"Montsalvy" par Marcellin Boule
"Montsalvy fait partie de ce Massif Central jadis qualifié mais à tort, de pôle répulsif de la France.
Lourde bêtise car nous savons aujourd'hui de source certaine que, première terre émergée des océans primitifs, c'est autour de ce Massif Central que se sont édifiées plus tard et peu à peu des plaines riantes et fertiles des bassins de la Loire, du Rhône et de la Garonne. C'est le Massif Central qui règle l'harmonie de toute la géographie française, si belle, si magnifiquement ordonnée, qu'elle a fait de notre patrie gauloise la plus belle du monde sous le vaste ciel.
On peut avancer que Paris lui-même n'existerait pas sans le Massif Central dont il n'a été d'abord qu'une dépendance, qu'un seul fief. Comment s'étonner, dès lors, que 2000 ans après Vercingétorix, l'admirable chef des Arvernes et des Gaulois, les Auvergnats s'attachent aujourd'hui à reconquérir Paris… et qu'ils y réussissent grâce à leur constitution robuste, granitique ou basaltique, grâce aussi à leur amour du travail, à leur esprit d'économie, à leur énergie morale, toutes les qualités qui servent de base à la prospérité d'un nation.
Si nous rétrécissons notre champ visuel, pour regarder plus près de nous, nous verrons qu'à l'intérieur de ce vaste Massif Central, Montsalvy occupe une place de choix, presque un poste de commandement. C'est autour de notre Puy de l'Arbre aux confins de l'Auvergne et du Midi que s'organise la topographie de tout le Sud de notre département. De ce magnifique observatoire naturel, de cette vieille forteresse gauloise que nos ancêtres de la Révolution avaient su choisir pour y célébrer la fête de l'Etre suprême et qu'ont illustré les premiers travaux de mesure du globe terrestre, la vue s'étend sur cinq départements et y découvre les aspects les plus variés.
C'est au Nord la silhouette azurée du Massif Cantalien l'un des plus grands volcans du globe avec sa planèze qu'on nommait autrefois le grenier de la Haute-Auvergne.
Vers l'Est, les Monts d'Aubrac édifiés autrefois par les feux souterrains et les glaciers et qui nourrit aujourd'hui de ses vastes pâturages une belle race bovine.
Au Sud-est, les gorges aussi magnifiques que sauvages du Goul, de la Truyère, du Lot, magnifiques sources d'énergie et de lumière, qui se répandent dans toute la France grâce à l'électricité, une des plus belles conquêtes du génie humain. C'est entre Truyère et Lot que se blottissent les toits pointus aux écailles schisteuses si brillantes de la charmante cité d'Entraygues, pays du vin et des fruits sucrés qu'une nature bienfaisante a placé à 9 kms à vol d'oiseau de notre clocher, lequel signale aussi en quelque sorte la sortie de l'Auvergne et l'entrée du midi aux plus riantes visions.
Et plus près de nous vers l'Ouest, le Veinazès à la terre granitique et blonde comme le miel de ses ruches, magnifique parc naturel, de vieux châtaigniers, de vergers opulents, de haies vives, dont les nombreux hameaux sont riches en architectures vieillottes et charmantes où courent les plus jolis ruisseaux du monde qui, désespérés d'avoir perdu leurs romantiques moulins, s'en vont se précipiter dans la sombre déchirure des gorges du Don.
Replions-nous encore davantage sur notre vieille petite ville, ceinturée de forêts de pins, parure superbe que nous devons à un compatriote trop oublié, le grand administrateur et le bel amant de la nature que fut Albert Delmas.
A vrai dire, mon âme d'artiste regrette bien un peu les vastes étendues de bruyère roses et la "houle d'or" des champs de genêts d'autrefois, mais je me console vite en pensant que ces paysages chers aux peintres et aux poètes, ont été transformés en terres fertiles qui ont aussi leur beauté."
Discours de remerciement de Marcellin Boule
à l'occasion de l'inauguration de la rue
qui porte son nom à Montsalvy
depuis le12 septembre 1937