chez Me Couffinhal fait état de la remise en état du chœur et de la toiture en mai 1627[1]. Toutefois, en 1843 elle menace ruine[2]. Le maire, le 4 avril 1843, s’adresse au préfet pour l’informer de la nécessité de grandes réparations (toiture et fissures) et demander qu’un architecte se rende sur les lieux. Un premier projet est proposé par l’abbé Raoux, architecte diocésain pour 4446,30 francs en 1844. Le préfet estime cependant qu’il ne comprend qu’une partie des réparations et missionne l’architecte du département, plus expérimenté, pour un second projet plus complet. Ce sont ses plans que nous présentons ici : un plan d’état des lieux et le projet de réparation.
Le projet de Théophile Carriat en 1845
Théophile Stanislas Carriat est né le 9 décembre 1814 à Beton-Bazoches en Seine-et-Marne[1]. Fils d’un maçon, célibataire, il est architecte en chef du département du Cantal et des édifices diocésains de 1850 à 1863, date de son décès, à Aurillac, à l’âge de 48 ans, chez la veuve Fontange, rue des Frères[2]. Reynaud, inspecteur général des édifices diocésains, professeur d’architecture écrit en 1853 : « Je ne l’ai pas vu pendant assez longtemps pour porter sur lui un jugement bien assuré : je puis dire qu’il m’a paru intelligent de bonnes manières et disposé à se consacrer avec dévouement au service que vous avez bien voulu lui confier. La seule de ses œuvres dont j’ai pu prendre connaissance est une caserne de gendarmerie en construction à Aurillac et je dois dire qu’elle n’est pas de nature à donner une très haute opinion de son goût en architecture mais je n’en suis pas très effrayé parce que les édifices à la conservation desquels vous l’avez proposé n’ont pas la moindre importance au point de vue de l’art[3] ». Ce jugement confirme que l’époque n’est pas encore sensible à la beauté des églises romanes de notre région[4].
Les réparations sont évaluées à 10246,09 francs et se décomposent en trois temps :
· La toiture, les éperons de consolidation, le recrépissage extérieur, le dallage intérieur et la reconstruction d’une partie de la voûte pour 3998,42 francs ;
· La construction d’une sacristie et l’enlèvement de l’arceau qui sépare le chœur d’avec le sanctuaire, la dépense est de 1047,52 francs ;
· La construction d’un clocher, le percement d’une porte principale et la construction d’une tribune pour 4712,24 francs
Le projet est fortement marqué par l’esprit néo-gothique, pour donner du lustre à cet édifice comme il le fera pour l’église d’Arpajon-sur-Cère.
Les embrouilles financières
Le premier projet de l’abbé Raoux avait été accepté par le conseil municipal et, en 1844, celui-ci avait obtenu le droit de lever un impôt extraordinaire sur les plus riches contribuables et ce sur 5 ans. A cela s’ajoutent une aide de la fabrique de l’église, une souscription auprès des habitants et un secours de 1000 francs accordé par le ministre de l’Instruction publique. Mais le nouveau projet est d’une tout autre envergure. Les travaux de la première catégorie sont acceptés par les délibérations des 15 et 18 février 1846 et adjugé le 1er mars 1846 à Pascal Artigues. Le préfet estime qu’il faut de nouveau augmenter les impôts si les habitants ne veulent pas voir crouler l’église. Le conseil s’adresse directement au ministre pour obtenir une somme de 5999,79 francs pour les deuxième et troisième phases. Le ministre refuse et le chantier est arrêté. De plus, de nouvelles contestations apparaissent : les honoraires de l’architecte semblent trop élevées et, surtout, le travail de l’entrepreneur ne donne pas satisfaction. En conséquence, l’église continue à se dégrader. En 1896, le nouvel architecte du département, Aygueparse, propose un nouveau devis pour une simple consolidation : reprise des murs pour le chœur et l’abside, avec des contreforts, réfection de la voûte, de la charpente et du toit, adjonction de contreforts aux angles sud-ouest et nord-ouest[5]. Aujourd’hui l’église est de nouveau en grand péril. Distinguée par la Fondation du Patrimoine par un prix de 100 000 euros, elle fait l’objet d’un projet qui la mettra en valeur tout en gardant son authenticité[6]. Une souscription est ouverte pour sa sauvegarde.
Cote ADC : 2 O 81/2
Texte : Claude Grimmer Fontange
[1] A.D. Seine-et-Marne : 5 Mi 2393
[2] A.D. Cantal : 5 MI 49/2
[3] Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle sous la direction Jean Michel Leniaud, École des chartes, 2003.
[4] Le Dictionnaire statistique du département du Cantal de Jean-Baptiste de Ribier du Châtelet de 1824 ne mentionne pas l’architecture de l’église et Chalvet de Rochemonteix publie Les églises romanes de Haute-Auvergne en 1902.
[5] A.D. Cantal : E DEP 1443/6
[6] Valérie Rousset, Étude archéologique du bâti, Janvier 2018, Toulouse.