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Description physique
Document sonore Collation : 1 DVD
Présentation du contenu

Il s'agit d'une copie de cassette 8 mm.

Le tournage a été réalisé à Aurillac, chez M. Marcel Gaillard, rue du Pré Mongeal.

INTERVIEW MARCEL GAILLARD REALISE PAR V. FLAURAUD SEPTEMBRE 1987 (7AV 25-6) :

[...]

"Non dans la résistance, il y avait des curés, j'avais des copains très bien, le vicaire de Bordeaux, le vicaire ou je ne sais pas ce qu'il est, Nozier, je me souviens plus de son nom, nous étions dans la résistance comme deux frangins ; dans la résistance, un type était croyant, tant mieux pour lui, il est pas tant pis, moi ça m'est égal, [...] ça le regarde, c'est lui que ça regarde, un type me dit : "J'aime les curés" ; "bon tu aimes les curés, tu fais bien" ; "je suis croyant"; "tu fais bien d'être croyant, c'est ton droit le plus absolu, moi j'y vois pas d'inconvénient et je ne ferais rien pour t'empêcher de l'être parce que j'ai un neveu justement qui depuis la mort de son père, il croit qu'il le reverra, qu'il le retrouvera, que ceci, que cela, alors il a essayé de me convaincre, j'ai fait de la bible mon livre de chevet pendant des années alors je connais ces histoires à fond, je crois, je pense que la bible a été un livre qui a été écrit 600 ans après la mort du Christ, au moment de la naissance de la [..] enfin à peu près à ces âges là, que ce sont des histoires que les bergers se racontaient le soir au clair de lune quand ils gardaient les moutons ou même dans la journée d'ailleurs et qu'il y a des choses vraies mais qu'il y a des choses plus douteuses, je ne prends pas la bible pour un livre de morale parce quand les filles de Lot font saouler leur père, pour coucher avec lui croyant que la fin du monde est arrivée parce que Sodoma était détruite, l'ange exterminateur a été prévenir d'ailleurs Lot de quitter Sodome parce que c'était le seul qui soit vraiment intéressant, les autres valaient rien que Sodome allait être détruite par conséquent, il quitte Sodome avec Sara et ses deux filles mais au moins qu'il ne se retourne pas et Sara curieuse a voulu se retourner et je pense que c'est une explosion atomique qui a détruit Sodome et alors elle a été transformé en statue, en roc, en statue de sel et les filles de l'autre en croyant que le monde était fini, elles saoulaient leur père et ont couché avec lui pour que le monde ne soit pas fini, au point de vue, c'est pas tout à fait, il y a mieux que ça... "

INT : Sans transition, les Américains et les Anglais, comment les considérez-vous? je parle au moment de la guerre...

"Les Américains sont des types curieux, en somme ce sont des braves types, simples, de paysans, de bons paysans qui s'amusent avec pas grand chose mais qui font la guerre dans des conditions que tout le monde voudrait la faire parce que même quand ils étaient embourbés là, ils recevaient de l'eau fraîche par avions, des denrées, des couvertures, tout ce qui leur fallait, des rasoirs et des glaces pour se raser, tout le [...] alors qu'il en est bavé, sûrement parce que les marines étaient étrennés de façon dure comme les joyeux de notre temps mais au point de vue, c'est toujours pareil, la politique d'un pays dépend de la politique de ses gouvernants, suivant que les gouvernants ont une tendance, incline petit à petit le pays à le prendre, le pays suit, forcément, il y a toujours quelques gars qui réfléchissent, ceux qui font de l'opposition, mais enfin, un type comme Le Pen je ne le voudrais pas comme président de la République à aucun prix ; maintenant les Anglais, ils sont très fiers et moi je me rappelle ils s'avouent jamais vaincu, j'avais un copain qui était matelot français, avant la guerre et quand ils se rencontraient surtout dans les ports étrangers, avec des matelots anglais, ils se foutaient de ces peignées sensationnelles, il me disait : "Ces [.] Ils essayaient tous les coups, si tu avais le malheur de passer à côté, ils essayaient quand même de te ... " à bout de souffle, crevés, ils essayaient quand même de te battre ; et je crois que c'est un peu la mentalité française, euh anglaise. parce que si nous avions été bombardé comme Londres, je me demande si les Français auraient résisté longtemps, je crois pas, ils sont moins bien attachés aux biens corporels que nous enfin je crois, et puis on ne peut pas dire qu'ils soient d'une franchise extraordinaire mais enfin ils ont quand même une parole, on peut se fier à leur parole, ce qui n'est pas toujours le cas... dans tous les cas, pendant la guerre, dans les deux d'ailleurs, ils ont laissé pas mal de morts en France, que ce soit en 14 ou en 40, 39, ils ont laissé quand même pas mal de morts sur le terrain et ça vaut la peine au moins qu'on les respecte..."

INT : Il y a eu au niveau d'Aurillac disons, beaucoup de dénonciations calomnieuses, beaucoup de gens arrêtés? (5'05)

"Il y a eu des dénonciations calomnieuses, pas tellement, il y en a eu forcément comme partout mais ils avaient de la veine d'être arrêté soit au commissariat, soit à la préfecture, ce qui fait que dans l'ensemble c'est passé [...] j'ai été, on en parlait tout à l'heure, j'ai été contrôlé par un inspecteur de Clermont, un jour il s'amène un type, il me dit : "Voilà, je suis inspecteur à Clermont, je fais parti de la police et vous avez dénoncé comme étant résistant et vous avez chez vous paraît-il des quantités d'armes" ; alors comme j'étais tranquille, relativement tranquille, je lui dit : "Écoutez, on va faire le tour de l'atelier, voyez tout ce que vous pouvez trouver" ; et nous avions ici, encore ce n'était qu'un jardin, un hangar alors là, dans lequel nous avions une machine de la croix rouge américaine mais qui était bourrée, on ne pouvait pas ouvrir les portes tellement elle était bourrée et alors au bout de moment le type dit : "Ça va, je vois qu'il n'y a rien, mais c'est rue du Pré Mongeal que vous avez été dénoncé" ; je lui dit "Rue du Pré Mongéal, il n' y a que mon frère qui y habite, la petite maison du fond, nous n'avons rien, un hangar c'est tout" ; "On peut le voir" ; je lui dit oui, je ne pouvais pas dire non on y monte et puis il me dit : "Tiens, vous avez une ambulance" ; "Oui, c'est une ambulance en réparation" et alors quand il est parti, il m'a dit : "Faites attention, la dénonciation vient de votre quartier" ; il a pas cherché, il m'a pas demandé d'ouvrir les portes de l'ambulance, ni rien, il a bien fait d'ailleurs mais je suis certain que ce type était franc maçon, sûr, j'étais jeune franc maçon à l'époque, je ne possédais pas tous les signes et je suis certain que pour me prévenir, dans l'état qu'il était ou il était résistant, un des deux parce qu'il a pas poussé du tout [son enquête] au contraire, il m'a prévenu en partant, il m'a dit : "Vous saviez, vous avez laissé une voiture, une camionnette devant la porte" ; c'est dans celle que l'on transporté la fille que l'on devait tué, celle qui nous avez dénoncé et la fille était encore dedans, le type en avait fait le tour, heureusement, c'était une fourgonnette, il ne pouvait pas voir, à l'époque les fourgonnettes, il n'y avait pas de [...] il y avait juste un espèce de petit truc derrière, il nous auraient désigné comme transporteur en plus, alors je lui dit : "Vous voyez, nous ne sommes carrossier pas transporteur" ; [...] ici par conséquent, ce n'était que des jardins, je suis certain que ce type était au moins dans la résistance parce qu'il n'a rien fait pour pousser, là bas à la maison, c'est pareil, il y avait des fusils de chasse qui étaient posés, dans la sellerie, il y avait leurs outils dans des coffres et au dessus des coffres, on y avait /foutu/ les fusils, ils ne se voyaient pas de par terre mais enfin en montant sur un escabeau, n'importe quoi, ils se voyaient, il ne m'a pas fait ouvrir les trucs rien, il s'est promène, il est venu se rendre compte, c'est tout, il a exécuté un ordre... "

INT : Les collaborateurs? (9'54)

"Si ça avait été un collaborateur..."

INT : Non pas lui mais les collaborateurs...?

"Il y avait à un moment donné, un nommé Gaillard, qui habitait dans la maison du coin, je le soupçonne lui, d'ailleurs je l'ai toujours soupçonné mais il a disparu du jour au lendemain ce type parce que je l'avais surpris un soir en rentrant tard, il traînait par là autour du quartier, parce qu'il n'y avait qu'un mur, il n'y avait qu'une petite murette, c'était des jardins, alors, il n'y avait que la murette et la maison du fond et il sautait de par la murette pour savoir ce qui se passait derrière et je suis à peu près sûr que c'est lui qui m'avait dénoncé, d'ailleurs, le type m'a dit: "C'est de votre quartier, qu'on vous a dénoncé" alors par conséquent en face, il n'y avait pas les [...] il n'y avait personne, ça ne peut pas être autre chose, il n'y a que lui..."

INT : L'épuration, comment vous la considérez?

" L'épuration, je considère qu'elle a été très mal faite, on a fusillé de pauvres types ou on a pendu de pauvres malheureux qui étaient des seconds, des troisièmes ou des cinquièmes rôles mais les plus importants sont restés debout parce que les Américains s'en sont resservis, les Français aussi peut être d'ailleurs, il y a un type comme le fameux journaliste, possesseur de sept ou huit journaux en France ..."

INT : Aujourd'hui...? Hersant?

"Hersant, il est photographié en tenue de colonel allemand alors... c'est des types comme ça qui sont passés à travers alors maintenant ils recherchent des pauvres /noises/ à ce mec de Hongrie, le président hongrois parce qu'il avait été SS..."

INT : Le président autrichien ...

"Oui autrichien, lui aussi on l'a vu en colonel allemand en photo mais ils ont mis quarante ans à s'en apercevoir, il a siégé aux sociétés des nations pendant dix ans, ils auraient pas pu s'en rendre compte plus tôt, s'ils avaient tenu à le savoir ; non moi l'épuration a été très mal faite, elle était à prendre carrément par les deux bouts, sans hésitation, moi là je ne suis pas plus sanguinaire qu'un autre mais j'aurais fait parti du peloton d'exécution pour certains alors ici le seul type vraiment dangereux, c'était le commandant de gendarmerie, il a été fusillé, bon il ne l'a pas volé parce que lui vraiment c'était pas un pro nazi peut être mais un pétainiste à tout crin, il était pire que Pétain parce qu'il faisait du zèle, heureusement que les gendarmes ne le suivaient pas et que surtout cela s'arrêtait à la préfecture parce que d'ailleurs, c'est sur les rapports de la préfecture qu'il a été fusillé pour des trucs qu'il a dit, qu'il a tenu... non moi l'épuration... couper les cheveux des filles qui avaient couché avec des Allemands, il n'y avait pas de Français, il fallait qu'elles [...] "

INT : Le procès Barbie ? (13'33)

"Le procès Barbie, c'est une somme rigolade, le procès Barbie, on espérait que Barbie donne des détails sur l'arrestation de Moulin, c'était la seule raison pour laquelle, parce que Barbie, à ma place, au lieu de payer les frais de transport du Brésil, je l'aurais laissé sur place entre quatre planches et puis c'est tout, même comme ça tout seul au milieu d'un pré mais là on a voulu essayer de faire de lui faire dire qui avait vendu Jean Moulin et il y a eu certainement d'autres pressions pour pas qu'il le dise en tout cas, ça était ridicule, ça a servi à quoi, on se le demande, moi toujours je me le demande à quoi ça a servi son arrestation, qu'un type est fait son travail pendant la guerre, il était responsable des.... SS je crois ou d'un truc comme ça... "

INT : De la Gestapo...

"de la Gestapo, il a fait son travail de gestapier comme aurait fait un officier français, comme on a fait en Algérie quand on leur commandait d'arrêter, de fusiller les types, on leur commandait pas toujours de brûler un village mais ils le faisaient quand même alors vous savez les mentalités pendant la guerre, c'est une autre histoire..."

INT : Les Allemands aujourd'hui, comment les considérez-vous?

" Mais moi comme des hommes comme tout le monde, il s'agirait... voyez comment les Espagnols sont partis à la suite de Franco, comment les Italiens sont partis à la suite de Mussolini, les Allemands à la suite de Hitler, un type qui a du verbe, qui a de l'entrain, qui veut changer, qui veut le mieux être parce qu'il faut dire, il faut bien reconnaître quand l'Allemagne pendant la guerre et j'en ai un exemple moi, là il y avait une bière qui se vendait, qui s'appelait la couronne, qui avait une étiquette de couronne et alors l'étiquette était devenue si chère, qu'ils y collaient vraiment une couronne dessus, c'est dire à quel état s'est descendu et alors le mark allemand était descendu tellement bas qu'à l'époque, je devais avoir presque quinze cent francs à l'épargne, peut être que mille j'en sais rien et j'ai acheté des marks, j'en avais une brouette, il n'en reste quelques-uns encore, je dois avoir dix billets de cinq mille marks, tout le reste je l'ai brûlé, je l'ai jeté, qu'est-ce que vous voulez que j'en foute, ils valent rien, ceux là je l'ai gardé en souvenir alors vous comprenez quand vous arrivez à une situation pareille et que l'on se trouve avec 4 ou 5 millions chômeurs comme on est en France en ce moment, Hitler les a foutu sur les routes, les a fait travaillé, les a payé, les a nourri, ils ont cru en ce type, ils se sont laissé en... et en plus alors de ça évidemment il y a l'extrême droite, les types qui poussent... c'est certain..."

INT : Si je vous dis Le Pen... (17'23)

"Le Pen moi je le fusillerai moi le Pen alors c'est pas difficile, s'il vient au pouvoir, il ne fera pas de vieux os, ça m'étonnerait qu'il y vient d'ailleurs m'enfin on peut être français mais quand on en arrive à nier des choses aussi évidentes que la... les fourneaux nazis et les camps nazis, il faut bien être un peu... ça ne doit pas tourner bien rond, c'est comme ce professeur de Lyon qui avait fait un cour, heureusement qu'on l'a /dégommé/, c'était pas dommage, m'enfin, c'était bien la moindre des choses qui pouvaient lui arriver, il y a des choses qui sont niables, mais quand les choses sont prouvées des milliers de fois, elles ne sont pas niables, on peut nier, un type reconnaît quelqu'un, on peut nier deux ou trois personnes qui ont cru voir quelque chose parce que chacun le voit à sa façon mais quand on voit les restes des camps nazis, quand on a vu arriver les premiers déportés, quand on a vu les soldats rentrés dans les camps où il y avais des monceaux de cadavres brûlés et des malheureux en train de crever sur le sol là, on ne peut pas nier ces choses là, on ne peut pas le pardonner, on peut le pardonner au peuple allemand actuel parce que ce sont des jeunes maintenant, il y a quarante ans c'est la deuxième ou troisième génération, certains l'ont subi, d'autres l'ont accepté mais je crois quand même que dans l'ensemble ils ignoraient ce qu'il se passait dans les camps, ils savaient qu'il y avait des camps de concentration bien sûr mais les camps de concentration avaient déjà commencé en 36, en 38 même avant, Hitler avait déjà fait les premiers camps de concentration avec des Allemands et il s'est dit qu'il y avait un maire de je ne sais où qui était attaché à l'entrée la corde au cou comme un chien, il devait aboyer... quand on arrive là, il vaut mieux crever..."

INT : Comment avez-vous vécu la Libération? Moralement

"Moralement, j'étais évidemment très heureux que tout soit fini, de retrouver la liberté, la paix, que surtout, il y est plus de guerre, on ne pouvait qu'en être excessivement content, on pouvait qu'être heureux de la libération..."

INT : C'était la fin d'une grande aventure?

" C'était la fin d'une.... aventure pas d'une grande, c'était la fin d'une aventure et par moment il m'arrive enfin plus maintenant, il m'arrive de regretter... je comprends très bien l'esprit combattant, on se foutait des combattants de 14, on se moquait un peu, je comprends très bien cet esprit combattant quand on a couru des périls ensemble, que l'on s'est rendu service les uns et les autres, peut être en le faisant pas toujours exprès mais il en reste toujours quand même un souvenir, toujours quelque chose, on se plaît de se rassembler au Mont Mouchet et pourtant j'y ai jamais mis les pieds puisque j'étais à la Gestapo, m'enfin je retrouve des copains qui eux y étaient, que j'ai connu dans la résistance ..."

INT : Vous avez siégé au CDL après la libération ?

"Non, au CDL Avinin y a siégé et oui à Aurillac, se tenait... non j'étais là à titre d'adjoint de Tricot plutôt, peut être même pas, ce que je faisais, on allait faire les conférences dans les bleds à droite ou à gauche pour le Conseil national de la Libération mais c'est tout ; il y avait Durif, il y avait des socialistes, il y avait des communistes, là ils avaient réussi, ils avaient quand même réussi à fonctionner avec les autres..."

INT : Vous avez participé en septembre 44 à la grande manifestation qui a eu et qui s'est terminé au stade...

"Oui, puisque j'ai fait un discours d'ailleurs, un discours je dois avoir la photo quelque part, où j'ai fait un discours pour la remise en place du discobole..."

INT : Je dois avoir un extrait du discours, c'est dans le Cantal Libre ... (21'30)

"Je m'inspirais du discobole en disant que j'étais content de revenir, d'avoir retrouvé ma place [...] (lit l'article) "ancien conseiller municipal qui est maintenant sur la nouvelle liste déclare au micro dans un charmant discours qu'il abdique dès maintenant en faveur de son père, à la foule il décrivit la jeunesse du mouvement, il évoqua les aventures de ses camarades, les siennes aussi mais il oublia de nous dire qu'après quatre jours de jeun", oui la Gestapo, ça c'est du.... c'était pas difficile pour ne pas parler, il n'y avait qu'a dire non, le moment de vigilance, c'est maintenant qu'il en faudrait de la vigilance, à l'époque et alors [...] mais c'est moi qui ait dit ça [...] oui je me rappelle avoir dit ça, oui je dois avoir une photo, oui tiens c'est vrai je m'en rappelait plus de tous ça..."

INT : 43 ans après quand vous relisez...

"Oui je me rappelle de ça [...] oui c'est des vieux souvenirs..."

INT : Et quel est le bilan que vous tirez de ces quelques années de vie de résistant?

"J'aurais voulu de meilleurs résultats, parce que nous voulions une France libre, indépendante, une France honnête où la justice serait égale pour tous, ça c'est le programme de la résistance, malheureusement les riches sont toujours les riches, les pauvres sont toujours les pauvres et les lois sont peu pendantes, toujours du même côté d'ailleurs, nous avions rêvé autre chose, nous avions rêvé une France tout à fait à l'image maçonnique, une France libre, indépendante où chacun puisse s'exprimer librement sans contrainte où chacun puisse faire ce qu'il avait envi de faire dans la mesure du possible, quand on me dit le droit au travail, oui mais encore faut-il qu'il y en ait du travail et je pense qu'à l'heure actuelle, c'est difficile, nous avons pas la mentalité des Allemands mais Hitler s'est pas [...] avec tout ces millions de types, il les a foutu sur les routes mais l'Allemagne est le pays où il y a les plus belles routes du monde, c'est quand même quelque chose..."

INT : [...] Vous m'aviez dit la dernière fois, vous ne voudriez pas que les résistants soient vus comme les poilus de la première guerre, de la même manière...

"Moi je considère que les poilus de la dernière guerre ont eu beaucoup plus de courage que nous parce que pour rester à Verdun où il tombait un obus au mètre carré dans des trous, dans la boue, dans la vase enterré sous les cadavres comme dans la tranchée de baïonnettes où il y a une compagnie entière enterrée, moi les types de 14 il faut leur tirer le chapeau, c'est quand même autre chose, je me demande si nous l'aurions fait dans les mêmes conditions, je me le demande, on a peut être couru plus de risques individuellement mais ils se sont bien rebellés mais malheureusement on en a fusillé trop pour remettre de l'ordre, il est vrai /pardi/ que dans une guerre, il faut la gagner ou la perdre.."

INT : Quel est le message que vous aimeriez laisser? (26'45)

"Ah le message, la paix pour tout le monde, surtout la paix, la guerre s'est bien beau quand on la voit au cinéma mais quand on la voit de près, elle est pas belle ; alors moi je suis pour une entente cordiale, je voudrais que nous ayons des Etats Unis d'Europe comme il y a les Etats Unis d'Amérique avec des lois régissant chaque pays mais que quand même l'ensemble forme un groupe, l'Europe unie représenterait à peu près 250 millions de gens, la Russie en a 240 millions ou 250 et de l'autre côté pareil, ça ferait un même équilibre entre les deux forces alors que nous sommes obligés de subir les Américains et bientôt les Japonais parce que les Russes ils ont l'air de se mettre... enfin je ne comprends pas cette attitude de défense aussi longtemps, ils ont dépensé des sommes folles, ils ont laissé des gens crevés en Sibérie et ailleurs pour faire de l'armement, peut être je ne sais pas moi mais avec le millième qui reste, il y en a assez pour détruire le monde alors c'est pas la peine de s'acharner d'en faire encore, bien sûr c'est plus moderne, il est certain que maintenant avec un machin on te descend un avion en vol et le truc le suit pour pouvoir l'attraper, c'est vrai qu'à l'époque c'était pas facile mais je ne vois pas pourquoi l'industrie de guerre ne se tournerait pas vers une industrie de paix..."

INT : Comment considérez-vous l'époque actuelle, les jeunes et la résistance, une résistante qui a témoigné au procès de Barbie a dit que la jeunesse se fichait totalement de la résistance, ne veut même pas y croire, en entendre parler ...

"C'est vrai, c'est malheureux moi je considère que la Résistance devrait compter dans l'histoire de France au même titre que la guerre de 14, elle n'a pas eu la même importance mais en définitif, si elle a eu la même importance, qu'elle devrait être apprise dans les écoles au même titre... c'est l'histoire de France, ça fait parti de l'histoire de France..."

INT : Elle est au programme d'histoire...

"Ah bon, c'est déjà ça je l'apprends avec plaisir parce que c'est normal..."

INT : Elle est au programme d'histoire des collèges, des lycées...

"Parce que dans les livres d'histoire, on parle encore des batailles napoléoniennes et même antérieures à Napoléon alors que je pense que la résistance a quand même son importance dans l'histoire de France, a eu son importance dans l'histoire de France..."

INT : A t-elle eu une importance différente de celle de la guerre de 14 par exemple puisque vous la cité du fait qu'il y a là un aspect idéologique de lutte contre le nazisme? (31'00)

"Je crois, parce que la guerre de 14 a été faite à l'Allemagne pour récupérer l'Alsace Lorraine, la guerre de 14 a fait suite à la guerre de 1870, voilà c'est pas compliqué, on avait perdu l'Alsace et la Lorraine, il fallait les reconquérir d'une façon ou d'une autre c'est pour ça qu'on a fait la guerre de 14 et on a fait cette guerre ci pour je crois... que c'était plutôt une guerre idéologique, c'était plutôt contre le nazisme, contre...je crois que cela a été une guerre pour la liberté, je pense, en tout cas moi je l'ai toujours considérer comme ça..."

[...] "Oui parce que c'est malheureux encore à dire mais pour moi, la liberté c'est ce qui compte le plus, c'est curieux, c'est comme ça, moi je voudrai que tout le monde soit libre, que tout le monde... les mêmes chances c'est pas vrai, la Déclaration des droits de l'homme dit les hommes naissent libres et égaux en droit, ils naissent libres bien sûr, mais ils naissent au hasard, égaux en droit c'est différent quand on est dans une famille riche, on ne peut pas naître égal à celui qui vit dans une famille pauvre, on n'a pas la même éducation, on ne peut pas avoir les mêmes moyens d'instructions, on n'a pas le même entourage, déjà dans une famille aisée, les enfants apprennent avec leurs parents au maintien, avec un ouvrier qui rentre du travail crevé et souvent avec un grand coup dans le nez, je ne parle pas maintenant parce que ça a quand même pas mal disparu mais avant la guerre moi je me rappelle, après la guerre de 14, ça marchait qu'à coup de vin, il y avait par exemple une école qui se construisait, il n'y avait qu'un type qui faisait le trajet de là pour aller boire du vin, il n'y avait pas un chantier avec quelques litres posés à droite ou à gauche pour encourager les gars au travail, chez nous à l'atelier quand un type laissait une pièce à midi, parce qu'avant on faisait des ronds d'avant train à la ligne et alors s'il avait pas fini et s'il le décrochait pas [...] il avait un litre pendu alors il savait ce qu'il avait à faire, il allait au bistrot d'en face le faire remplir et alors évidemment les gens malheureux se consolaient en buvant et alors évidemment tout le monde trinquait dans la famille, la femme et les gosses, c'est obligé, on parle de la misère aujourd'hui, la misère... on a connu la misère qu'avant la guerre et après la guerre de 14, la vraie misère, bien évidemment le type qui ne travaille pas, qui perd son emploi, il est quand même secouru au moins pendant un an il touche.. à l'époque quand un type était... le patron était pas content de lui, il le foutait à la porte, il ne le foutait pas aux prud'hommes pour prouver que le patron avait tort de le foutre à la porte et sans indemnités, aujourd'hui quand un gars quitte la télé, ben il s'en va avec quelques millions, quelques dizaines de millions et même souvent il peut partir sans regret il aura le temps et les moyens de trouver une autre place ..."

INT : Avez-vous aujourd'hui l'espoir....

"Non je ne crois pas malheureusement d'ailleurs que la vie revienne ce qu'elle était, il y a vingt ans, dix ans même parce qu'il y a peu de possibilité, pourtant de nature je ne suis pas pessimiste mais il y a déjà bien dix ans que je me dit enfin il sort une /bagnole/toutes les dix minutes quand nous aurons trois /bagnoles/ à la maison, quatre frigidaires, cinq postes de télé, il faudra bien qu'on trouve à faire autre chose, il faut trouver des débouchés, les débouchés il n'y en a plus en France ou très peu et il y a aussi les étrangers qui nous amène leurs trucs à un prix meilleur marché quand vous acheté une paire de /godasses/ ou de sandales qui viennent de Hong Kong et qui coûte moitié prix que celles que vous acheté en France, c'est quand même pas normal ou logique on devrait les arrêté et les laisser à Hong Kong ou alors qu'ils payent les types des prix assez pour pouvoir faire face à nos prix à nous ; avant la guerre, on allait en Espagne, on passait de suite la frontière, alors d'un côté, il y avait le côté espagnol et de l'autre le côté français, du côté espagnol, on achetait du tabac, des costumes, des vestes, des blousons en cuir à l'époque les blousons existaient pas mais moitié moins cher qu'en face, il n'y avait que la rue à traverser.... ah comment ça s'appelle au col de.... maintenant on y passe plus on passe par dessus ; non je suis assez pessimiste parce que j'ai bien peur qu'on ne retrouve pas les périodes qu'on a vécu, il a fallu tout reconstruire, il fallait tout refaire, il fallait refaire les ponts, les routes, les chemins de fer, il fallait refaire les maisons qui étaient démolies, il fallait trouver des logements pour ceux qui revenaient, les familles qui s'agrandissaient, enfin tout un tas de truc quoi, je crois qu'on vivra si, mais il faudra changer le mode de vie, il faudra se restreindre un peu pour pouvoir payer un peu plus d'impôts qui puissent servir à quelque chose d'utile et d'efficace, à aider les pauvres, à faire des œuvres sociales, des trucs comme ça ; j'aurais été riche si j'avais ramassé les millions que l'on a attribué à la résistance, des parachutages, j'aurais fait des cliniques, j'aurais fait une maternité pour les filles mères, j'aurais fait des trucs comme ça pour... au point de vue social... maintenant je n'y pense plus... [...] que je n'aurais pas le désespoir de voir l'an 2000 parce qu'on en parle déjà mais je ne le voit pas beau, enfin j'espère me tromper, si évidemment il y aura toujours du travail, des intellectuels il en faut, il y aura toujours des manuels il en faut aussi, des artisans mais des grosses boîtes ou ça sera des boîtes internationales alors vous voyez bien ce que cela rapporte, chaque fois qu'il y a une grève, une autre entreprise le prend, un tiers du personnel est réduit et des trucs comme ça alors... mais ça s'est des questions qui me concerne plus.... "

(37'57)

Autres données descriptives
Notes ISBD

(Cote de l'original : Fk 9 [1218] et de conservation : A [1218] 1151****).

Auteur
  • Gaillard, Marcel
  • Flauraud, Vincent
  • Cournil, Bernard
  • Dejussieu-Poncaral (Général)
  • Ostertague, Auguste
  • Lahaye
  • Derolas (Docteur)
  • Barbie, Klaus
  • Moulin, Jean (1899-1943)
  • Mazet de Sauxillanges (Docteur)
Mots-clés lieu
  • Aurillac (Cantal, France)
  • Mauriac (Cantal, France)
  • Laroquebrou (Cantal, France)
  • Maurs (Cantal, France)
  • Maquis de la Fombelle-la-Luzette (Cantal, Lot, France)
  • Mont-Mouchet (Auvers, Haute-Loire, France)
Mots-clés matière
  • guerre 1939-1945
  • Résistance
  • entretien filmé
  • Franc-maçonnerie
Mots-clés personne
  • Gaillard, Marcel
  • Flauraud, Vincent
  • Cournil, Bernard
  • Dejussieu-Poncaral (Général)
  • Ostertague, Auguste
  • Lahaye
  • Derolas (Docteur)
  • Barbie, Klaus
  • Moulin, Jean (1899-1943)
  • Mazet de Sauxillanges (Docteur)
Permalien de la notice
7 AV 25-6
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