Archives du Cantal
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Description physique
Document sonore Collation : 1 disque compact audio
Présentation du contenu

Présentation du contenu, transcription, traduction par Pierre Amiral :

Gabriel SOULIÉ

CÉZERAT

Gabriel Soulié était né en 1920 à Clermont. Puis son père, Léon, marchand de toile, s'était établi comme agriculteur à Cézerat. L'épouse de celui-ci, Jeanne, y tenait la maison et une petite auberge à laquelle elle adjoignit une épicerie sommaire pendant la guerre. Il avait une sœur, Andrée, née en 1918 à Clermont et deux frères nés à Cézerat, Alfred en 1922 et Maurice en 1925.

Ayant bénéficié d'un passage au Cours Complémentaire de Condat, il était rentré dans "les postes" et avait fait toute sa carrière dans cette administration, essentiellement comme receveur, en Normandie d'abord puis dans l'Allier.

Il avait appris à parler la lenga nostra -l'occitan qu'on appelait improprement patois- avant d'apprendre à parler français. Il avait conservé, de cette langue qu'il maîtrisait à merveille, un souvenir inoubliable et quand il revenait au village, que ce soit avec ses parents ou sa sœur et ses frères, il l'utilisait en quasi exclusivité.

En 1986, il avait enregistré quelques souvenirs de son enfance. Marié, il n'avait pas eu d'enfant et était devenu veuf jeune. Utilisateur de magnétophone, il avait confié ses enregistrements à sa nièce unique, Marie Thérèse, fille de sa sœur. Celle-ci, aujourd'hui décédée, ne pratiquant pas la lenga nostra et la comprenant difficilement, me les avait donnés pensant que je pourrais en tirer quelque chose. De surcroît, Marie Thérèse était, par son père, ma cousine germaine.

Ce document, naturellement déposé aux archives départementales y est consultable grâce au zèle de l'éminent M. Frédéric Bianchi, responsable du fonds sonore.

Je me suis amusé à le transcrire en français. Certes, il y a perdu en richesse et en fluidité car la lenga nostra ne connaît pas les pronoms sujets ce qui change tout. Toutefois, le document est ainsi accessible à tous les francophones.

La diction de Gabriel, conteur-né, était si parfaite que seul le son de trois ou quatre mots a échappé à mes vieilles oreilles !

Pour que rien ne reste dans l'ombre, j'ai réalisé un glossaire ; celui-ci prend parfois la forme d'une photo assurément plus parlante.

Certes, les imperfections de l'entreprises sont nombreuses mais, outre l'intérêt signalé plus haut, il me plaît de penser que l'ami Gabriel serait content de savoir que son texte sans prétention mais d'une richesse historique et humaine incomparable a été sauvé de l'oubli.

Gabriel, je garde un souvenir ému de nos longues discussions, des parties de belote et des "canons" que nous avons bus ensemble chez ton père et en sa compagnie.

Pierre Amiral

février 2023

Cote : 3 AV 874

On entend sonner la cloche de l'école :

Hé qu'y a-t-il, c'est la guerre, ils veulent à nouveau allumer le four ou faire tourner le moulin, que se passe-t-il ? -Penses-tu imbécile, ils donnent les coupes et louent le vachivier- le vachivier ? Oh, c'est loin tout ça, et il n'y en a pas beaucoup au jour d'hui qui savent ce que c'est. Dans ce temps là, les vaches allaient manger dans le bois de la Pignatelle et ça se passait comme çà. Au jour d'hui, tiens, si le père Soulié était là, il pourrait nous parler de la parcelle A, de la parcelle R mais il y a encore sa fille et ses gars -oh pas le "mange- miches de Condat", comme disait Toinasse- qui savent, les autres deux le connaissent le bois, écoute-les.

Eh bien, un dimanche du mois court, tous ceux qui voulaient envoyer leurs bêtes au bois se réunissaient à l'appel de la cloche devant l'école pour discuter du prix demandé par le futur vachivier ; ce prix était divisé par le nombre de têtes de bétail -la bête d'un an comptait pour une demi tête- chaque paysan payait son dû à la perception. A son tour, le vachivier devait louer un petit pâtre pour l'aider. Un délai de neuf jours était respecté avant que la tête soit comptée car une bête pouvait très bien ne pas s'habituer. La Vachive pouvait pacager le bois quand les Eaux et Forêts avaient délivré le permis. Ah, c'était bien un peu fort car le terrain appartient à la section de Cézerat mais c'était comme ça ! En principe, le troupeau devait aller au bois la première semaine de mai et jusqu'au dix d'octobre, pour la St Géraud ; eh, il leur fallait bien manger le regain.

Alors donc un matin, vers sept heures et demie : (on entend un bruit de trompette) là, juste devant la maison puis au pied du chemin des Arbonas, le vachivier donnait le départ avec en bandouillère, le "saile", le parapluie, la musette, à la main le bâton et le chien à ses pieds. Dans les étables, presque toutes les attaches tapaient sur les crèches en tombant par terre ; quelques bouses dans la cour et, sans se faire prier, les vaches regagnaient le communal. Les premiers jours, on se mesurait, les cornes s'entrelaçaient, les têtes cognaient, un pas en avant deux en arrière, à genoux, un dernier coup de tête sur le cou de l'adversaire et c'était fini, à la suivante, "avec qui voulez-vous lutter ?" Ensuite, ça attaquait le chemin des Arbonas et (on entend longuement un bruit de multiples cloches et des allez… allez...) Le petit pâtre passait devant avec son chien ; un petit coup à la Montanhona pour se rincer la langue et l'après midi, les Bornhadas, le dessus du "Bos de mossur", le "Posadon", là il y avait un abreuvoir et les bêtes faisaient la pause pendant une heure et demie, le temps que le second berger aille chercher la soupe au village par le "chemin des vachers". Après la pause, passage par les abreuvoirs du Posadon, lo Pau, retour par les quatre chemins, la Coreira pour arriver à huit heures et quart. Les vaches s'en allaient toutes seules chez elles ; après avoir été traites, les nôtres allaient dormir à "Ròcacorbeira".

Le second jour, la Montagne, la Chai, les Contensosas de Canote car là il y avait des abreuvoirs, les Contensosas du père Mongarlit, celles de chez Glauda, la plaine des Contensosas et la pause à la Pierre des grelots ou Pierre pointue. Après la pause, passage à l'abreuvoir de la Fòntberger et sortie aux "quatre pieds de l'âne" en logeant le prè de Bosteil puis le retour pour redescendre au village.

Les dimanche, fallait passer par la Portal, le Bois Rouchy, la Rasa boséira, lo pònt trocat, la plaine du Champama, la pointe de la Prune, le Posadon et on faisait la pause. Les bêtes étaient sensibles aux pollens, il y avait des "pisse-sang", ça venait peut être de l'eau.

Quand il y avait une vache en chaleur, le petit pâtre descendait au village avertir le propriétaire qui devait venir la chercher parce qu'elle dérangeait le troupeau ; ça cavalait sans arrêt !

Le mois de juillet était un mauvais mois pour le vachivier : au départ du village, les paysans lui demandaient, en venant chercher la soupe à midi, de descendre une ou deux paires de vaches pour faner en donnant leurs noms, la séparation avec le troupeau était toujours pénible mais il avait la "Chiffonnette" !

Quelques jours avant la fête de la St Antoine -premier dimanche d'août- les bergers passaient dans les maisons pour avoir une étrenne, le grand passait à Cézerat et le petit pâtre à la Portal.

Il y avait une vachive à Maillargues et une autre à Mouret, à la Boissonnière, non, car ils avaient partagé le bois entre eux. Au plus fort, à la nôtre, il y a eu jusqu'à 132 bêtes. Au jour d'hui, tout cela est fini, il n'y a plus de vachive et pourtant il y a davantage de vaches à Cézerat, le rendement sans doute et aussi différentes façons d'exploiter ; mais dans le bois, les bêtes étaient à l'ombre et à l'aise grâce à la compagnie. Au jour d'hui, les herbes sèches sont un danger comme dans le midi et ne laissent plus respirer les chevaliers qui sortaient du gazon entre les bruyères ; mais autres temps, autres façons de vivre !

Et, tout ça ce n'est pas un regret mais un souvenir d'enfant qui ne connaissait pas encore toutes les difficultés de la vie moderne.

Tout à l'heure tiens, tu me parlais des coupes mais c'était comment ?

Ah, comme au jour d'hui ! Il fallait que la cheminée fume durant six mois et un jour pour avoir droit à la coupe, coupe sèche, coupe verte avec des fayards. Le volume total délivré et "martelé" par les forestiers était ensuite marqué avec la rainette, numéroté, le nom et l'endroit étaient notés par des gars du village qui connaissaient le bois. Toujours devant l'école, chacun tirait son numéro le papier qui portait le numéro de la coupe, le nombre d'arbres et leurs emplacements dans le bois. Et chacun partait, la hache sur l'épaule reconnaître ses bois, les martelés non marqués revenaient au premier qui les avait reconnus, réglementaire ou pas, c'était comme ça ! Une fois le permis délivré, chacun partait préparer ses arbres avec la hache, le passe partout : il fallait garder les poutres, les billots pour les planches et le bois pour se chauffer Et puis, un matin, vers trois heures et demie, au moment de la pleine lune -il fallait quand même voir clair- allez, une botte de foin, joindre les vaches, atteler les chars -sans les estantéiras bien sûr- sans oublier la louve, les haches, la chaîne en fer, la rille et ses cordes en cas, hein mais on ne sait jamais ! Et il fallait charger, attention aux doigts aux jambes ; parfois il fallait atteler les vaches à l'envers quand il y avait une pièce qui pesait trop sur le char, caler les billots finir par les pointades et surtout bien attacher le tout avec la chaîne et la rille, la corde attachée au clidon ; les longues pièces soulevées avec un coussin sur le bord du char arrivaient presque au joug, mais c'était un travail qu'il fallait bien connaître pour éviter les mauvaises surprises, un écot qui te tapait sur une jambe en reculant tu pouvais t'en rappeler ou alors uns ruche qui glissait et le chargement descendait au village : devant la maison, le bois pour faire feu, les branches et les morceaux tordus pour les bûches et sur le communal les billots qui, feraient les planches quand la scie arriverait.

Ah ! la scie, nous l'attendions tous les jours après l'école, nous la voyions abrocar là haut au tournant de la route et nous allions l'attendre ; les roues larges de la machine écrasaient les pierres car la route n'était pas goudronnée et ça vibrait dans la tête des mules. Ah ! les mules, il n'y avait qu'elles qui pouvaient mener une pareille affaire les bœufs ne tenaient pas la coup aux va et vient du timon. Une fois la machine et le banc installés devant l'école, ils les amenaient dans l'étable du père Pinchinat. Ah ! ces mules, elles faisaient notre admiration : des grandes bêtes avec de longues cornes, elles marchaient d'un pas lent mais si hautes que nous, les petits, il nous aurait fallu une échelle pour leur monter sur l'échine. L'installation de la machine et du banc terminée il fallait pousser la chaudière."Non d'un matin" disait Raymond en allant chercher l'eau au ruisseau et en donnant de temps en temps un coup de sifflet pour tâter la pression. Et après, de bonne heure le matin, les billes prenaient place sur le chariot, elles étaient d'abord équarries et il fallait enlever les croûtes qui servaient à faire les hangars, réparer le parc des porcs, leurs stalles et faire quelques portillons. Et le bruit des courroies : zin…zin…zin, la scie qui attaquait les billes et au bout, une planche qui sortait, ces planches qui allaient faire le château pour être vendu plus tard à la toise.

Le nez rouge, les mains dans les poches nous regardions gicler la sciure blanche mais c'était défendu d'approcher, les scieurs le savaient bien eux que c'était dangereux et leurs mains attendaient toujours que les doigts poussent à nouveau.

Un fois la machine partie, nous creusions des tunnels dans la sciure. Certains parfois qui venaient en chercher, pour en mettre à l'abattoir, dans les wagons ou pour faire brûler dans quelques poêles d'ateliers. Les ruches nous servaient pour porter au ruisseau les crapauds qui étaient cachés sur les marches de l'école et ensuite, au printemps une année on découvrit des laitues toute blanches, elles avaient été protégées du froid tout l'hiver.

Mais de tout cela plus nous avançons dans la vie moins nous nous souviendrons et il n'y en a pas beaucoup qui peuvent s'en rappeler ; la vie était comme ça ! Dans chaque maison du village autrefois il y avait un attelage pour descendre la coupe ou celle du voisin. Hui, les dollars ont remplacé dans chaque foyer les chars de bois qui entraient dans la cour de chaque ferme. D'ailleurs traiter cela comme autrefois ce ne serait plus possible ; finies les montagnes de bûches qu'il fallait enfiler dans le hangar ; ah le merlin, la masse, la scie louve, les coins !

"Tiens ça me fait penser que l'hiver sera rude car les oignons ont fait une double peau, laisse-moi aller téléphoner pour faire remplir ma cuve de mazout."

Le four est encore là et il y a seulement encore quelques années il n'était pas totalement cuit car un petit pin et un petit frêne avaient poussé sur son toit et on pouvait dire : "tiens il y a encore un pain (pin) qui sort du four". Il était gourmand le vieux four, il lui en fallait du bois pour le chauffer durant huit jours avant de pouvoir enfourner. La chère mère Marie venait du Sacou, le soir, préparer le levain dans le petit seau de bois et elle repartait dans la nuit, une bougie plantée dans une bouteille sans fond, pour revenir le lendemain pétrir, mettre la pâte dans les paillassons et la porter au four. Quand les tourtes se touchaient nous avions droit aux morceaux mi-pâte mi-pain qui se détachaient,s ça sentait bon la farine cuite ; les tourtes étaient gardées dans le tiroir de la table elles achevaient par fabriquer la pénicilline qui guérissait du mal blanc, .il y avait un peu de bleau mais c'était bon quand même. La croûte en petits morceaux c'était un régal pour faire les bresonas avec le lait frais bourru

Pauvre vieux four, il faut que tu tiennes le coup encore quelques années pour qu'en passant devant ta porte j'aie encore l'impression de sentir la bonne odeur des tartes dont nous nous régalions pour la Saint Antoine. Tes pieds trempent dans le ruisseau qui s'en va toujours dans la même direction et grâce à elle, tu sembles donner la main au moulin à qui il fallait rendre visite avant de venir solliciter tes services ; la prise d'eau envoyait assez de force pour faire tourner les roues et les deux meules qui écrasaient le grain et le transformaient en ?….bien sûr la farine n'était pas bluttée à 90% mais le pain faisait quand même la soupe, aux choux au lard de la cuve le plus souvent et de temps en temps la soupe au fromage.

C'était le moment de dresser les vaches en faisant le tour de la croix et de les ferrer au travail et même de les soigner sans vétérinaire quand il y avait une bête qui boîtait à cause du fi ou d'un clou.

Aujourd'hui, les tracteurs ont changé la façon de vivre mais au printemps on entend toujours les merles siffler dans les b ois, il y a encore des fleurs dans les prés et des morilles sous les buissons et la rivière qui galope toujours vers le bas, par là bas comme ils disent.

Nous n'avons pas eu d'hiver cette année "ah laisse-le où il est l'hiver " nous en avons assez eu quand nous étions petits, jusqu'à queue d'âne, nous étions courageux avec les sabots garnis, dans ce temps -là ils ne connaissaient pas les "après skis". Il paraît que la commune va acheter un canon pur faire de la neige de façon que les petits puissent faire des boules de neige ! Arrête que tu presses d'assommer et sauve -toi !

Le mercredi et le samedi nous descendions la côte de l'école comme une volée de chardonnerets ; au salon,… nous quittions le tablier noir, les galoches neuves, nous posions le cartable et, un morceau de pain et de fromage, une barrette de chocolat Meunier, l'hiver par le pré de Gaire, l'été en passant devant la forge, dans les oreilles les pius, pius joyeux des pinsons sous le frêne et allez, par là-haut ! A la Bachassona, nous soufflions un peu, au bout de la route nous laissions Cézerat sans nous retourner puis les Mulatets avec le chemin des ?…c'est là que Pierre venait nous chercher pour nous porter à carcacelle ; les Boys, les Sagnòras ; -mais l'été . nous descendions un peu plus bas s'il y avait un taureau, le chemin des Mamorets, les fils de fer qu'il nous fallait ouvrir et il était là, notre Sacou, planté entre le ciel, le bois, les prés, là bas Mathonière, Roche, l'Hopital, le Lac, la Planèze…

Et oui mais au jour d'hui il n'y a personne plus, ils sont tous à Vernols . Il n'en manque qu'un le pauvre qui fut tué à la guerre à Monzeville sur Meuse. Nous aussi nous irons là haut mais laissons les idées noires et gardons seulement les bons moments. Un poton au père Toine, un poton à la mère Marie, à Pierre, à Francillou quand ils étaient là et vive la liberté. Le chien se tord de la tête à la queue pour nous lécher les mains, c'est la vielle Champagne noire, sourde comme une toupine qui nous regarde pour savoir où nous voulons l'envoyer ; après, ce fut une petite Rosette qui se perdit dans la Pignatelle en allant chercher du bois à Cézerat après, une Fauvette. La chatte, Espanhòla, revient de chasser les rats, nous ne risquons pas de l'attraper, surtout si elle a des petits, c'est seulement par le trou qui va de la grange au hangar, avec une caisse dans un sac.

dans un sac et tac tac, elle est faite ; si c'est un gros mâle il fera un bon ?

Et toi le coq, tu chantes mais il faut que tu cherches parce que le grain ne tombe pas du ciel.

Maintenant, à l'étable, il y en a toujours une qui attend que nous soyons arrivés pou vêler : venez vite, elle a fait les eaux, les petits pieds qui apparaissent puis la tête, la serpillère et hop, dans la crèche, c'est une mareuille et une barrade deux femelles qu'il faut garder ; nous allons corder la mère et elle boira durant quelques jours dans le baquet un peu d'eau tiède ; je te l'avais dit qu'il fallait la mener à l'abreuvoir quand le taureau l'eut fait prendre pour avoir des vaux bariolés - arrête tu vas faire rigoler les vaches. A côté , la mama va passer la nuit avec la lanterne et demain des petites têtes roses vont téter leur mère allongée sur le côté. Il ne faut pas s'approcher, elle nous attraperait les cinq doigts de la main, le ? viendra les couper et dans quelques temps

la mère truie repartira toute seule à Laneyrat, elle sait bien où est le verrat. Et nous la verrons revenir deux ou trois jours après ; dehors, les lapins ont mis la fourrure d'hiver et le frêne se balance à côté du tas de fumier carré et du petit parc des cochons.

Les jours sont courts, il fait nuit, la soupe fume sur la table à côté de la roue pour avoir un peu de parum demain matin. Tout le monde est au lit mais nous, nous avons le droit de veiller, nous jouons aux cartes, à la bataille, sous la lampe pourtant le pétrole est cher, une bûche au feu.

Eteins la lumière, allez au lit l'un ici, l'autre là bas bien au chaud, seul le nez qui dépasse parce qu'il a peur des mauvaises odeurs. Le poêle ne veut pas s'endormir, il fait danser les ombres au plafond, il fait froid, le vent s'est levé, ça souffle, les portes de la grange sont bien fermées et celles de l'étable calfeutrées avec du fumier, La bise fait siffler le trou de l'aiguière, couvrez-vous bien, il faut dormir bientôt il va faire jour.

Nous n'attendions que ça nous autres et c'est le réveil. Allez, il faut sauter du lit, nous avons du travail nettoyer les crèches, étriller, brosser, la fourche, le râcloir pour remplir la brouette qui, vide pèse plus que nous -on relève quand même un peu les brancards ; le père Toine nous laisse croire que nous avons bien travaillé et nous donne une barre de chocolat du tiroir. Maintenant, nous allons glisser avec la planche à laver et une luge vers la servia, après midi, la balançoire dans la grange, une corde à faner par les gardons, une planche et en avant attention aux dalhons et aux coupe foin ! Oh la la la la, tac et une jambe cassée, vite à Neussargues; Il faudra une béquille mais pour la rééducation Chambeur, Chambeur pour nous faire galoper plus vite.

Et le printemps arrive, il faut labourer avec deux paires, parfois trois, les jeunes entre. S'il pleut, assis sur une pierre sur le timon du tombereau, une vieille veste qui nous sert de saile nous trouvons le temps trop long nous nous en allons ? Oui, oui plus qu'une autre raie ! Mais quand il fait beau temps, que c'est beau avec le soleil qui tape, la terre qui fume et les bergeronnettes qui viennent sautiller à côté des bêtes. La Rouge et la Fontange mènent l'attelage et au bout du sillon "vei, vei à la raie" et elles tournent comme des juments bien dressées ; tac, il faut s'arrêter, une pierre et il faut gratter le soc avec le talon de l'agulhada un peu de blé, d'orge, d'avoine plus tard la peseira, les pommes de terre et après, la rabeira, parfois un peu de navette toute jaune .

Un jour Francilhon est arrivé avec son âne et sa voiture, bonne affaire, avec une charreton pour porter le lait, la pauvre maman n'aura plus besoin, avec les galoches dans la neige, la gabardine, le joug et les deux seaux d'aller au sommet de la route et parfois jusqu'à Vernols quand le salaud de Bijou ne l'attendait pas même s'il la voyait venir de loin, trace de bête pour le loup !

Ils ont tué le cochon, ça sent bon le boudin, les saucissons, le pâté de foie mais le petit veau n'est plus dans l'étable, nous le pleurons et sa mère le brame, il faudra la cuquer ce soir ,pour la traire.

Et l'été est arrivé, il faudra faucher, nous porterons la soupe; quand nous fanerons, nous mènerons les chars vides et nous tirerons devant le long de la lisière.

Les vaches font danser les franjons ; malgré le crésyl sur le dos, les taons sont quand même là : tac regarde celui là qui s'envole avec une paille au derrière! Allez, la perche, l'armet, débrouille, débrouille ! Oh, il y a un moment qu'il est mort Débrouille :

Dans la grange, la motte est hautes, les vaches rentrent dedans pour la tasser, nous allons leur faire faire le tour vite pour ne pas qu'elles défèquent sur le foin ! Mêmeque si Marquadur vient faire boire ses brebis dans le coin nous le ferons passer pour tasser un peu plus. Ah il faut changer le lapin qui est sous le semoir depuis ce matin.

Copa blat, copa blat, copa blat croaa croaa croaa, tu l'as entendue la caille, elle dit qu'il faut aller moissonner. Nous porterons les gerbes pour faire les meules. Il fait chaud, heureusement que les juments de Lombard apparaissent à la croix.

Ah mon dieu, que de malheur, la maman s'est brûlée avec le petit lait bouillant et en quittant les chaussettes de laine, la peau est venue, quelles douleurs ! Il faut rester au lit ; enfin le médecin l'a bien soignée et elle recommence àclaudiquer mais que ça a été long !

Qu'est-ce qu'il y a, une bourrette et un cochon qui sont tombés dans la servia ? Il faut les laisser au soleil et l'Argente qui ne tient plus sur ses jambes qui fait comme la roda chevada. A quatre heures, les bonnes bresonas et nous partons montés sur l'âne tous les quatre, le temps de baisser la tête et d'un peu plus, nous nous faisions assommer par le joug de l'étable.

C'est l'automne, nous gardons par le regain du grand pré, nous ramassons des noisettes en regardant les écureuils qui se balancent dans les arbres et les ramiers qui passent. Il y a des champignons mais nous ne les connaissons pas alors nous leur tapons dedans, avec une fleur de gentiane nous nous fouettons les mollets et c'est la cavalcade.

Derrière la maison, les vaches lèvent le nez et demain nous irons manger le regain de la Fage pour traire ensuite au pré du communal.

La Fontange n'est pas revenue de la foire, c'est un marchand de Périgueux qui l'a emmenée ; Périgueux, pour nous, c'était le bout du monde et nous pleurons notre bonne vieille vache qui avait tant travaillé mais c'est la vie et sa crèche est déjà prête.

Nous avons tellement galopé alors, au lit ! Mais qu'entendons-nous, un renard qui glapit, là bas sur le "suc de l'Oie" Il ne veut pas fuir, penses-tu il chasse le lièvre. Ecoute, c'est la chasse violente, les oiseaux de nuit passent et repassent ils nous font peur et pour tout arranger le grand père nous parle de l'ours Martin de la frontière d'Espagne, de Peyrebeille avec le noir qui avait cachée la mariée morte dans l'armoire. Les cheveux se dressent sur la tête et cette poule qui chante le coq, nous allons la tuer mais nous rigolons quand même : mais paqu'espi qui pibre pas qu'espi qui pibre - mais où vas-tu Tortebigorne ? pas plus loin que toi cul bourru ! Hé hé hé ratapapanada, ratapapanada, ratapapanada ! Aïe, éteins-moi ce feu que ce feu ne veut pas brûler la barre que cette barre, ne veut pas tuer ce chien que ce chien ne veut pas manger le loup et le sommeil nous emporte et cette nuit nous rêverons !

Demain nous ramassons les pommes de terre et nous couperons les raves en quatre, il y en a de grosses qui vont bien pour faire les roues d'un tombereau. Il va falloir se débrouiller parce que demain, c'est la batteuse. La batteuse bleue avec ses petites roues ; elle est là, dans la grange attachée par la courroie au moteur que l'eau du réservoir a du mal à refroidir Ah, la batteuse, ils venaient la chercher de loin avec des chevaux, des bœufs, quelle affaire ! Il faut parler fort, les gerbes descendent de la meule, un coup de couteau sur le lien et pouf, rouf le grain d'un côté, la paille de l'autre et ça y va, les portes de la grange sont ouvertes mais il faut ouvrir la petite porte latérale parce qu'avec le tarare, nous mangeons de la poussière ; les balles pour les oies et le grain au moulin de Grachou. -tiens , le train Bonnet qui siffle à la maisonnette- la farine chez le boulanger et le son pour les cochons avec un peu de, concassage.

Les claies nous écrasent les épaules nous les mettons sur l'échine, nous portons la rille le paù, les anneaux nous écartons les bozats qui feront. la fumure. Nous essayons de traire mais nous n'avons pas trop de poigne.

C'est le vent d'en haut, demain il pleuvra demain, demain, demain comme disent les sauterelles ….

Les premières gelées sont arrivées les ronces vont être bonnes pour la tisane et avec les ?….qui achèvent de rouiller dans la bouteille, avec les racines de gentiane qui mûrissent dans l'eau, un topinon de beurre de St Jean, un peu d'arnica, du miel, un peu de pain bleu du tiroir de la table, du colostrum voilà toute la pharmacie pour guérir la gorge, le mal blanc, la dysenterie, les bosses et les coupures. Mais nous, nous n'avons pas le temps d'être malades. Tiens, l'étoile du berger la première allumée, la dernière éteinte ! Demain, s'il fait soleil, nous descendrons au bois de Bigard, nous remonterons avec des sacs pleins de feuilles rousses ça nous fera un bon sommier.

St Géraud et St Crépin sont déjà loin ! Un dernier coup d'œil à l'étable avec la lanterne, nous tirons la barre du perchoir des poules et d'un pied sur le marche banc nous montons nous enfoncer dans la couette de plumes, nous ne risquons pas d'avoir froid et quelle bonne nuit pour les petits !

Le jour deNöel, en pan de chemise et avec les galoches, nous avons mis un morceau de sucre sur le bord de l'abreuvoir à la pointe du jour, il fait froid, par la cheminée il est descendu une énorme paire de bœufs taillée dans une rolhada, nous allons faire du bon travail…

Et voilà achevé le tour des saisons et du bon temps que nous ne pourrons jamais oublier.

Allez, à la revoyure et ménage- toi !

Gabriel Soulié 1986

Notes :

- .

- Le village de Cézerat, lequel a toujours été le plus important de la commune de Verrnols, a compté plus de 200 habitants au milieu du XIXème siècle.

Il en comptait 170 en 1901 ;- 137 en 1921 ;- 134 en 1936 ;- 102 en 1946 ;- 104 en 1954

Il en compte actuellement 25 et périodiquement, pas seulement l'été, 15 résidences secondaires sont habitées.

Pour la vachive, la période que décrit Gabriel peut s'étendre de 1925 -fallait bien qu'il ait 5 ans pour se souvenir- à 1952 ou 1953 date à laquelle, après bien des controverses, l'administration des Eaux et Forêts a réussi à interdire l'entrée des vaches dans la forêt de la Pignatelle alors que cela se pratiquait depuis des temps immémoriaux !

- Six jours sur 7, la vachive gagnait la forêt par le "chemin des arbounes", la carrièra de las Arbonas. C'était, rive droite, le pendant de la route qui desservait le village par la rive gauche.

- C'est maintenant une route qui ouvre sur Mouret, Chalinargues, la Boissonnière, Chavagnac, Fortuniés et la transvolcanienne.

- Enfin, une troisième route qui longe la Prune a été construite dans la vallée dans les années 1970 ; le premier projet datait de 1872 !

GLOSSSAIRE

Pour la facilité, les mots sont classés par ordre alphabétique ; ceux qui sont suivis d'un numéro renvoient au numéro de la photographie numérisée et déposée par Pierre Amiral, photographie que l'on peut consulter sur demande.

Abrocar : apparaître mais avec une notion de soudaineté

Agulhada : grand aiguillon pouvant atteindre le second attelage par-dessus le premier et muni à la base de la partie large d'une binette

Banc : structure en bois sur laquelle sont fixés la grande scie le rail et le wagonnet

Bozat : bouse de vache qu sèche forme une galette dure

Bresones : pain sec émietté dans du lait froid et souvent consommé à 4 heures

Cézerat : rive gauche (3) rive droite (4).

Chambeur : rôdeur imaginaire qui habitait dans un arbre destiné à faire peur aux enfants

Château : les planches étaient empilées à angle droit, avec des espaces pour sécher

Chevalier : coulemelle

Clidon : portillon ou côtés ajourés en bois des chars

Communal : terrain appartenant au village et à l'usage de tous les habitants

Corder : cordage savant pour que la mère ne laisse pas échapper le placenta

Dalhon : faux coupée en son milieu, tenue à la main pour trancher le foin de la motte.

Ecole : côté cloche (8), nord- 9 façade (9), côté est

Estanteiras : arrêts verticaux pour le foin et sur lesquels était fixée la perche (17)

Fi : infection courante du pied -base du sabot- des vaches qui travaillaient

Franjons : lanières de cuir formant une frange pour éloigner les mouches et les taons (18)

Joug : outil permettant à une personne de porter deux seaux de lait ou d'eau de façon que leurs poids pèsent sur les épaules et ne tirent pas sur les bras (18 bis)

Lait bourru : lait qui sort tout chaud du pis de la vache

Lombard : marchand de vins et autres boissons venu d'Allanche

Louve : passe partout, grande scie avec manche à chaque extrémité maniée à deux

Machine : locomobile à vapeur avec ses grands volants, elle entraînait la scie au moyen de courroies

Mange miches : sobriquet que "Toinasse" donnait à son frère Alfred, boulanger à Condat- Marcenat

Martelé : arbre ayant reçu, à un mètre et à son pied un coup de la tête du marteau de l'ONF qui avait incrusté la marque de celui-ci

Montgarlit : surnom du grand père Antoine originaire de la commune de Montgreleix

Mules : robustes femelles bovines stériles, élevées pour leur travail

Parum : crème soigneusement "ratissée" à la surface du lait froid reposé

Pignatelle - Pinhatela : forêt de 300 ha environ appartenant au village, plantée de pins sylvestres, d'épicéas et de hêtres (6)

Pierre des grelots : gros rocher repère. La légende voulait qu'en y collant son oreille on entendît sonner des grelots

Pont trocat : ancienne digue sur la Prune destinée à former un petit lac, écroulée (12)

Portal (la) : quartier isolé à l'ouest, à 500 m, elle possède une magnifique barriade (5)

Prune (la) : ruisseau qui traverse Cézerat (10) situation de la source (11) point où l'eau sourd

Quatre pieds de l'âne : Repère important dans la forêt, pierre plate sur laquelle on peut imaginer la trace des quatre sabots d'un âne et le trou d'un bâton (15)

Rainette : outil (13) servant à tracer des chiffres romains un arbre numéroté (14)

Rille : barre de fer appointée d'un côté

Rolhada : section de billots de 30 à 50 cm, fendue pour faire des bûches

Ruche : écorce

Sabots garnis : sabots de bois ordinaires sur lesquels on avait fixé une empeigne en cuir

Sacou (le) : ferme isolée à 2,5 km de Cézerat (7), dans la direction d'Allanche, ferme exploitée par le père Antoine et la mère Marie, les grands parents de Gabriel

Saile : sorte "d'imperméable" en drap avec une capuche

Servia : petite mare dont les bords sont grossièrement bâtis

Travail : construction en bois pour immobiliser les bovins pour ferrage ou soins (16)

Vaches : mareulha ou barrada vaches de deux couleurs

Vachive : ensemble de vaches ne portant pas le nom de troupeau car composé de bêtes issues de plusieurs élevages différents

Vachivier : gardien de la vachive

Vernols : chef lieu, siège du cimetière où tout le monde finissait le voyage

Des photographies numérisées et déposées par Pierre Amiral complète cette description.

"La première photo représente Gabriel Soulié dans son attitude de conteur- né ; ce n'est pas bon techniquement mais c'est tout ce que j'ai pu trouver, La deuxième est celle de son père dans le bistrot duquel ont eu lieu la plupart de nos rencontres et les enregistrements ; fugacement, on entend d'ailleurs sonner le carillon dont je n'ai jamais oublié les notes."Pierre Amiral

Autres données descriptives
Notes ISBD

(Cotes de l'original : Fg 903 [1440] et de conservation : A [1440] 1437).

Auteur
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
Mots-clés lieu
  • Vernols (Cantal, France)
  • Cèzerat (Cantal, France)
Mots-clés matière
  • occitan
Mots-clés personne
  • Soulié, Gabriel
  • Amiral, Pierre
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