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Il y a soixante-dix ans, le 9 mai 1950, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, lance une initiative en faveur de la paix qui va profondément bouleverser l'avenir de l'Europe : par sa déclaration, il propose de placer la production franco-allemande du charbon et de l'acier sous une Haute Autorité commune, donnant ainsi naissance deux ans plus tard à la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), première étape vers la construction de l'actuelle Union européenne.

Alors que le monde subit les conséquences de la Seconde Guerre mondiale, que les souvenirs de l'Occupation sont encore dans les mémoires des Français, que l'économie européenne se relève difficilement grâce aux aides américaines, et qu'émergent deux grandes puissances, les Etats-Unis et l'URSS, cette déclaration provoque des sentiments partagés, de l'adhésion absolue à la méfiance, voire au rejet. Les journaux cantaliens se font le reflet de ces différentes opinions.

En 1950, la majorité des journaux que lisent les Cantaliens sont composés de quatre pages, dont la première est largement consacrée aux nouvelles nationales et internationales. Les articles reprennent les informations diffusées par les journaux parisiens, souvent de façon consensuelle. C'est le cas du quotidien Le Cantal indépendant, qui présente la proposition de Robert Schuman le 11 mai sans laisser la place au moindre commentaire critique. Cependant, chez ses concurrents, les opinions s'expriment au fil des éditos.

Ainsi Jean-Antoine Pourtier, rédacteur en chef de La Montagne, voit d'un bon œil l'initiative de Robert Schuman, estimant que « cette production [commune de métal et d'acier] est la clé de la paix ». Il reste cependant prudent sur les chances de réussite du projet : « Il ne suffit pas toujours de parler de la paix pour qu'elle se réalise. Les tentatives politiques d'organisation européenne ont donné trop de piètres résultats pour que l'on n'en arrive pas à une organisation économique qui – nous l'avons souvent dit – serait notre seule garantie, le seul moyen de laisser à l'industrie allemande une place utile sans que son rôle devienne dangereux » (édition du 11 mai).

Des opinions plus tranchées apparaissent dans les journaux dont la tendance politique est plus marquée. On voit alors se dessiner la fracture entre pro et anti-soviétiques.

Le Cantal ouvrier et paysan, journal hebdomadaire de la fédération départementale du Parti communiste, s'élève de façon virulente contre la déclaration Schuman, appréhendant que la France perde son indépendance au profit de l'Allemagne et des Etats-Unis : « Il est évident que la mise en commun des productions franco-allemandes de charbon et d'acier mettra en fait notre industrie sous la dépendance des maîtres de la Ruhr du fait de la supériorité de l'appareil allemand de production » (édition du 13 mai). Les communistes voient cette coopération non pas comme une assurance de paix, mais comme le moyen mis en œuvre par les Américains pour relancer l'industrie européenne et accélérer la course à l'armement dans le but de déclarer la guerre à l'URSS. Le seul moyen d'obtenir définitivement la paix dans le monde serait de signer l'appel de Stockholm déclarant hors-la-loi la bombe atomique. Une place importante lui sera consacrée dans les éditions de mai et juin.

Cet Appel de Stockholm est copieusement moqué dans le Journal du Cantal du 27 mai : dans son édito, le rédacteur n'hésite pas à qualifier les signataires de doux rêveurs et d'imbéciles. Il estime de son côté que « les rivalités économiques internationales sont la cause classique des conflits », et que si le succès de l'entreprise n'est pas garanti ni sans risque, la proposition de Schuman reste tout de même la plus raisonnable. Arguant que les Allemands « ne pourront plus utiliser leur industrie lourde à forger des armes pour nous faire la guerre et devront l'utiliser exclusivement à des fins pacifiques », il semble oublier les négociations de l'Allemagne de l'Ouest pour reconstituer son armée et la course à l'armement contre l'URSS dans laquelle les Américains s'engagent ouvertement.

Ce « péril rouge » est au centre des préoccupations de La Voix du Cantal, successeur de La Croix du Cantal, qui n'évoque à aucun moment l'aspect économique de l'initiative française. Pour le journaliste de La Voix, le seul danger qui viendrait rompre l'équilibre précaire de la paix se profile non pas en Allemagne ni aux Etats-Unis, mais du côté de l'URSS, dont on n'hésite pas à agiter le spectre effrayant : « toutes ces réunions de diplomates et d'hommes politiques, à Londres, à Paris et ailleurs, sont motivées par la nécessité, pour l'Europe occidentale, de se prémunir contre une éventuelle agression de la Russie soviétique dont on nous dit qu'elle atteindra, en 1954, le point culminant de sa préparation militaire » (édition du 20 mai). La déclaration Schuman est reléguée au second plan, présentée moins comme un objectif de paix que comme un moyen de se ranger aux côtés de la seule puissance capable de faire le poids contre l'armée soviétique. Le journal en profite pour porter un coup à ses ennemis politiques : « Quant à la France, il faut qu'elle soit à l'abri d'un coup de force communiste, qui, s'il réussissait, aurait pour conséquence de la faire sortir de sa neutralité, pour l'entraîner dans la guerre aux côtés de la Russie. Notre premier devoir est donc de faire reculer le communisme sur notre propre sol » (édition du 13 mai).

Les lecteurs cantaliens auront-ils été influencés par cette bataille d'arguments ? Force est de constater que le sujet se tarit rapidement dans les journaux et laisse la place, par exemple dans le Cantal ouvrier et paysan, à des préoccupations plus proches du peuple telles que le chômage ou la crise des petits producteurs de lait. N'habitant pas une région industrialisée, les Cantaliens se sont peu passionnés pour une production commune de charbon et d'acier et, comme la majorité des Français, n'avaient sans doute pas le recul nécessaire en 1950 pour envisager avec certitude la déclaration Schuman comme une « initiative […] historique », selon les mots du comte Sforza, ministre italien des Affaires étrangères, « riche de conséquences heureuses ».

Illustrations :

  • Robert Schuman l'ambassade de France à Washington après la signature du Traité de l'Atlantique nord en 1949
  • Une du journal La Montagne du 11 mai 1950 (90 JOUR 13)
  • Article du Cantal ouvrier et paysan du 13 mai 1950
Autres données descriptives
Commentaire

Dans le cadre du soixante-dixième anniversaire de la Déclaration Schuman, en partenariat avec le Centre Europe Direct Cantal, les Archives départementales vous proposent cet article sur la réception de cet événement fondateur dans les journaux cantaliens.

Mots-clés lieu
  • Europe
  • France
  • Allemagne
  • Etats-Unis
  • Russie
Mots-clés matière
  • Guerre 1939-1845
  • Presse
  • Paix
  • Appel de Stockholm (1950)
  • Communisme
  • Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA)
  • Union européenne
  • Parti Communiste Français
  • Union des républiques socialistes soviétiques
  • Le Cantal indépendant (périodique)
  • La Montagne (périodique)
  • Le Cantal ouvrier et paysan (périodique)
  • Journal du Cantal (périodique)
  • La Voix du Cantal (périodique)
  • La Croix du Cantal (périodique)
Mots-clés personne
  • Schuman, Robert (1886-1963)
  • Pourtier, Jean-Antoine
Permalien de la notice
5 NUM 140, Déclaration Schuman du 9 mai 1950. La presse cantalienne face aux premiers bourgeons d'une union européenne.
5 NUM 140, Déclaration Schuman du 9 mai 1950. La presse cantalienne face aux premiers bourgeons d'une union européenne.
5 NUM 140, Déclaration Schuman du 9 mai 1950. La presse cantalienne face aux premiers bourgeons d'une union européenne.
5 NUM 140, Déclaration Schuman du 9 mai 1950. La presse cantalienne face aux premiers bourgeons d'une union européenne.
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