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Description physique
Document sonore Collation : 1 disque compact audio
Présentation du contenu

Préambule et transcription par Pierre Amiral

La scène se déroule à Cézerat, commune de Vernols, dans la maison de Léon SOULIÉ, veuf depuis 1965. Elle se situe à l'entour de 1975. Léon tient toujours le bistrot qu'il avait créé avec son épouse. Il était né en 1897 et décéda en 1985.

Il est avec ses trois fils :

Gabriel 1920 – 2003

Alfred 1922 – 2006

Maurice 1925 – 2004

Les deux premiers sont veufs sans enfant

Le troisième est divorcé sans enfant. Il manque sa fille, Andrée, née en 1918 qui décèdera en 1989. Elle était mariée et a eu deux enfants, une fille et un fils. J'ai écouté attentivement le document 3 AV 877 ; je l'ai minuté à quelques secondes près ! Exceptionnellement, les trois interlocuteurs parlent en français ! C'est le père qui a donné le ton et je pense que tout à la joie de se retrouver tous les quatre, ils avaient bien arrosé leur repas. Les 17 premières minutes et 30 secondes ne présentent aucun intérêt, sauf pour les quelques rares personnes qui ont connu les personnages évoqués. J'ai bien connu madame Albert Chastel ! De la 17 à la 23ième, ils s'amusent. Léon Soulié sort le grand jeu et chante. Ses deux morceaux préférés y passent : « Mon z'ami » et « j'ai une auto ». Pour « Mon z'ami » il s'est fait un turban, une chéchia, avec sa serviette de table blanche et il danse. La langue qu'il emploie qu'il marque d'un léger accent arabe est connue de lui seul !

Je rappelle qu'ayant fait son service militaire dans un régiment de tirailleurs Marocains et ayant était mobilisé, en 14, dans un régiment également de tirailleurs Marocains, il vouait à ces gens là une certaine admiration et une affection jamais démentie. Cette affection s'étendait à tous les gens du Magreb qu'il ne connaissait pas. Il n'a jamais parlé de Nord Africains mais toujours de "Mon z'amis" ; c'était le vocable qu'employaient les tirailleurs pour s'adresser à leurs compagnons Français. Il est quasiment certain que la partie qui se situe après la 23ième minute n'a pas été enregistrée ce jour-là. Gabriel a fait cela tranquillement, chez lui, comme pour les précédents documents. Mais cette partie que j'ai transcrite est pour moi une petite merveille.

C'est la narration d'un voyage en auto d'Allanche à Cézerat, sans doute un soir de foire, peut être celle du 16 août, une des deux plus grandes de l'année. J'ai parcouru cet itinéraire des centaines de fois à pieds ou à vélo. Je m'y suis vraiment cru en l'écoutant tant il fourmille de détails rigoureux et exacts.

Gabriel Soulié, cote 3 AV 877, « En automobile »

Eh toi "caisse de pendule" et toi "penche l'aile" poussez-vous un peu là-bas, il est midi de l'heure vieille et nous sommes toujours à Allanche ; ah, si nous devions nous en aller à pieds, nous n'arriverions pas de bonne heure même en passant par le bois. Allez, en route, les portières sont fermées brroum, brroum… Nous ne sommes pas les derniers, il y en a encore chez Fifinon et tous ne lisent pas le journal ! Attention, là, en descendant, devant chez Desprat il y a toujours quelqu'un qui sort de l'hospice pour traverser : tiens qu'est-ce que je te disais !

Nous arrivons sur le pont, personne qui descend de la gare à Outre l'äigue, la Toutoune, attention, il y a le chien de chez Lombard qui est couché là, au milieu de la route : "pousse-toi pauvre bête car au jour d'hui, tu sais, les chevaux qui nous mènent ne voient pas clair" !

- Arrête

- qu'est-ce qu'il y a d'autre ?

- la barrière qui est fermée.

- ah, il faut s'arrêter,

- bien sûr qu'il faut s'arrêter, tu ne peux pas la sauter avec ta patraque !

- regarde un peu si tu vois le train, ah toi, tu ne vois jamais rien ! et la gare tu la vois ?

- attends, il me semble qu'il y a quelque chose qui descend : il se remet à reculer, il est en train de faire la manœuvre eh bien nous sommes propres, nous !

- bonjour madame, il faut toujours dire bonjour à la garde-barrière, elle est gentille cette femme, parfois elle ouvre mais aujourd'hui elle n'ouvre pas. "Bada pas, bada pas ! Tu verrais bien toi si tu étais au suc de Parro un 15 d'août en plein soleil sans une chopine (24 min. 52).

Il me semble que cette fois-ci, le voilà qui arrive, il trace noir la bête : chou, chou, chou…Il est parti, nous pouvons filer.

- Mets-toi bien là bas devant l'octroi, regarde ce qui descend : une semi remorque chargée des épicéas et des pins des "quatre pieds de l'âne" ;

- ah il faut faire attention à ces bêtes, quand elles passent près de toi si elles t'attrapaient par une aile elles te retourneraient comme une pachade. Ça y est quand même, nous pouvons y aller et oui, maintenant ça monte et puis nous n'avons plus d'élan, hein !

Regarde le poteau du téléphone, il a toujours sa jambe cassée, il y a le jardin de "Milliroux" qui approche.

Qu'est-ce qu'il y a là-haut ? Tiens, regarde, il y en a un qui attrape le raccourci !

- oh moi je n'y vois rien avec cette glace qui est sale depuis qu'il n'a pas plu ; mais on dirait que c'est Pierre de chez "Mongarli",

- ah, il faut s'arrêter. Allez, serrez-vous un peu là bas de derrière, mettez le cabas entre les jambes,

"allez monte vite mon homme" et dépêche-toi que nous sommes pressés

- Je ne vois plus clair, J'ai le cul devant le nez

- Tais-toi, toi le gamin !

- Mais nous montons pas vite, ça fait tirer, je ne sais pas ce que vous avez bu les gars mais c'est chargé, allez fais tirer, tu as peur qu'elle attrape un "coup d'ataraduira"? Appuie, appuie !

- ah je crois que cette fois-ci elle a attrapé son régime. Nous allons dépasser le château de la Liandiette, La Neyrat, les Bories, cette fois-ci ça file.

- Oh, pas si vite, regarde, Machin qui change les vaches de pré ; s'il n'en n'avait pas autant ça irait plus Vite et s'il n'était pas si loin je lui dirais moi "dépêche toi que nous sommes pressés".

Allez, tourne à gauche, passe la plaine, le chemin du Sacou, attention à la descente fais attention, qu'est-ce que c'est ? C'est les vaches de Francillou qui vont aux Mulatets on dit que lui penche à gauche mais ses vaches marchent bien à droite ; fais attention à la descente, regarde bien devant toi, tiens il y en a un autre qui fait boire à la "bachasona", il faut s'arrêter. Allez va t'en toi, celle-là, elle a passé un mauvais hiver, elle a les cornes longues comme un "sarradon" et l'autre là-bas qui passe dans le fossé et qui va te rayer la peinture,

-oh, la peinture, il y a longtemps qu'elle est sèche c'est pas comme la couche que vous m'avez mise ce matin !

- allez serre bien la "mécanique" je n'ai pas envie d'enfiler la montée de chez Félut,

- allez il y a un autre mauvais morceau devant "chez la sœur", regarde en bas, l'autre il a un joli jardin, prends assez long, là-bas devant chez la Dédée, qu'on ne sait jamais ce qui peut monter d'en bas ! Tiens qu'est-ce que je te disais en voilà encore, ce sont les vaches de Maurice

- ah de Maurice l'adjoint, où il est ? Le voilà qui monte d'en bas avec son frère Fred ils doivent s'en aller aux "Clous"

- sûrement que de ce côté ils ne s'en vont pas vers la "Coréira" !

Qu'est-ce que tu me dis toi, nous allons boire un canon ? Eh bien allez, vite vas-y, entre dans la cour de chez Soulié. Ah, ça fait du bien de se tenir un peu droit !

- toi, ça a bien l'air de te forcer !

- Qu'est-ce qu'il a le radiateur ?

- Le radiateur, il est comme toi, il n'a pas le nez froid ! Eh, doucement par les portières ce n'est pas un tombereau, non !

- Pourquoi tu donnes un coup de pied dans la roue ?

- Ah, c'est pour regarder la pression

Ah oui ! Oui, tant que les orteils ne se retournent pas, c'est que les pneus ne sont pas trop gonflés.

- Qu'est-ce que tu fais toi, tu trébuches ou tu titubes ? Qu'est-ce que ça va être quand tu ressortiras et toi qui es malin pousse la porte qui est ouverte et rentre-toi là-bas dedans :

- bonjour messieurs - dames, bonjour monsieur, bonjour madame, bonjour, bonjour, monsieur. Pousse-toi un peu là-bas toi, il est épais comme une épluchure d'oignon, large comme une croûte de pin et il lui faut deux chaises, si tu avais un trou dans la tête tu ressemblerais davantage à une "estantéira" qu'à une pièce de fromage !

Ah, qu'est-ce que nous y mettons ?

- moi un 45,

- oh moi une Salers,

- moi aussi. Ah nous en avons bu quelques uns ce matin avec Machin, je ne me rappelle jamais son nom, un petit, son beau père sortait de là bas, derrière Mathonière oh qu'est-ce qu'il a changé ce gars, oh là là, s'il a changé !

- Il a changé de quoi, il a changé de ferme ?

- pense-tu imbécile, il a changé de mine et toi tu ferais bien de changer avant d'être complètement abruti.

On a fait une belote, j'ai deux fois eu trois as !

- Et avec toi, ça en faisait quatre ! Ah bois un coup toi que tu presses d'assommer !

Ah je sais pas moi ce que j'ai, depuis quelques temps j'ai la tête qui me tourne, je crois que j'ai attrapé un "coup d'eau", et d'un peu plus j'allais dire et oui, moi qui n'en goûte jamais juste un peu dans la soupe le soir .

- Et les jambes, Ah moi, j'ai les jambes…

Glossaire

Bada pas : jeu de mots, badar signifiant ouvrir en occitan ; tout autre chose que bader

Bachassona : série de 4 bacs coulant l'un dans l'autre le long de la route qui descend au village

Belote, 3 as, jeu de mots âne et as se prononçant de la même façon en occitan "ase"

Chez la Dédée, c'était la maison où habitait sa soeur Andrée

Chez la sœur, c'était le nom d'une maison qui n'existe plus

Chez Soulié, c'était le bistrot tenu par ses parents, centre du village avec poste téléphonique public

Clous (les) : pâturage en haut de la côte, rive gauche

Corèira (la) : pâturage en haut de la côte rive droite

Coup d'ataraduira : effort violent et soudain qui peut laisser des traces

Coup d'eau : fatigue intense et soudaine, sensation d'avoir les jambes coupées. L'expression vient du fait

que les hommes ou les bêtes la ressentaient après avoir bu de l'eau très froide en ayant très chaud

Estantéira : piliers verticaux, un sur l'avant, un sur l'arrière pour retenir le foin dans le char. Celle de devant avait des trous pour qu'avec une cheville on bloque la perche à la hauteur voulue, celle de derrière avait des encoches pour, avec un cercle attacher la perche descendue avec le sarradon

Fifinon (chez), auberge au fond d'Allanche vers Cézerat. Le lieu s'appela chez "la Fifinone" quand Fifinon fut décédé

Lombard (chez), le marchand de vins ; cela devint "chez Laurent" du nom de son gendre successeur.

Mais Lombard était décédé depuis longtemps qu'on disait encore "chez Lombard"

Mongarli, le père de Pierre était surnommé Mongarli car il venait de Montgreleix qui se dit Mongarli en occitan. Mont des grillons ou mont des grelots ? Je penche fortement pour la seconde hypothèse

Pachade : crêpe épaisse et grossière

Quatre pieds de l'âne, lieu-dit mythique dans la forêt de la Pignatelle car sur une pierre plate on voit la trace des quatre pieds d'un âne et le trou du bâton du cavalier ou de la cavalière

Sacou : ferme isolée à un km et demi de la route, sur la gauche

Sarradon : Ustensile en bois muni d'une chaîne. Cette chaîne était attachée à la perche censée tenir le foin sur le char. L'extrémité de l'engin d'un mètre cinquante de long était coincée dans une encoche de l'estanteira de derrière et on exerçait une pression pour que le foin fût tassé au maximum sur la char

Autres données descriptives
Notes ISBD

(Cotes de l'original : Fg 906 [1443] et de conservation : A [1443] 1440).

Auteur
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
  • Soulié, Léon
  • Soulié, Alfred
  • Soulié, Maurice
Mots-clés lieu
  • Vernols (Cantal, France)
  • Cèzerat (Cantal, France)
  • Allanche (Cantal, France)
Mots-clés matière
  • discussion
  • service militaire
  • tirailleur marocain
  • chanson
  • automobile
  • occitan
  • lecture
  • café (établissement)
Mots-clés personne
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
  • Soulié, Léon
  • Soulié, Alfred
  • Soulié, Maurice
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