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Document sonore Collation : 1 disque compact audio
Présentation du contenu

Transcription par Pierre Amiral

Gabriel, chroniqueur en famille

La scène se passe dans le bistrot de son père, Léon Soulier et la mort du cochon devant la porte.

Je veux dire qu'en voiture, j'ai les jambes coupées.

Oh, si c'est seulement les jambes tant que tu auras tes pieds tu pourras toujours les mettre dans les sabots garnis.

Donnez-lui s'il vous plait un cachet que depuis quelques temps il fait comme les boeufs qui fanent l'après-midi, il travaille du chapeau !

Mesdames les "nores" de la maison, vous allez bien prendre quelque chose avec nous ?

-Ah, c'est très bien !

Alors les nouvelles, je sais pas, je n'ai rien entendu ce matin avant de partir ; je n'ai pas fait mettre la radio dans la voiture parce qu'avant il me faut faire faire quelques réparations : faire peindre les garde-boue, remplacer la manivelle et même peut-être changer quelques bougies parce que je n'y vois plus clair la nuit quand il fait sombre ! Mais c'est l'heure des informations, allons voir ce que dit l'homme qui est dans la boîte :

"Et voici le bulletin régional concernant particulièrement les faneurs, les pécheurs, les promeneurs, les buveurs -ah ça, c'est nous- les buveurs d'eau -ah ça c'est pas nous- les buveurs d'eau qui devront faire ample provision car la soirée sera particulièrement chaude !" Ah, toujours les mêmes conneries !

De quoi, de quoi, les mêmes conneries ? Je répète, temps chaud entre deux averses, terminé !

Ah bah, celui-là nous a coupé la chique. Il y a longtemps que vous l'avez ce poste ? Ah, tu as vu si c'était bien foutu : le type il t'écoute et il parle en même temps, et qui vous l'a vendu ? Ah c'est le gars qui me l'a apporté en venant du voyage. Mais quand même, que ne font-ils pas avec le progrès !

Qu'est-ce que tu me dis toi, tu ne vas pas me dire que maintenant nous sommes pressés, remettez-nous ça s'il vous plait ! Avec une grenadine pour le petitout !

– non je n'en veux pas de grenadine !

Monsieur Soulier, s'il vous plait, donnez-moi un bitter San Pelegrino avec de l'eau du Terrondo ! ?

Ah bé où il me l'a attrapée celle-là ?

J'écoute la radio le matin, moi, qu'est-ce que tu crois ?

Ah c'est vrai, le matin tu ferais mieux de sauter du lit au lieu de laisse ta pauvre mère se lever la première pour aller chercher les veaux !

Donnez-lui, s'il vous plait, une grenadine pour ne pas changer !

Je n'en veux pas de grenadine pour pas changea !

Tout le matin vous m'avez fait boire chaque fois que vous preniez un Pernod, j'en ai la vessie toute gonflée et demain la maman croira que ce sont les carottes qui m'ont retourné le ventre!

Ah donnez lui ce qu'il veut avant que je lui laisse tomber quelque chose derrière les oreilles !

Ah, n'aies pas peur je vais aller le voir moi ton maître d'ânes, moi, ce soir !

Sonnerie du téléphone

Ah le téléphone… tu me vois pas ? … partir

Allo oui, oui madame, allo oui, oui, allo oui, au revoir madame. Ah c'est untel qui a manqué l'avion et qui nous dit de boire l'apéro à sa santé !

Alors, celui-là ce n'est pas la moitié d'un imbécile, eh bien alors à la sienne, à la nôtre, à la vôtre.

Et si le temps se maintient, nous, cette après midi, nous aurons peut-être une petite fanée. Que dit le baro ? toc toc toc (petits coups sur le baromètre) ? Oh le baro est haut, il va plutôt faire lune ! Ah je ne sais pas, on dirait que ça s'ennuage et quand ça … je n'aime pas quand c'est noir de là bas !

Eh bien alors, il faut y aller, débrouille, vas-y et passe devant que je te suive. Et alors, ménagez-vous, à la revoyure et bon appétit.

Vous aussi et de même à vous !

Quelle heure est-il ? Eh bien il faut plus d'une heure et demie, aller, il faut aller chercher du vin, moi j'avais faim allez, mettez la table, allez qu'on va manger, allez !

Qui est assez malin pour pouvoir m'expliquer pourquoi le vache noire a un veau barrat

Pourquoi tant de grands… peu de …

Pourquoi quand il gèle tout est peint de givre ?

Pourquoi tout l'été, tant de fleurs dans les champs ?

Pourquoi, toujours pourquoi crient les petits

Pourquoi voulons-nous tout savoir et ne savons-nous rien du tout !

Le patois chez nous, c'est comme à la ville quand nous ne le parlerons plus tout sera fini. C'est à lui que nous pensons quand nous sommes loin d'ici, c'est lui qui nous fait croire que nous sommes toujours là et quand il faut s'en aller et ne plus l'entendre, que nous laissons Cézerat et son trou et ses sucs il y a plus d'un … qui a le cœur fendu !

"Tiens, c'est toi qui es revenu ? Viens un peu ici que je puisse te parler si tu n'es pas trop pressé ! Rentre dans l'étable, regarde là haut vers le plafond, c'est moi, l'aiguillon, accroché le long la poutre, je ne peux parler à personne, tous, tous galopent au jour d'hui avec les tracteurs qui sont tous par les chemins, dans les prés et par la forêt. Ah peu nombreux ceux qui sauront ce qu'est une redonda en bois une paire de courroies ou comme disait l'autre : va me chercher l'attaraduire qui est là-bas sur les bûches. D'ici, je vois tout, je suis à côté du perchoir mais maintenant il n'y a plus de poules, je ne les entends plus chanter ; il paraît que le coq n'a le droit de les "couvrir" qu' une fois par jour et je ne vois plus arriver de poussins, maintenant ils sont tous gros comme le poing, hauts sur les pattes qu'ils n'ont pas brisé leur coquille, qui ne connaissent pas leur mère et qui ne savent pas ce que c'est une bouse de vache ! Et oui, les poules comme ils disent, c'est automatique, quand il n'y a pas assez de rendement : tac par la casserole. Les cochons, il y a longtemps qu'il n'y en a plus, personne ne veut en tuer car ils ne font plus de paille et pas moyen de trouver un glui pour le griller. Ah, il n'y a que les veaux sur les stalles, ceux-là sont soignés : du lait, de l'eau, du foin …jusqu'à des hormones derrière les oreilles, il paraît que ça paye mais je ne sais pas.

Maintenant, personne ne mène boire au ruisseau, les chaînes ne tapent plus sur les crèches, pas une botte ne descend par l'escalier, il y a longtemps que je n'ai pas vu le coupe foin passer sur la moute, le foin descend de là haut comme s'il tombait du ciel, pour nettoyer l'étable, c'est pareil, plus de brouette, direct dans l'épandeur et tu, tu, tu, en avant le tracteur. Il n'y a que le chat qui fait comme avant : sur le bidon il monte pour lécher la passoire ; le chien, lui, ne sait plus que faire ; de temps en temps, il va se coucher sous l'escalier. Avant, il marchait entre les roues du tombereau, maintenant, il faut suivre la remorque en galopant Ah té, au jour d'hui c'est tout changé. Autrefois, quand on labourait avec l'araire, ma grand'mère l'agulhada n'allait pas si vite tant, avec son talon, elle en avait gratté des socs et sa pointe touchait le joug du premier attelage qui faisant doublon, elle avait connu le brabant ! Ah, ils ont enterré tout ça ce n'est plus dans le hangar. Ça va m'arriver à moi aussi, il faut que je me dépêche de parler, je ne peux plus écrire, ma pointe est rouillée pourtant, j'en ai fait tirer des paires, la Fontanges et la Rouge, la Noble et la Cerise… Tiens, mais aujourd'hui ils sont tellement pressés qu'un jour, tu verras, ils vendront les vaches sans les baptiser. Tout ça est passé et moi je suis resté parce qu'ils m'ont oublié, je suis tellement gros que personne ne me regarde ; mais si je voulais, avec mon aiguillon, je l'aurais vite arrêté le tracteur ; avec sa roue crevée il n'irait pas bien loin. Ce qui fait que comme ça, je vois toujours le soleil se lever au même endroit et la bise piquer et l'hiver recouvre tout comme avant ; alors, j'attends. Peut être qu'un jour je partirai à nouveau au printemps aux Contensouses mener du fumier. Aïe, aïe, j'étais en train de rêver, d'un peu plus je tombais de la poutre ! Ah c'est le coup qu'ils m'auraient chauffé les côtes en me mettant au feu ! Allez, sauve-toi et garde-toi du mal !

D'un seul

Eh bien mon pauvre Jean, tu es tout tourneboulé, dis-moi un peu ce qui t'est arrivé ?

-M'en parle pas peuchère de notre malheur, il faut que la Tonetta se fasse arracher un œil !

-Pas possible, maintenant qu'est-ce qu'il n'y a pas ! L'autre jour je l'ai vue mais elle ne m'en a pas parlé !

- ah tu sais bien, chez nous, pour une fleur au croupion on va pas le chanter dans tout le canton !

- et comment c'est arrivé ?

- je ne sais pas !

- d'un seul coup c'est venu ; en mettant les sabots, elle m'a dit : "je ne vois plus rien !" Cela lui fit tellement mal sur le moment que moi j'étais devenu comme la cheminée et planté devant elle comme un imbécile.

Maintenant il faut partir et sans plus attendre, le médecin l'a dit : "deux jours pas un de plus, après il serait trop tard et elle ne marcherait jamais".

Je te plains ma Tonetta, je sais que tu ne l'aimes pas mais il faut te laver, et partout bien frotter, les médecins d'aujourd'hui n'ont plus le nez bouché et quand ils sont obligés d'ouvrir les… les infirmières ne peuvent pas leur boucher les narines !

Je vais descendre le baquet des seaux, je l'avais pendu là haut à la fin de l'été quand la Noire eut fait son petit veau. Je ferai bouillir de l'eau avec quelques bûches, j'y mettrai dedans un peu de Javel, une cuillerée de lessif et un morceau de savon. Tu te tremperas dedans toute la nuit et tu verras que demain tu seras comme un sou neuf, je te mettrai un petit rideau et par le trou de la main, tu verras bien quelqu'un entrer !

Et la nuit se passa. Mais le lendemain matin elle avait encore plus mal aux orteils, elle s'était accroupie et le bout de son pied était coincé contre le baquet mais elle avait bien pensé que demain tout le jour il n'y aurait personne pour garder la maison et elle dit à son Jean de prévenir …pour venir traire les vaches demain matin, de soigner la truie avec ses petits, la poule qui couve et les six petits lapins. Le chien fera son train et s'il n'a pas de soupe, il lèchera la pâtée des cochons dans la soue. Jeantonnet dit :"moi je n'ai pas le temps de me laver entier, j'essayerai de me gratter les pieds pour que je puisse mettre les souliers du dimanche".

Et avant que le jour fût levé, ils partirent tous les deux pour la faire opérer. J'ai un morceau de saucisse avec deux cabecons, un litre de vin et un morceau …En prenant le cabas, Jeantonnet dit : "nous faisons comme toujours, nous allons mettre la clef sur le donne jour, l'argent je l'ai caché à côté de… dans la boîte de sucre que nous avions achetée l'autre année quand passa le Caïffa ; là, personne n'ira y mettre son nez, ceux qui croiront que nous l'avons mis dans le jardin pourront le retourner, nous n'aurons qu'à planter".

Ils suivirent le raccourci qui passe par le bois et, le bâton, le cabas, la lanterne à la main, ils trébuchèrent ici une pierre, là une racine. C'était le bon temps, ils ne craignaient ni la pluie ni le vent et lui avec ses rhumatismes, elle avec son œil ils arrivèrent assez tôt à la gare, une bonne demi hure, le temps de se peser, de regarder les affiches, de prendre le billet, de traverser les voies en suivant la brouette qui porte les sacs, sans s'occuper de ceux qui sont toujours là le nez tout rouge et qui disent :"qui est-ce ?"

Et les voilà assis serrés l'un contre l'autre, le bâton dans le coin, le sac sur les genoux et la gare s'en va comme s'ils ne bougeaient pas.

Sur les filets et en face, une grande photo, de l'eau jusque là bas, une haute muraille avec dessous écrit bien petit. Ils regardaient tout cela sans rien dire en pensant qu'il y avait des choses qu'ils n'avaient jamais vues. Tout à coup, un type qui était là-bas dans le coin..., une paire de lunettes épaisses comme deux phares se lève.et leur dit : "c'est la mer et le port". Jeantonnet qui n'est pas jeune mais encore malin s'étire la moustache et de suite, lui répond : "moi qui crains l'eau et qui ne suis pas bien fort, je crois bien que c'est le barrage de Bort !" L'autre baisse le nez, se plante devant nous et va mettre ses yeux juste en dessous de l'image pour lire l'écriteau ; dans une secousse, le gars tombe en arrière, se plante le bâton dans le trou que nous avons tous, troue le pantalon et crie : "je suis un couillon"!

"Ah dit Jeantonnet, quelquefois c'est vrai et chacun reste bien comme sa mère l'a fait" ! Et le train entre en gare ; nous autres, nous descendons et partons aussi sec chez le médecin. Que de monde partout, pas moyen de marcher, sur le trottoir il y en a qui galopaient. Derrière les vitrines, tous raides ils regardaient. Les marchands devaient laver les boutiques, ils avaient mis dehors toutes les marchandises et chacun en passant prenait ce qu'il voulait, d'habitude, chez nous, nous ne touchons jamais avec les mains. Au milieu de la route, un gendarme qui ne pouvait pas arriver à traverser tant il y avait de voitures levait les bras à droite, à gauche, impossible, ça roulait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre !

Nous montions toujours quand tout à coup arrive, en faisant de la musique, une voiture toute rouge et les casques des gars brillaient comme le soleil ; personne ne l'avait vue car pour bien la regarder tout le monde d'un seul coup s'était arrêté. Jeantonnet me dit : "on a beau dire mais quand on a de la valeur, on a beau dire, on a tous les honneurs" ; ils roulaient vite sans se faire une idée, comme s'il y avait eu le feu, ces imbéciles !

Nous payâmes sur le champ

Un peu plus haut, je m'en souviendrai longtemps et sans être délicat, cela sentait plus mauvais que les déjections d'un chat. La Toinette cria, tant que cela sentait fort, qu'ils étaient en train de nettoyer les cochons.

-Penses-tu, ça vient de la voiture noire qui est là bas dans le coin, avec les tuyaux qui vont dans la cave, ils doivent faire rentrer quelque chose pour passer l'été !

- eh bien si c'est avec ça qu'ils font la cuisine, moi j'aime mieux faire brûler des ouchines

J'ai toujours galopé, aller mettre du bois au feu, aller pisser dehors sans avoir besoin de me pincer le nez. Quelqu'un dit : "mais c'est la pompe à…" Nous n'entendîmes pas la suite parce qu'un mécanicien qui bouchait la fuite criait : "il y a toujours de la perte" !

Je ne connaissais que le bois et le charbon, je m'approchai pour lui demander ce que c'était ; en s'essuyant avec son mouchoir, il me dit :"mon petit père ça, ce sont les ouataires " et nous nous en allâmes sans lui demander si cela se mangeait froid ou à peine chauffé mais, tous les deux, nous savions que nous n'étions pas passés devant chez Monsavon.

J'avais la tête pleine, je ne pouvais plus regarder. Jeantonnet me dit "tu vas te faire écraser" ! D'un peu plus, c'était vrai : une auto longue jusque là bas s'arrêta en se serrant du trottoir ; c'était certainement une grande famille, dedans il y avait des gens qui étaient assis d'autres montaient vite mais personne…et un peu plus haut, une autre équipe qui vidait les seaux en fer blanc mais, s'il vous plait, avec des gants puis qui posaient devant les portes, ici le petit seau, ici la lessiveuse, avant de galoper un peu plus loin. Et quand même, nous arrivâmes chez le médecin. L'homme fit son travail nous payames sur le champ et même nous lui dîmes merci. Jeantonnet ne voulait pas faire de dette et puis, pour nous faire crédit, cet homme ne nous connaissait pas assez.

Nous reprîmes le train, nous reprîmes le chemin qui allait à la gare et montâmes dans le train content de repartir Nous nous mîmes dans un coin pour casser la croûte Nous arrivâmes à la maison pas trop tard pour nous coucher. Mais, crevés par cette grosse journée comme si nous avions fait une grosse lessive.

Avant que le soleil ait sauté Mathonnière déjà la Tonetta était dans la cour pour donner aux poules, pour soigner les lapins, faire comme d'habitude sans changer son train.

Le voisin, un pauvre homme, un brave paysan prêt à rendre service quand il faut boire un canon venait aux nouvelles pour savoir comment cela fait quand on n'a qu'un œil ! Il se plante à la fenêtre, regarde en travers étonné qu'elle n'ait pas le front bandé. "S'ils lui ont arraché l'œil, il doit y avoir un trou, une marque ou ils lui en ont mis un autre à la place, maintenant avec tout ce qu'ils font, il ne faut plus s'étonner."

Et alors, ma pauvre Tonetta, tu vois mieux pour marcher ?

Ah mon pauvre voisin ce qu'ils m'ont arraché ce n'est pas l'œil pour voir clair, Jeantounet ne te l'as pas dit, c'est un œil de l'orteil, un œil de perdrix !

Tiens, nous les faisons comme cela, nous, les saucissons !

Il y a quelques temps, ici, à la fin de la saison, chacun dans le village tuait son cochon, le nôtre cette année, n'était pas du tout vilain : le nez assez relevé les oreilles quillées, les côtes bien garnies, l'échine étirée et pour tout arranger, deux énormes jambons. Depuis un mois et demi nous changions sa paille, sa brenada achevée, il montait se coucher sur la stalle, tourné sur un côté, il ronflait comme un porc ! En lui tâtant l'échine, tout le monde disait : "il doit faire, c'est sûr, pas loin de cent kilos !" Tiens fit le père en accrochant l'almanach sur l'esporat, puisque le mois prochain la lune est nouvelle, moi je vais m'en aller aiguiser le grand couteau ; déjà nous pensions aux boudins, aux saucissons, au bon pâté de foie et bien sûr aux grotons mais pour le moment il fallait tourner la meule, remplir le sabot troué qui tenait par… et pas sortir de suite le petit couteau. ! Les étincelles sautaient quand c'était sur un bord et l'eau giclait quand nous tournions trop fort. Il fallut sortir le banc, aller chercher le glui, chercher dans les ruines les boîtes de sardines pour pouvoir, comme il faut lui gratter l'échine.

Et le grand matin arriva : la soue ouverte, attaché sur le banc, nous lui tenions les pieds pour ne pas qu'il saute trop, et le grand couteau pointu lui a troué le cou et le seau est rouge jusque par l'anse ; il a crié, juste ce qu'il fallait pour que le village sache que c'était nous qui avions tué le cochon. Mais quand même, les grands sont plus bêtes que les petits ; ils m'ont mis mon couteau dans l'anus du cochon !

De l'autre côté du mur, près du transformateur nous l'avons brûlé, lavé, gratté et il est roux comme les noisettes ; nous, nous arrachions les onglons pour ferrer le chat si nous pouvions l'attraper La tête est pendue au hangar avec les poumons, le ventre au bac. Ah, il faut garder la vessie pour faire une belle blague à tabac.

Déjà, nous allons l'entamer : un peu de foie, un morceau de gorge… eh, il faut bien le goûter avant de la faire saler ; et, il va y avoir du travail : la pileuse, l'embut, les boudins qui cuisent sur le poêle, le pâté de foie qui remplit le four la "roue" qui est pleine de chair de saucisson. Qui peut me dire que ça ne sent pas bon, un cochon ?

Maintenant, c'est la "grillade" : dans l'assiette, un boudin, un morceau plaissa, une toile blanche dessus et à fond par la cour : ici, là-bas, là, je n'ai oublié personne.

Un peu dans la toupine, le reste dans la cuve tout couvert de saumure. Les jambons seront levés dans une quinzaine et pendus au plafond à côté de… L'hiver peut venir, les pommes de terre dans un coin, la barrique à côté ! "Ah, tu as beau dire hein mais c'est quelque chose quand on a une bonne cave ! Et c'est vrai que c'est bon une oreille qui craque et cuits avec des pois, nous aimons bien les petits pieds."

Un bon nettoyage, nous étions en train de déjeuner : "toc, toc, toc", le chien aboie "le chien tais toi" ! Il y a quelqu'un qui a frappé, il n'est pas bien grand celui là car son nez n'apparaît pas au portillon, et ouvre lui la porte :

- bonjour tout le monde, nous avons tué le cochon !

- ah que c'est un bon garçon ce petit, et ça fait que comme ça, demain nous mangerons la grillade !

On en a mangé du frais et on en a fait du salé et c'est pas ça tiens je viens de le trouver :

"Que nous soyons enchipros que nous soyons mal minés

sans savoir pourquoi mais en le faisant assez,

Chacun fait, à son tour, sa tête de cochon !"

Musique par un orchestre avec acordéoniste ! On reconnaît l'air de "Sur les plus hautes montagnes d'Auvergnes"

En conclusion, Gabriel chante :

Je t'aime d'un amour têtu mon pays que le roc entaille

Et dont le dur manteau s'éraille

Aux flancs du Puy raide et pointu

Malgré les …et pointus

A mon cœur ton cœur qui tressaille

Je t'aime d'un amour têtu mon pays que le roc entaille

Et que maints propos rebattus parfois te dénigrent, foutraille

Je chéris d'autant ta rocaille et ton maigre genêt tordu

Je t'aime d'un amour têtu !

Les mots soulignés sont dans le glossaire.

Ce texte sur le troupeau de vaches dans la forêt a fait l'objet de ma première transcription, il est ici sans intérêt !

Le troupeau pouvait pacager le bois quand les eaux et forêts avaient délivré le permis ah, c'était bien un peu fort puisque le terrain appartient à la section de Cézerat, mais c'était comme ça ! La vachive, le troupeau, pouvait aller au bois la première semaine de mai et jusqu'au, jusqu'au dix d'octobre pour Saint Géraud mais il fallait bien manger le regain.

Alors donc, un matin, vers les sept heures et demie là, juste, devant la maison : on entend deux fois, une trompette criarde et des chiens qui aboient.

Après, le chemin des Arbones, le vachivier donnait le départ avec en bandoulière le parapluie, le saile, la musette, à la main le bâton et le chien à ses pieds. Dans les étables…

Glossaire Gabriel conteur

Agulhada : grand aiguillon -4 mètres environ- servant à aiguillonner le deuxième attelage par-dessus le premier. Muni d'un talon en fer à la base pour râcler le soc de la charrue.

Attaraduira : pièce de bois avec une tête et un corps qui, enfilée dans le trou rectangulaire du timon et butant contre le joug faisait que l'attelage -de bœufs ou de vaches- en avançant, faisait avancer le char ou tout autre appareil attelé

Barrat veau : veau dont le pelage globalement uni avait une ou des taches d'une autre couleur notamment sur le museau ; blanches pour la Salers en général

Brenada : soupe ou pâtée que l'on donnait à manger aux cochons, l'origine vient sans doute du mot "bren" qui signifie "son" en occitan

Cabecons : fromages au lait de chèvres

Contenssouses : prairie de fauche installée dans une clairière de la forêt de la Pignatelle

Embut : entonnoir rond dont la partie la plus grande se fixait sur la sortie du hachoir mécanique et la partie allongée, de moindre diamètre, était recouverte par le boyau destiné à réaliser saucisses ou boudins

Enchipros : chicaneur, hargneux, boudeur, mécontent, coléreux, irritable

Esporat : cloison en bois entre la maison d'habitation et l'étable

Grotons : les fritons tout simplement

Lessif : eau de lessive après notamment utilisation de la lessiveuse et qui avait encore quelques vertus nettoyantes, eau savonneuse

Mathonière : sommet de 1300 mètres d'altitude qui domine la ville d'Allanche

Moute : foin bien tassé qui remplissait la grange jusqu'à une hauteur plus ou moins élevée

Nores : Gabriel s'amuse ; il francise le mot occitan "nora" signifiant, bru, belle fille

Ouataires : les fameux WC que les gens du pays entendaient dans leur tête sous cette forme

Ouchine : poignée de tiges minces et longues qui mêlées souvent à des orties servaient à taper sur certains animaux pour les faire avancer et l'été, sur les jambes nues des enfants -garçons en particulier- pour les punir d'une bêtise ou d'un retard à l'appel

Pileuse : hachoir mécanique avec lequel on faisait notamment la chair à saucisse ou les petits morceaux de viande pour la confection des fritons

Plaissa : morceau de cochon autour d'une vertèbre : lard au dessus, viande en dessous sur une dizaine ou une quinzaine de cm

Redonde : rond en cuir ou en bois souple tressé accroché à la grosse cheville du joug et dans laquelle passait le timon de l'engin à tracter par l'attelage animal

Terrondo : nom de la source captée qui fournissait l'eau potable à la majorité du village de Cézerat

Tonetta : Toinette, raccourci ou diminutif d'Antoinette

Autres données descriptives
Notes ISBD

(Cotes de l'original : Fg 905 [1442] et de conservation : A [1442] 1439).

Auteur
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
Mots-clés lieu
  • Vernols (Cantal, France)
  • Cèzerat (Cantal, France)
Mots-clés matière
  • occitan
  • lecture
  • chanson
  • radio
  • café (établissement)
Mots-clés personne
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
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