Jean Delmas a publié, en 1895, un article sur la jeunesse et les débuts de Jean-Baptiste Carrier (1756-1794). Il avait réuni une documentation sur le personnage, qui est conservée dans le même article 27 J 194. Trois d'entre eux, parmi les plus significatifs, sont ici présentés. La "Liste des gens suspects, contre-révolutionnaires et conspirateurs du district d'Aurillac" a été établie le 15 prairial an II par un secrétaire pour Carrier, qui l'a annotée et signée. Elle détaille, avec un grandiloquent luxe de détails, les crimes des suppôts de la contre-révolution, dont le groupe, fort large, s'étend à tout ce qui n'est pas la Montagne. Pour ne donner qu'un exemple, celui de Lafon, ancien juge au tribunal criminel du département : "Contre-révolutionnaire très décidé sous les dehors du plus puant feuillantisme. Ne frequentant que les gens suspects et contre-revolutionnaires, en étant le défenseur perpetuel en invoquant l'execution de la loi ; chaud partisan des Roland, des Brissot du Marais, detracteur continuel, calomniateur atroce de la Montagne des Parisiens et des Jaquobins, partisan opiniatre et provocateur a grands cris du federalisme".
Carrier, on le sait, a brillamment appliqué ces méthodes de purge à Nantes, ce qui l'a conduit à la guillotine. Le dévoreur est dévoré à son tour, dans des sarcasmes de soulagement, comme le montrent ces Adieux de Carrier à Collot, Billaud, Barrère, Duhem, Levasseur et autres chevaliers de la guillotine. Ce texte imaginaire commence par "Au nom de la sainte terreur, dont l'empire puisse-t-il bientôt revenir" ; Carrier y fait des legs "à la Société-mère des égorgeurs, noyeurs et fusilieurs", "à l'inviolable citoyenne Crassoux, abbesse de nos sœurs fessées et à fesser" ; au médecin Duhem, il lègue "un traité en vingt-deux parties sur les théories bains-froids, avec la méthode sûre de les administrer conjointement avec la saignée, pour guérir radicalement toute espèce de maladie"…
Plus officiellement paraît un Tableau effrayant des crimes et forfaits commis par Carrier, récit de son jugement, avec les pièces justificatives. On y apprend les joyeusetés de l'action républicaine de Carrier à Nantes, en particulier les "mariages républicains" dans la "baignoire nationnale". Comme dans tous les processus de purge, les accusations portées contre le purgé ne souffrent aucune circonstance atténuante : en condamnant un "monstre", la justice thermidorienne établissait une distinction entre les acquis de la Révolution, qu'elle entendait conserver, et les excès de la Terreur, qu'elle entendait condamner sans ambiguïté. En se désolidarisant de Carrier, Thermidor faisait de "Caligula-Carrier" un monstre utile, une victime expiatoire commode qui dédouanait ses anciens amis et affermissait leur pouvoir.
Cote ADC : 27 J 194/5-18, 49 et 50
- Nantes (Loire-Atlantique, France)